Bonjour Ă tous,
Long time no see, parce que long time to work.
Ă plusieurs reprises ces derniers temps, jâai parlĂ© du crowdequity, et des levĂ©es communautaires.
- Via Masteos, et sa levée au mauvais timing qui a fait perdre 100% des particuliers ;
- En parlant dâun entrepreneur qui agite sa communautĂ© sans projet ni business modĂšle ;
- En posant la question de lâaccessibilitĂ© de ce produit complexe aux particuliers ;
- En analysant la levée de Bricks, il y a 2 ans.
Mon avis est toujours le mĂȘme : rendre accessibles des produits et des investissements jusquâici rĂ©servĂ©s Ă des Ă©lites ou aux plus riches est une bonne chose. Mais ça ne peut pas se faire au dĂ©triment des particuliers sâils investissent sans comprendre, ou sur des placements pourris.
Ă plusieurs reprises, jâai Ă©tĂ© interrogĂ© sur le modĂšle de Blast, qui venait de se lancer. Jâavais Ă©mis quelques doutes liĂ©s au modĂšle Ă©conomique, consistant Ă faire payer un abonnement, lĂ oĂč tous les concurrents se content de fees sur les deals. Mais Ă©galement au rĂŽle que peut jouer une chaĂźne de tĂ©lĂ©vision, sur la lĂ©gitimation de cette activitĂ©.
Trois journalistes mâavaient contactĂ© dans le cadre dâarticles quâils Ă©crivaient sur la plateforme. Aucun nâa relevĂ© la problĂ©matique des frais. Tous ont lĂ©gitimĂ© le modĂšle.
Dans son article dans Les Ăchos1, lâemblĂ©matique Charlie Perreau parle dâun fonctionnement « Ă l’image des clubs d’investisseurs traditionnels », reprenant le discours de la plateforme : « dĂ©mocratiser lâinvestissement », nombreuses « prĂ©inscriptions », « blockchain privĂ©e », lĂ©gitimation de lâabsence dâagrĂ©ment (que Blast finira par obtenir). Et pour clĂŽturer le dĂ©bat, Anthony Bourbon est citĂ© dans lâarticle expliquant que « Les critiques, c’est [son] pain quotidien ».
Si tous les articles citent le montant de lâabonnement, aucun ne rentre clairement dans la ribambelle de frais. Ni sur la structuration parfois cavaliĂšre des deals.
Alors que Blast va prochainement communiquer sur une « levĂ©e » de 30M⏠(qui nâen est pas vraiment une, on le verra), faisons un petit retour en arriĂšre sur le projet.
đŒ La part des anges
Anthony Bourbon nait en 1988 Ă Bordeaux. Difficile de raconter ce quâil fait avant de crĂ©er Feed en 2016. Au fil des interviews, lâentrepreneur forge sa lĂ©gende entre des anecdotes dignes dâOussama Amar et des formules chocs quâon pourrait retrouver sur un Instagram de dĂ©veloppement personnel.
TantĂŽt il raconte avoir vĂ©cu Ă la rue, histoire qui rentre en rĂ©sonance avec son fameux 40m2 « sans canapĂ© », sans quâon sache duquel de ses logements Ă Neuilly-sur-Seine il parle.
TantĂŽt il raconte des expĂ©riences dont on ne pourra jamais rien vĂ©rifier, comme quand il Ă©tait devenu expert de lâ « Audi A6 2.7L TDI break avant » quâil achetait Ă 18K⏠pour la revendre 22K⏠en traversant la France, 4 fois par mois. Le tout grĂące Ă un parc impressionnant, selon ses mots, alors quâil Ă©tait Ă©tudiant.
Dans dâautres interviews, câĂ©tait plutĂŽt un business de vĂȘtements de contrefaçons ou de rĂ©paration de scooters, alors quâil Ă©tait contraint de dormir dehors, ou dans un bus. Plus tard, il racontera avoir pu faire des opĂ©rations de marchands de biens financĂ©s par des camarades et contacts fortunĂ©s, et autres histoires quâil distille Ă chaque interview.
« Jâavais dĂ©jĂ lâego de lâentrepreneur, je nâavais pas envie de mâapitoyer sur mon sort. Mais je ne veux pas parler de cette pĂ©riode, je veux envoyer un message positif. »
Une pĂ©riode quâil raconte pourtant systĂ©matiquement Ă chacun de ses passages mĂ©diatiques, prĂ©cisant quâil Ă©tait SDF. Chaque anecdote une morale qui conforte son positionnement, peu importe si elle contredit lâhistoire racontĂ©e quelques mois plus tĂŽt.
Pour autant, Anthony Bourbon tient des discours atypiques, voire anticonformistes. Rare entrepreneur Ă dĂ©clarer que la mĂ©ritocratie est une illusion, il Ă©voque ouvertement le dĂ©terminisme social qui pourrait « amener Ă une insurrection »2 , et dĂ©nonce lâentre-soi de ceux qui sortent des grandes Ă©coles.3 Il pourfend lâhĂ©ritage, expliquant que « ceux qui ont hĂ©ritĂ© ont lâair malheureux et nâapprĂ©cient rienâŠÂ ».4
Mais son livre5 et ses interviews tiennent plus du guide de développement personnel :
« On ne rĂ©alise jamais ses rĂȘves si lâon se contente de suivre le chemin quâun autre a tracĂ© pour toi. »
« Je ne crains pas la pauvretĂ©. Je lâai dĂ©jĂ affrontĂ©e. Je lâai surmontĂ©e, dominĂ©e, utilisĂ©e comme un moteur. »
« Ăviter la victimisation, qui conforte, rassure, mais ne sauve jamais. »
« Ceux qui ont réussi autour de moi ne sont pas normaux. Ils sont singuliers. Ils sortent du lot. »
Sâil nâest pas adepte des signes extĂ©rieurs de richesse, lâentrepreneur est trĂšs attachĂ© Ă son image. Depuis longtemps, un community manager sâoccupe de ses rĂ©seaux sociaux, et il ne manque pas une occasion de passer dans un podcast ou un magazine, quitte Ă dĂ©bourser un peu dâargent.
« Tout ce qui brille attire Anthony », résume un ancien collaborateur, qui souhaite rester anonyme.
Câest peut-ĂȘtre ce qui lâa attirĂ© quand M6 lui a proposĂ© de rejoindre lâĂ©mission Qui veut ĂȘtre mon associĂ© ?.
đ« Star Search
AprĂšs la premiĂšre saison de lâĂ©mission, la chaĂźne cherche Ă remplacer Catherine Barba, Marc Vanhove et FrĂ©deric Mazzella.
Grande gueule, beau gosse, excellent orateur et grand storyteller, Anthony Bourbon est clairement un bon client. Il débarque dans la 2e saison. Puis fera la 3e et la 4e, la derniÚre en date. Le producteur, Satisfy a déjà annoncé la 5e saison, sans que le juré ne soit confirmé.
Pour ĂȘtre honnĂȘte, je nâai jamais regardĂ© lâĂ©mission, mais dans les quelques extraits que jâai vus Anthony Bourbon y semble Ă lâaise. Son personnage est parfois clivant, parfois excessif, souvent pertinent et convaincant.
CĂŽtĂ© investissements, difficile de conclure quoi que ce soit. Il y a quelques semaines, Bienvenue au cabinet montrait que nombre des deals « signĂ©s » Ă lâantenne nâallaient en rĂ©alitĂ© pas Ă leur terme.6 Jâai tentĂ© ici de refaire lâhistorique des propositions ici.7
2e saison (2022)
- đĄÂ Charles.co : 8% pour 200K⏠avec Jean-Pierre Nadir
- A priori la levĂ©e nâa pas eu lieu : en fĂ©vrier 2021, une augmentation de capital a eu lieu, mais par activation de BSA Air de 2019. Une levĂ©e de 4M⏠a bien eu lieu, mais en avril 2022 sans quâon puisse dire si Nadir et Bourbon sont entrĂ©s.
- â
 Requiem Code : 25% pour 40KâŹ
- La levée a bien eu lieu fin 2021, pour le montant promis.
- Lâentreprise a Ă nouveau levĂ© 1,1M⏠en mars 2022
- â BioDemain : 5% pour 110KâŹ, avec Jean-Pierre Nadir et Marc Simoncini
- La levĂ©e dâ1MâŹ, menĂ©e sur Lita.co semble avoir Ă©tĂ© faite sans les 3 investisseurs
- â Circular Ring : 9% pour 300KâŹ
- Plusieurs levées ont eu lieu, mais sans Anthony Bourbon
3e saison (2023)
- â CapsMe : 15% pour 200KâŹ
- La levĂ©e nâa pas eu lieu
- â DetectiveBox : 15% pour 100KâŹ
- La levĂ©e nâa pas eu lieu
- â Callisis : 25% pour 180KâŹ
- La levĂ©e nâa pas eu lieu
- đĄÂ Circle Sportwear : 5% pour 400KâŹ
- Une levée de 1,5M⏠a eu lieu fin 2022, mais sans possibilité de voir les souscripteurs
- â
 Floatee : 20% pour 200KâŹ
- Une levée 450K⏠a lieu en mars 2023, sans le nom des souscripteurs, mais correspond à Anthony Bourbon / Blast
4e saison (2024)
- â
 Coupas : 11% pour 200KâŹ
- La levée est en cours
- â
 Cupdom : 6% pour 30KâŹ, avec StĂ©phanie Delestre
- La levĂ©e a au lieu Ă 50/50 entre StĂ©phanie Delestre et Anthony Bourbon⊠qui lui mĂȘme fait 60/40 avec Samuel Guez, son associĂ© sur Blast.
- â Mon Livre SMS : 25% pour 250KâŹ
- La levĂ©e nâa pas (encore?) eu lieu8
- â Skincasts : 30% pour 300KâŹ, avec Tony Parker et Marc Simoncini
- La levĂ©e nâa pas (encore?) eu lieu
- đĄÂ KNAP : 10% pour 350KâŹ
- Une levée a eu lieu en mars 2024, inférieure au montant, avec des souscripteurs anonymes
- â Cookidiction : 30% pour 500KâŹ, avec Tony Parker
- La levĂ©e nâa pas (encore?) eu lieu
- â Welcome account : 10% pour 300KâŹ
- La levĂ©e nâa pas (encore?) eu lieu
- â Rebond : 20% pour 200KâŹ, avec Tony Parker
- La levĂ©e nâa pas (encore?) eu lieu
Comme on peut le voir, la magie de la tĂ©lĂ©vision nâopĂšre pas toujours en dehors des camĂ©ras. Il ne faut sans doute pas y voir des mensonges ou de fausses promesses, mais possiblement des candidats ou des jurĂ©s qui changent dâavis en entrant plus prĂ©cisĂ©ment dans les chiffres.
Reste que grĂące Ă cette prĂ©sence, Anthony Bourbon acquiert la crĂ©dibilitĂ©Â vu Ă la tĂ©lĂ©, sur une expertise qui nâĂ©tait pas ce pour quoi il Ă©tait connu jusquâici : investisseur.
đ° Bourbon, lâinvestisseur
Parce que si Anthony Bourbon parle souvent de ses investissements rĂ©ussis, Ă la maniĂšre de sa propre lĂ©gende, il est difficile de savoir ce qui est vrai, ou non. Ă plusieurs reprises, il indique avoir une moyenne de x9 en quatre ans. Ou x4, selon une interview. Aucune vĂ©rification nâest rĂ©ellement possible, mais on retrouve bien son nom aux cĂŽtĂ©s de plusieurs entreprises.
SĂ©duit par Pap&Pille, des biscuits portĂ©s par un couple de dirigeants au sens du marketing exacerbĂ©, il sâimagine pouvoir reproduire le succĂšs de Feed. DĂšs 2020, il est nommĂ© avec sa compagne9 au conseil dâadministration de lâentreprise. En 2022, le couple prĂ©sente Pap&Pille sur Qui veut ĂȘtre mon associĂ© ? et convainc Jean-Pierre Nadir. Les 300K⏠promis ne seront, a priori, jamais investis.
Un fin connaisseur du dossier résume :
« La seule ressemblance avec Feed, câest que Pap&Pille câest vraiment pas bon. Anthony sâĂ©tait juste dit que les deux Ă©taient bons en branding, et ça, il aimait bien. Mais au final, ils ont vendu la distribution, et yâa jamais eu de traction, donc la boite nâa jamais gagnĂ© un copec.»
Lâentreprise est en redressement judiciaire depuis mai 2024, et ses dirigeants-fondateurs ne communiquent plus du tout dessus.
Parmi les investissements revendiquĂ©s par Anthony Bourbon sur son site, on retrouve principalement du consumer ou des DNVB (Louis Design, The Ethiquette, Le rouge Ă ongles), de lâalimentation (My Brazil, Archie, AussitĂŽt Bon, Respire) y compris pour animaux (Ziggy, Veeto, Caats), mais Ă©galement quelques fintechs/web3 (Pokmi, Mechachain, iVesta) dont Caption, un de ses concurrents.
Un portefeuille finalement assez cohérent et pas du tout axé sur « la future licorne », mais plutÎt sur la résolution de problÚmes réels, ou de produits de niche. Avec en plus, une dimension durable pour une petite partie.
Comment arrive Blast dans tout ça ?
Avant M6, et en cherchant la télévision pour en faire la promo ?
AprĂšs M6 en se disant quâil a une bonne opportunitĂ© ?
Entre les deux ?
Aucune idée, et comme toujours avec Anthony Bourbon, il faudra se contenter de la légende.
Reste que sur sa page Wikipedia, quâil a lui-mĂȘme crĂ©Ă©e, on peut voir quâil rejoint Qui veut ĂȘtre mon associĂ© ? en janvier 2021, et fonde Blast en septembre 2022, juste avant sa 2e saison. Il sâassocie Ă 50/50 (mais en gardant 60% des droits de vote) avec Samuel Guez, fondateur de deux marques de bougies, revendues. Anthony Bourbon Ă©tait dâailleurs investisseur de la 2e, My Jolie Candle. Lâentreprise a Ă©tĂ© vendue pour un montant inconnu Ă Â Emodi, quelques semaines aprĂšs avoir Ă©tĂ© placĂ©e en redressement judiciaire, 4 ans aprĂšs avoir levĂ© 7MâŹ.
Ce timing particuliĂšrement avantageux a mis mal Ă lâaise au moins un jurĂ© de lâĂ©mission, qui nâa pas souhaitĂ© sâĂ©tendre, mais Ă©galement plusieurs personnes de la chaĂźne et de la production.
Fin 2023, quand Eric LarchevĂȘque annonce son ralliement Ă Â Blast, le service juridique de RTL Group, propriĂ©taire de M6, est contactĂ© afin de produire une note sur les risques possibles. En gros : tant que le nom de la chaĂźne nâest pas citĂ© par Blast, et que Blast nâest pas citĂ© Ă lâantenne, RAS. Aucune suite nâest donnĂ©e, ni dans un sens ni dans lâautre.
Parce que si certains Ă©taient mal Ă lâaise, un cadre imaginait dĂ©jĂ reproduire le gigapartenariat entre StĂ©phane Plaza et M6 en 2020, lors du lancement dâun rĂ©seau immobilier.
Entre-temps, Tony Parker, dĂ©jĂ actionnaire de Bricks (dont le succĂšs fulgurant initial Ă©tait Ă©galement la consĂ©quence dâun passage sur M6), a annoncĂ© son ralliement.
đïž Un mĂ©lange des genres
Lors de la 3e saison, Anthony Bourbon propose dâinvestir dans Floatee. LâĂ©mission est diffusĂ©e en janvier 2023 et le projet arrive sur Blast⊠en fĂ©vrier. En rĂ©alitĂ©, Anthony Bourbon finance sa participation via Blast.
En avril 2023, la levĂ©e est scellĂ©e : 449â747,09⏠pour 2â381 actions Ă©mises, soit 28% des actions. En Ă©change des fonds supplĂ©mentaires investis par Blast, la part du capital rĂ©servĂ©e aux salariĂ©s est annulĂ©e.
Pour investir, Blast crĂ©Ă© un SPV10 : la SAS FLOATEE X BLAST, avec un capital social de 2âŹ, mais variable, qui permet donc dâaccueillir tous les investisseurs Ă venir.
Pourquoi 2âŹ, et pas 1⏠? Eh bien parce que Blast crĂ©Ă© 2 types dâactions, et en prend une de chaque.
- Lâaction ordinaire (AO), destinĂ©e Ă ĂȘtre distribuĂ©e Ă tous les investisseurs qui vont souscrire ;
- Lâaction de prĂ©fĂ©rence (ADP A), destinĂ©e Ă ĂȘtre⊠unique, et pour Blast.
Sauf que cette ADP A est particuliÚre : elle donne les pleins pouvoirs. Cette unique action a systématiquement la majorité lors des votes. Les actionnaires sont parfaitement tributaires des décisions prises par Blast et par le président du SPV qui est⊠Anthony Bourbon.
Cette utilisation de lâADP A semble ĂȘtre systĂ©matique chez Blast. Selon 3 acteurs du crowdequity interrogĂ©s, ça nâa rien de commun. Pour lâun dâeux, ce montage peut sâexpliquer en cas de « table de capitalisation complexe » ou dâune volontĂ© de ne pas avoir des dĂ©cisions bloquĂ©es « en cas de dĂ©saccord du pool dâinvestisseurs ». Et de conclure :
« Ce sont plutĂŽt des sujets qui se gĂšrent via un pacte d’actionnaires, mais ce montage permet d’ĂȘtre plus rapide dans la rĂ©solution de situations de blocage. »
đœ La libertĂ© guidant (pas trop) le peuple
Reste quâaprĂšs vĂ©rification, aucune des plateformes de crowdequity française ne semble pratiquer ce montage, qui Ă©limine toute contestation des investisseurs.
Prenons un exemple que jâai plusieurs fois Ă©voquĂ© ici : mon investissement dans Unkle, fait via Anaxago. Le SPV sâappelle Objectif Innovation 22. La SAS Ă capital variable est crĂ©Ă©e par Anaxago, qui, statutairement, nâindique pas la cible. Câest dâailleurs le cas de la plupart des SPV, qui sont souvent crĂ©Ă©s Ă la chaĂźne en prĂ©vision des prochains investissements. Ils sont parfois renommĂ©s aprĂšs coup. Dans ce SPV, chaque action donne droit aux mĂȘmes droits et obligations, donc au mĂȘme vote.
Durant lâinvestissement, Anaxago a tenu au courant les investisseurs par des communications Ă mesure des Ă©volutions. Jâai certes, Ă plusieurs reprises, Ă©voquĂ© leur manque de transparence lorsque Luko a connu des difficultĂ©s post-rachat, mais leur rĂŽle nâĂ©tait pas de commenter chaque information (y compris les miennes).
Ă plusieurs reprises, les associĂ©s ont Ă©tĂ© consultĂ©s. Ăvidemment pour les traditionnels comptes annuels, mais Ă©galement Ă lâoccasion de certaines dĂ©cisions.
Cependant, la validation du rachat dâUnkle par Luko via des obligations convertibles nâa pas Ă©tĂ© soumise au vote. Anaxago sâest contentĂ© de dire que cela « valid[ait] [leur] thĂšse d’investissement ».
Ă lâinverse, Sowefund a sollicitĂ© les actionnaires de Binge Audio lors du rachat par Paradiso Media.
Il nây a pas de mĂ©thode universelle, mais quand un investisseur entre au capital dâune entreprise, mĂȘme par lâintermĂ©diaire dâun fonds, il a vocation Ă donner son avis, comme nâimporte quel autre.
En mars 2017, suite Ă lâaffaire Cifocoma, lâAMF avait clairement indiquĂ© que, dans le cadre dâune SPCI, le conseil de surveillance, reprĂ©sentant les intĂ©rĂȘts associĂ©s face au gĂ©rant, nâavait Ă valider ou non les dĂ©cisions des gĂ©rants. Jâen avais parlĂ© lâannĂ©e derniĂšre.
Quid dâun gĂ©rant Ă la tĂȘte dâun SPV ? La question nâest pas tranchĂ©e.
Cependant, la loi Florange, qui vient tout juste de fĂȘter ses 10 ans, Ă©tait venue cadrer ce point pour les sociĂ©tĂ©s cotĂ©es. Lâesprit de la loi, câĂ©tait « une action, une voix », mais le droit de vote double est autorisĂ© pour certains actionnaires. Câest souvent un avantage destinĂ© aux actionnaires de longue date, pour les fidĂ©liser. Mais certains avaient critiquĂ© le possible blanc-seing donnĂ© aux actionnaires de rĂ©fĂ©rence qui pourraient contrĂŽler des sociĂ©tĂ©s en achetant moitiĂ© moins dâactions.
đ„° Les amis, les amours, les emmerdes
Jâen parlais un peu plus haut : Blast a bĂ©nĂ©ficiĂ© du soutien mĂ©diatique et dâimage de Tony Parker et Ăric LarchevĂȘque.
Par quel montage ? Rien dâĂ©vident.
Ni lâun ni lâautre ne font partie des actionnaires directs ou indirects de Blast. Pas plus que les nombreux « experts de renom » leveragĂ©s par Blast : Carole Juge-Llewellyn, Benjamin Chemla, Jonathan Anguelov, Rand Hindi, Louis Marty et pas mal dâautres grands noms de la tech.
Si on peut facilement imaginer que des abonnements leur soient attribuĂ©s gracieusement, il nâest pas impossible quâils soient Ă©galement payĂ©s sur facture. Deux dâentre eux mâont rĂ©pondu que non, mais selon une source, lâimage de Tony Parker aurait Ă©tĂ© monnayĂ©e 400KâŹ, et celle dâĂric LarchevĂȘque 1MâŹ. Des chiffres qui pourraient ĂȘtre cohĂ©rents avec le compte de rĂ©sultat et sa ligne Ă 2,9M⏠sur les « autres achats et charges externes », qui reprĂ©sente prĂšs de 70% des dĂ©penses en 2023.
Mais la rĂ©ponse est peut-ĂȘtre (Ă©galement) ailleursâŠ
Il y a quelques jours, Finovox annonçait une levĂ©e de 4MâŹ, via Vaex Capital, Inter Mutuelles Assistance⊠et Blast. La plateforme avait en effet collectĂ© 1,84M⏠en mars dernier, selon ses chiffres. Tout comme Yumgo, pour qui Blast a levĂ© 2M⏠à la mĂȘme pĂ©riode, Finovox a volontairement cachĂ© les montants et les investisseurs de sa levĂ©e. De son cĂŽtĂ©, Blast a arrĂȘtĂ© dâappeler ses SPV âSOCIETE x BLASTâ, ce qui complique un peu les recherches.
Depuis quelques mois, les SVP de Blast sont dâamusantes rĂ©fĂ©rences spatiales. Celui de Finovox sâappelle Falcon Heavy, en rĂ©fĂ©rence Ă la plus grosse fusĂ©e jamais construite, propriĂ©tĂ© de SpaceX. En plus des ADP A habituelles, des ADP B sont crĂ©Ă©es, sans droit de vote. Une seule existe Ă la crĂ©ation, dâoĂč le capital de 3âŹ.
Pourquoi ? La rĂ©ponse est peut-ĂȘtre dans Endeavour (ancienne navette de la NASA, elle-mĂȘme nommĂ©e dâaprĂšs un navire de James Cook). Ce SPV est une coquille vide pour une future levĂ©e, dont lâassociĂ© fondateur est⊠Anthony Bourbon en tant que personne physique, bien que Blast et le Blast Club soient bien citĂ©s en prĂ©ambule.
Ă la place dâADP B, on retrouve ADP Ambassadeur. La maniĂšre de la prĂ©senter, le fait dâavoir 0% des voix, tout est pareil que lâADP B, avec les mĂȘmes conditions de cession. Une ligne a cependant Ă©tĂ© ajoutĂ©e :
« Par exception Ă ce qui prĂ©cĂšde, lâAssociĂ© Fondateur pourra cĂ©der [âŠ] lâADP Ambassadeur Ă un ambassadeur du Blast.Club. »
Sâil nâest pas clairement prĂ©cisĂ© qui ils sont, la liste prĂ©cĂ©dente peut donner une idĂ©e… Mais alors, quel intĂ©rĂȘt dâavoir 1 ADP Ambassadeur, lorsquâil y aura 300 ou 500â000 AO souscrites ? La rĂ©ponse est Ă lâarticle 12.7 qui prĂ©cise la rĂ©partition des gains lors de la cession des titres :
- La quote-part du prix de cession, en fonction du nominal des actions, rĂ©partie au prorata du nombre dâactions ;
- 90% du solde aux porteurs dâAO ;
- 10% du solde aux ambassadeurs.
« Sous rĂ©serve que les stipulations du contrat dâambassadeur conclu entre BLAST et le titulaire de lâADP Ambassadeur aient Ă©tĂ© respectĂ©es.» Ăvidemment.
Le systĂšme sera Ă©galement appliquĂ© Ă la levĂ©e de Coupas, quâAnthony Bourbon avait choisi sur M6. Cette fois le SPV sâappelle AB0224, avec le systĂšme ADP A et B. Idem pour Saturn V, SPV pour la levĂ©e de Latitude. Ou Atlantis, crĂ©Ă© sans cible, mais sans possiblement utilisĂ© depuis.
Ce type dâactions nâexistaient pas dans les levĂ©es 2022-2023, dont les SPV Ă©taient crĂ©Ă©s par Blast en tant que personne morale. LâADP A servait Ă ce que Blast perçoive ses 20% de commission Ă la surperformance.
Parce que oui, en plus de facturer un abonnement, Blast facture des frais de performances⊠et pas mal dâautres.
âïž Sea, fees and fun
Jusquâil y a quelques annĂ©es, pour investir dans une entreprise non cotĂ©e, il fallait :
- ConnaĂźtre des dirigeants qui cherchaient des fonds ;
- Pouvoir accéder à un fonds de private equity.
Et dans tous les cas avoir masse de thunes.
Depuis quelques annĂ©es, plusieurs fintechs ont commencĂ© Ă dĂ©mocratiser ces investissements en diminuant de ticket dâentrĂ©e Ă 1000⏠voir 100⏠: Sowefund, Tudigo, Anaxago, Crowdcube, Lita etc., les noms ne manquent pas.
Le principe est assez simple : les plateformes reçoivent des dossiers, analysent, et proposent les plus intĂ©ressants Ă leur public. Le modĂšle Ă©conomique lâest tout autant : un fee sur lâinvestissement, un autre sur la structuration, parfois sur la gestion, parfois sur la surperformance.
Une rĂ©plique, en moins chĂšre, mais en moins diversifiĂ©e, dâun fonds de private equity.
Le modÚle de Blast reprend tous ces points⊠mais ajoute un abonnement.
Il faut dĂ©bourser entre 1â000 et 10â000⏠pour avoir le droit dâinvestir, avec plus ou moins de frais. Le problĂšme, câest que ça alourdit considĂ©rablement les frais.
En prenant un abonnement bronze, on peut investir au maximum 10KâŹ. Cela veut dire quâau mieux, les frais dâentrĂ©es sont de 10%, pour avoir le droit de mettre 5 Ă 10 tickets, sans rĂ©ellement avoir de visibilitĂ© sur le nombre de deals qui arrivent. Et si le prix de lâadhĂ©sion permet de faire baisser le prix de structuration (la crĂ©ation du SPV), les chiffres de Blast montrent en rĂ©alitĂ© que la performance va ĂȘtre fortement grevĂ©e par les frais.
đž Money, money, money
Parce que Blast facture 4 frais différents :
- Lâabonnement : 1â000 Ă 10â000⏠/ an ;
- Les frais de structuration : 3 Ă 5% sur la collecte, en fonction de lâabonnement ;
- Les frais de gestion : 1% / an / véhicule dans la limite de 5 ans ;
- Une commission de performance (carried) : 20% de la plus-value.
Je nâai pas trouvĂ© de fonds ou de plateformes qui utilisaient ces 4 frais en mĂȘme temps.
Par exemple, Sowefund précise sur sa page dédiée :
- 1,5% de frais de paiement (3% si chĂšque ou PEA) ;
- 3,5% sur la collecte, qui servent Ă la structuration ;
- 19,5% sur la plus-value.
Chez Crowdcube, câest 2,49%, avec un minimum de 2,49⏠et un maximum de 250âŹ, mais aucun SPV nâest crĂ©Ă©. MĂȘme modĂšle chez Lita, avec une commission entre 1 et 3% selon le montant. Les entreprises, par contre, payent des frais. Chez Tudigo, câest entre 7 et 10%, mais les investisseurs, eux, ne payent rien.
Lâabonnement de Blast est un modĂšle assez rare. Si les clubs dâinvestissement sont toujours payants (autour de quelques centaines dâeuros), ils nâimposent ni frais ni limite.
Dans un article des Echos11, Charlie Perreau relĂšve dâailleurs que « Blast.Club prĂ©lĂšve (beaucoup) de frais ».
« Une somme qui n’est pas forcĂ©ment bien apprĂ©hendĂ©e par les investisseurs dĂ©butants, ce qui lui a valu les critiques de nombreux internautes.»
Pour illustrer cette strate de frais, Cleerly prend lâexemple dâun membre Bronze qui investit 5 tickets, dont 1 perte, 1 baisse de 50%, 1 sortie Ă lâĂ©quilibre, et 2 gagnants (x2, x5). AprĂšs tous les frais, sur 5 ans, la plus-value est de 3â000âŹ, soit un rendement de 4% avant fiscalitĂ©, pour un risque énorme.
Parce que bien que les risques associés au private equity soient trÚs élevés, il mentionne que tout en bas de son footer, quand Tudigo ou Sowefund en parlent dans le premier tiers de la page quand ils abordent le « potentiel rendement ». Chez Blast, aucune des pages principales ne mentionne les risques de perte.
Ni la home, ni Le Club, ni Comment ça marche ?, qui explique mĂȘme que la seule mission est « faire gagner un maximum dâargent » et que les « actionnaires [sont] protĂ©gĂ©s ». Pareil sur la page Nos levĂ©es qui affirme que la « seule obsession [câest] la performance ».
Lors du lancement, Blast annonçait mĂȘme une « liquiditĂ© amĂ©liorĂ©e » en permettant de revendre les participations « quand vous le voulez ». Une mention disparue depuis.
Ă lâoccasion de sa « levĂ©e de fonds », dont on reparlera plus bas, Blast affiche dans son deck un CA de 9,2MâŹ. En rĂ©alitĂ©, le CA comptable est de 7,3MâŹ, mais Blast inclut pour 2023 la totalitĂ© des abonnements (payĂ©s en une fois), alors que comptablement, le montant est proratisĂ© sur 12 mois.12
Les 7,3M⏠comptables sont répartis comme ceci :
- 4,2M⏠dâabonnement ;
- 1,2M⏠de frais sur les levĂ©es, ou frais dâinvestissement ;
- 1,2M⏠de frais sur les véhicules, ou frais de fonctionnement / gestion ;
- 366K⏠de frais de structuration, qui sont les frais de structuration depuis lâobtention de lâagrĂ©ment PSFP ;
- 231K⏠de frais WiSEED, rétrocédés ;
- 94K⏠de ârevenu dâassistanceâ, facturĂ©s aux sociĂ©tĂ©s oĂč Blast investit.
Cela amÚne un ratio CA / montant levé de 30%, quand la plupart des concurrents tournent entre 8 et 13% selon la petite dizaine de bilans analysée.
Ces montants ne correspondent pourtant pas aux pourcentages annoncés par Blast. Parce que le total des frais perçus est de 3,099M⏠en 2023 pour 28,9M⏠levés sur 24 projets, soit 10,7%. TrÚs loin des 3 à 5% de structuration et 1% de gestion.
Quant aux adhĂ©sions, Blast indique avoir eu 8â021 membres pour 39,3M⏠levĂ©s depuis sa crĂ©ation. MalgrĂ©, taux de rĂ©adhĂ©sion annoncĂ© de 75%, le nombre dâactifs serait Ă peine de 4â000. Si Ă plusieurs reprises, la plateforme a utilisĂ© le FOMO pour faire croire que les listes dâattentes Ă©taient pleines, les appels rĂ©guliers aux prospects semblaient dire lâinverse.
Reste que cela amĂšne la souscription moyenne Ă 1â042âŹ13. Mais en prenant le CA de 9,2MâŹ, on peut estimer que les abonnements souscrits en 2023 reprĂ©sentent en rĂ©alitĂ© 6,1MâŹ, soit une adhĂ©sion moyenne autour de 1â500âŹ.
En gardant 4â000 membres, cela amĂšne un ticket annuel moyen autour de 7â225âŹ, finalement assez loin des 10K⏠possibles. Le prix dâentrĂ©e paraĂźt donc trĂšs Ă©levĂ©.
Surtout que les 3,099M⏠de frais représentent 775⏠/ personne.
Pour rĂ©sumer, pour un client moyen qui investit 7â225⏠:
- Il doit payer 1â500⏠dâabonnement, soit 20% ;
- Il est facturé de 775⏠de frais, soit 10%.
MĂȘme en prenant large, on arrive Ă des frais astronomiques. Câest certes un business modĂšle trĂšs rentable (pour Blast), mais il parait difficile Ă pĂ©renniser lorsque la concurrence propose la mĂȘme chose⊠sans la barriĂšre de lâabonnement.
La rĂ©alitĂ©, câest que Blast est portĂ© par Anthony Bourbon, M6 et ses « associĂ©s » mĂ©diatiques (qui ne le sont pas), et quâil semble difficile de croĂźtre indĂ©finiment avec ce modĂšle, dĂšs lors que lâĂ©mission sera terminĂ©e.
đ Une croissance Ă grands frais
Dans une présentation, Blast annonce ces chiffres prévisionnels :
En rĂ©alitĂ©, lâEBIDA 2023 est de 2,2MâŹ. Et non 4,9MâŹ.14
Pour 2024, Blast annonce Ă lâAMF « anticiper » +221% de CA (soit 16MâŹ), et un EBITDA de 8,3MâŹ. Pas trĂšs en phase avec ce business plan.
Alors, comment Blast compte sây prendre ?
Spoiler : en ajoutant des frais.
Le premier levier, reste le Club (frais et abonnement inclus) : la plateforme anticipe une croissance de 20 – 25% par an pendant 4-5 ans.
Le second, câest le carried : selon Blast, les premiĂšres sorties pourraient avoir lieu dĂšs 2025. En 2026, le prĂ©visionnel est de 2,6M⏠et augmente chaque annĂ©e trĂšs fortement, jusquâa 35M⏠en 2030, soit plus dâun tiers de CA espĂ©rĂ©.
Mais pour arriver à ses chiffres, il faut activer la collecte. Pour ça Blast compte utiliser les conseillers en gestion de patrimoine et les partenariats (influenceurs, affiliations, etc.), espérant à terme que la distribution représente 25% de la collecte.
Pour attirer les CGP, les rĂ©trocommissions vont ĂȘtre juteuses : Blast prĂ©voit que 50% du CA gĂ©nĂ©rĂ© par les CGP leur soit reversĂ© !
Enfin, la mise en place du marché secondaire permettrait de percevoir entre 400 et 600K⏠de commissions supplémentaires.
Parmi les autres Ă©volutions, le lancement de Blast Angels, pour diversifier lâactivitĂ© Ă lâinternational. Les structures, dirigĂ©es et cofondĂ©es par le fondateur et un ancien cadre de Meero, appartiennent en partie Ă Â Blast. LâEspagne a dâores et dĂ©jĂ Ă©tĂ© lancĂ©e.
Et paf, ça fait des Chocapics, et ça permet de planifier une masse de dividendes :
- 3,7M⏠pour 2023 (non distribués)
- 7,3M⏠pour 2024
- 11,3M⏠pour 2025
- 19M⏠pour 2026
- 26M⏠pour 2027
- 35M⏠pour 2028
- 44M⏠pour 2029
- 55M⏠pour 2030
De bien belles sommes⊠que Blast prévoit justement de partager avec les clients de sa plateforme !
âĄïž Par ici la sortie
Fin 2023, Blast sollicite les membres de son club pour un projet particulier : rejoindre lâaventure Blast auprĂšs dâAnthony Bourbon. Les investisseurs ont quelques semaines pour se manifester, et jusquâau 12 juillet 2024 pour clĂŽturer leur souscription.
Lâinformation provoque quelques malaises dans la communautĂ©. Certains vont se faire rabrouer en privĂ©. Un membre va mĂȘme se faire Ă©jecter du club pour avoir Ă©mis une critique sur cette levĂ©e.
Lâobjectif annoncĂ© par Blast est de « cĂ©der 20% de lâentreprise » valorisĂ©e 150M⏠en promettant un rendement de 18% rien quâen dividendes, et une possible cession parce que des acquĂ©reurs seraient intĂ©ressĂ©s.
Le chiffre de 150M⏠peut paraĂźtre Ă©norme⊠et en mĂȘme temps semble assez cohĂ©rent.
- Le CA nâest pas marginal ;
- La traction est réelle ;
- Lâentreprise est rentable ;
- Le nombre de salariĂ©s nâest pas dĂ©lirant.
Cette valorisation nâa pas Ă©tĂ© faite par un expert indĂ©pendant, mais sur la base dâune Ă©tude dâAvolta15, appliquĂ©e aux prĂ©visions 2024.
Ă titre de comparaison, voici quelques valorisations Ă lâoccasion de levĂ©es, alors que lâĂ©cosystĂšme valorisait assez haut les fintechs :
- WeFunder, mars 21, 160M⏠de valo, 3,7M⏠de CA, -0,9M⏠dâEBIDTA
- Crowdcube, novembre 21, 115MâŹ, 14MâŹ, -1MâŹ
- Republic, octobre 21, 584MâŹ, 65MâŹ, ?
- Start Engine, dĂ©cembre 21, 671MâŹ, 29MâŹ, -1,1MâŹ
- Seedrs, dĂ©cembre 21, 88MâŹ, 9MâŹ, -3,2MâŹ
- Tudigo, janvier 22, 40MâŹ, 4,2MâŹ, 1,2MâŹ
Lors de sa restructuration due Ă son PSFP, Bricks sâĂ©tait valorisĂ© entre 100 et 120MâŹ. Si on regarde du cĂŽtĂ© des concurrents, le CA de Blast reste infĂ©rieur Ă Â Anaxago (10,2MâŹ) ou WiSeed (9-11M⏠estimĂ©s), mais avec un rĂ©sultat net supĂ©rieur.
Mais pour valoriser Blast à ce niveau, il faut croire Ă la capacitĂ© de lâentreprise Ă vivre sans une mĂ©diatisation forte, et Ă lâincapacitĂ© des concurrents Ă se dĂ©marquer en proposant des deals similaires⊠sans abonnement.
Dâautant que les montants collectĂ©s par Blast ne sont pas dĂ©lirants. Si on la compare aux chiffres des 36 plateformes de crowdfunding que nous avons analysĂ©es, Blast serait parmi les plus petits collecteurs avec 30MâŹ. ClubFunding affiche 406MâŹ, Homunity, 152M⏠et La PremiĂšre Brique, 71MâŹ. Du cĂŽtĂ© du crowdequity, Tudigo affichait 40M⏠collectĂ©s en 2022 (prĂšs du double pour 2024), Lita 21MâŹ, WiSeed 77M⏠et 195M⏠pour Anaxago, toutes classes dâactifs confondues, selon diverses sources concordantes.
Par ailleurs, en public, ce chiffre a plusieurs fois variĂ©. En avril 2023, Blast affirmait vouloir lever 100M⏠durant lâannĂ©e, quand moins du tiers a Ă©tĂ© fait. Lors du lancement de Blast en Espagne, le montant de 100M⏠était avancĂ© pour 2023. Quelques mois auparavant, la plateforme communiquait sur 40MâŹ, alors que le chiffre Ă©tait sans doute plus faible.
Mais le malaise des quelques blasteurs ne vient pas des chiffres, mais du verbe utilisĂ© pour qualifier la levĂ©e : « cĂ©der 20% de lâentreprise », ainsi que dâun conflit dâintĂ©rĂȘts Ă©vident : Blast (et ses fondateurs) utilise Blast pour financer la vente de Blast (par ses fondateurs) aux utilisateurs de Blast.
đŁ Un intĂ©rĂȘt, des conflits
La levée de Blast faite sur Blast pose forcément question. Mais plusieurs autres plateformes, comme Tudigo ont déjà fait pareil.
Ces opĂ©rations posent forcĂ©ment la question du conflit dâintĂ©rĂȘts. Ces sociĂ©tĂ©s ont lâagrĂ©ment PSFP donnĂ© par lâAMF, lui-mĂȘme issu dâun rĂšglement europĂ©en.
Lâesprit de la loi, câest de dire que ces plateformes servent de « mini rĂ©gulateur » et font lâintermĂ©diaire entre des investisseurs et des gens qui veulent se financer. Et donc, toujours dans lâesprit de la loi, lâidĂ©e câest de se mettre du cĂŽtĂ© des investisseurs.
La rĂ©glementation, dans son fameux article 8, pose la question du conflit dâintĂ©rĂȘts. Câest dâailleurs ce qui fait que, dans lâesprit, les plateformes de fractionnement immobilier ne peuvent pas ĂȘtre PSFP, puisquâelles financent leur propre projet. Câest pour cela que Bricks a arrĂȘtĂ© dâacheter et gĂ©rer des immeubles, pour financer des projets dâautres personnes, conformĂ©ment au modĂšle obligataire imposĂ© par lâAMF.
Lors de sa levĂ©e en 2023, Tudigo nâĂ©tait pas encore PSFP mais CIF, et nâĂ©tait donc pas soumis Ă cet article. La prĂ©sentation aux investisseurs dĂ©butait par une slide spĂ©cifiquement sur les conflits dâintĂ©rĂȘts, indiquant notamment deux mesures :
- Des chiffres, dont les valorisations, validées par des professionnels indépendants de la société ;
- Un comitĂ© dâengagement, dont Ă©taient exclus les cofondateurs et associĂ©s.
Reste que la structuration de cette opĂ©ration Ă©tait radicalement diffĂ©rente : Bulb In Town (la sociĂ©tĂ© qui gĂšre Tudigo) a crĂ©Ă©Â Tudigo Partners, sur le mĂȘme modĂšle que les SPV de ses investissements habituels : les actions sont les mĂȘmes que celles des fondateurs, un TRI minimum de 10% / an est intĂ©grĂ©, ainsi quâune clause de sortie Ă 5 ans. Les 3,1MâŹ16 levĂ©s ont Ă©tĂ© investis intĂ©gralement dans Tudigo, lors dâune augmentation de capital, sans le moindre cash-out pour les associĂ©s ou cofondateurs, afin de financer la croissance de lâentreprise.
Dans le cas de Blast, il sâagit bien de racheter les parts des 2 cofondateurs, et Ă aucun moment dâamener des fonds dans lâentreprise. Et voici comment.
đ Une structuration pratique
Initialement, le capital de Blast est de 1000âŹ, sĂ©parĂ© Ă parts Ă©gales entre les cofondateurs en 1000 actions de 1âŹ. Fin 2023, les dirigeants choisissent de diviser par 100 le montant des actions. Une opĂ©ration frĂ©quente en cas de levĂ©e de fonds lorsque le capital social est faible, parce quâil permet une rĂ©partition plus souple.
Ă la mĂȘme date, les deux holdings des associĂ©s crĂ©ent Blast Army, dont Anthony Bourbon est directeur gĂ©nĂ©ral, et sa compagne administratrice et prĂ©sidente du conseil dâadministration, mais Ă©galement salariĂ©e de Blast. La sociĂ©tĂ© procĂšde Ă une augmentation de capital de 9MâŹ. Difficile de dire Ă quoi sert ce SPV.
Les statuts du SPV indiquent clairement quâil sâagit de prendre des participations dans Blast. Le capital est initialement de 1â000âŹ, avancer de passer magiquement Ă 37â000âŹ, puis les associĂ©s votent une augmentation de capital de 9MâŹ.
Mais les statuts prĂ©voient deux actions : P et O. Pour ceux qui ont suivi, câest le grand retour des ADP.
Peu importe le nombre qui existent, les votes sont Ă©galement rĂ©partis entre les P et les O, avec +1 pour les P lors quâune AG ordinaire, et deux tiers pour P +1 et 1 tiers pour O en cas dâAG extraordinaire.
Ă la crĂ©ation, il a 2 actions O (ordinaires) et seulement 37â000 P (de prĂ©fĂ©rence).
Quant aux actions O, elles sont rĂ©servĂ©es aux « membres du Blast Club », et en cas de revendique, les porteurs dâactions P ont un droit de prĂ©emption.
En janvier 2024, Blast Army 2 est crĂ©Ă© sur le mĂȘme modĂšle, avec les statuts.
Pourquoi ? Pour des raisons réglementaires.
Blast veut lever 30MâŹ, et que ça nâest pas possible via son agrĂ©ment PSFP qui limite les montants collectĂ©s. En dessous de 8MâŹ, il est assez aisĂ© de lever des fonds. Mais au-delĂ , câest plus compliquĂ©. Jâavais évoquĂ© ce sujet au moment des 15M⏠levĂ©s par Bricks. LâAMF Ă©tait finalement intervenue, et la somme avait Ă©tĂ© ramenĂ©e Ă 8MâŹ.17
Pour lever 30MâŹ, Blast va passer par le prospectus. Pour ceux qui sont arrivĂ©s ici par hasard (et qui sont pas dĂ©jĂ partis), rien Ă avoir avec celui de Leclerc pour les cadeaux de NoĂ«l. Câest un machin chiant, sans image, de 120 pages, que personne ne lit, mais quâen cas de problĂšme on te dit âbah fallait le lire, câĂ©tait Ă©critâ.
En tout cas depuis juillet 2018 et la rĂ©glementation Prospectus 3 (si tâas pas vu le 1 et le 2, câest pas grave), il faut faire ce document quand tu cherches Ă collecter plus de 8MâŹ.
En rĂ©alitĂ©, Blast Army (premier du nom) avait dĂ©posĂ© un DIS (non public) Ă lâAMF, pour collecter 7â965â377âŹ. Le ticket dâentrĂ©e Ă©tait alors de 100â000âŹ. Puis Blast Army 2 a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour faire entrer la communautĂ© plus largement.
Objectif : cĂ©der 17,350% des actions Blast dĂ©tenues par les cofondateurs, pour 32,9MâŹ
Avec un minimum de 21,45M⏠(13,013%) et un maximum de 32,9M⏠(19,958%)
Encore une fois, il sâagit bien de racheter des actions aux cofondateurs, câest-Ă -dire un cashout, et non de faire une levĂ©e pour financer lâentreprise. MĂȘme si en rĂ©alitĂ©, ces montants ne sont pas ceux qui seront perçus par les cofondateurs puisque⊠Blast va prendre 9% de commission sur la transaction. Entre 1,9M Ă 2,9M selon les scĂ©narios de collecte, soit 10 Ă 15% du prĂ©visionnel 2024, Ă©niĂšme conflit dâintĂ©rĂȘts.
đ„ La gestion des intĂ©rĂȘts
Le conflit dâintĂ©rĂȘts nâest Ă©videmment pas cachĂ©. Sur les 117 pages du prospectus, les cofondateurs et leurs sociĂ©tĂ©s ont omniprĂ©sents :
- 38x Samuel Guez
- 65x SHSF sa holding
- 6x SG Limited, son autre holding
- 57x Anthony Bourbon
- 65x AB Participation, sa holding
Il est clairement indiqué que les deux cofondateurs :
- Sont parties prenantes des deux cÎtés ;
- Sont directement intéressés par la valorisation ;
- Dirigent toutes les parties prenantes ;
- Et auront toujours la majorité des voix dans tous les cas.
Plus largement, il a peu de doutes que les investisseurs savent qui ils financent. Mais savent quâils que le SPV qui va racheter les actions sera toujours gĂ©rĂ© par ceux quâils financent ?
Dans sa dĂ©claration Ă lâAMF, Blast dĂ©clare :
« Il est prĂ©cisĂ© que des actions ont Ă©tĂ© mises en place dans le cadre de la gestion des conflits dâintĂ©rĂȘts de BLAST, en sa qualitĂ© de PSFP. »
Impossible de savoir lesquelles.
Parce que la suite du document indique :
« Aucun projet portĂ© par ces sociĂ©tĂ©s [dâAnthony Bourbon] ne pourra donc ĂȘtre proposĂ© sur la plateforme BLAST. »
Câest pourtant prĂ©cisĂ©ment le cas du financement de ce cash-out. Les mesures indiquĂ©es aprĂšs prĂ©cisent que les salariĂ©s, dirigeants ou actionnaires Ă plus de 20% de Blast, devront se faire connaĂźtre en cas de projet financĂ© sur Blast, et que ça ne devra pas dĂ©passer 10% de la collecte. Ce qui est le rĂŽle de la plateforme en tant PSPF, mais ne rĂ©pond pas Ă la question de ce financement ni de la gouvernance de son SPV.
đ«Ł Here we go again
LâAMF ayant approuvĂ© le montage, il est donc rendu parfaitement lĂ©gal. Mais cela pose une nouvelle fois la question de private equity ouvert au plus grand nombre.
CrĂ©er un jeu de sociĂ©tĂ© Ă partir dâune Ă©mission de tĂ©lĂ©, câest rigolo et ludique. Mais en faire une entreprise dâinvestissement, qui vend des produits complexes, câest une tout autre histoire.
En moyenne, 1,8M de personnes qui regardent Qui veut ĂȘtre mon associĂ© ?. Loin de moi lâidĂ©e de dire quâils sont dĂ©biles, ou quâils ne devraient pas avoir accĂšs Ă autre chose quâun LDD et un Livret A. Mais personne ne devrait pouvoir investir en equity sans avoir compris ce quâest un pacte dâassociĂ© ou la liquidation prĂ©fĂ©rentielle.
Historiquement, les KYC devaient en partie servir à ça : tester les connaissances du client, et mesurer lâadĂ©quation entre son profil de risque et le placement. Ils ne sont guĂšre plus quâun outil au service de la LCB-FT.
Reste que cette levée pose pas mal de questions.
Sur le modĂšle de Blast. Vendu comme une Ă©norme innovation, câest aujourdâhui surtout une communautĂ© trĂšs chĂšre de fans qui Ă©changent (un affirme mĂȘme avoir trouvĂ© un associĂ© dans le club) et investissent dans des deals, dont au moins 2 avaient Ă©tĂ© refusĂ©s par des plateformes gratuites concurrents.
Sur la capacitĂ© de Blast à  exister sans Anthony Bourbon. Son nom et sa photo sont partout. Pas une seule page sans quâil soit nommĂ©. Pourtant, son risque de dĂ©part est notĂ© comme « faible » et lâimpact « modĂ©rĂ© ». Non seulement Blast est intrinsĂšquement liĂ© Ă la personne dâAnthony Bourbon, mais surtout Ă son exposition mĂ©diatique, qui aura forcĂ©ment une fin.
Sur le paradoxe de la levĂ©e de Blast. Si le projet est si rentable/pĂ©renne et que tant quâacteurs sont intĂ©ressĂ©s par un rachat, pourquoi cĂ©der 20% pour une valo 4 Ă 5 fois infĂ©rieures Ă ce quâelle pourrait ĂȘtre dans 1 ou 2 ans, selon le business plan en gardant les mĂȘmes multiples ?
Sur lâironie de la levĂ©e de Blast. Parce que le deck est trĂšs clair : venir investir dans une boĂźte super rentable. Sauf que la rentabilitĂ© vient prĂ©cisĂ©ment de lâaccumulation de frais facturĂ©s Ă ceux Ă qui lâon propose dâinvestir.
Une chose est sĂ»re, quoi quâil arrive : le grand gagnant sera toujours Anthony Bourbon.
- Blast.Club, le nouveau projet d’Anthony Bourbon le fondateur de Feed, Charlie Perreau, Les Ăchos, 15 septembre 2022
â©ïž - Interview Ă Konbini, 24 juin 2024
â©ïž - Anthony Bourbon, ancien SDF devenu millionnaire, intĂšgre le jury de « Qui veut ĂȘtre mon associĂ© ? », France Info, 5 janvier 2022
â©ïž
Fins de mois : « Lâargent qui tombe du ciel est super dangereux », Guillemette Faure, Le Monde, 11 janvier 2020
â©ïž- Forcez votre destin, Anthony Bourbon, Michel Lafon, 2022
â©ïž - Qui veut ĂȘtre mon associĂ© : ont-ils vraiment versĂ© l’argent ? (NON), juin 2024
â©ïž - Les deals de lâĂ©mission proviennent de sa page Wikipedia. Le suivi provient des Ă©lĂ©ments dĂ©posĂ©s auprĂšs des greffes, le plus souvent accessibles sur Pappers.
â©ïž - LâĂ©mission a Ă©tĂ© diffusĂ©e en janvier, et enregistrĂ©e fin 2023. Il est possible que ces deals ne soient pas encore signĂ©s, oĂč pas encore publics.
â©ïž - Ou ex-compagne, selon les interviews, qui est Ă©galement administratrice de Feed.
â©ïž - Special Purpose Vehicle, vĂ©hicule dâinvestissement qui permet sâisoler un investissement dans une sociĂ©tĂ© Ă part du gĂ©rant.
â©ïž - Les communautĂ©s d’investisseurs, nouvelle tendance dans la French Tech, Charlie Perreau, Les Ăchos, 21 mars 2023
â©ïž - Ce nâest ni un mensonge, ni une omission de Blast, lâexplication est clairement indiquĂ©e sur le deck.
â©ïž - Les calculs prennent volontairement un nombre de membre bas, mais cohĂ©rent. Cela rend plus flatteurs les moyens suivants. En gardant les 8000 membres revendiquĂ©s, les moyennes sâeffondreraient.
â©ïž - La diffĂ©rence est probablement due au mĂȘme effet de manche que le CA et les abonnements non proratisĂ©s.
â©ïž - VC & Exit Multiples, France 2023, 2023, Avolta
â©ïž - Financement participatif : Tudigo boucle une levĂ©e « pas indispensable » de trois millions d’euros, La Tribune, 3 fĂ©vrier 2023
â©ïž - Sans lien, Ă©videmment, avec ma propre intervention.
â©ïž