Bonjour à tous,
Avant de plonger définitivement dans 2024, je voulais revenir une dernière fois sur 2023.
Plus tendance que les César, plus funky que les Victoires de la Musique, plus sélect’ que les Oscars, je vous présente aujourd’hui la première édition des Bullshit d’Or 2024.
Pour cette première édition, le jury présidé et composé de moi-même a sélectionné le meilleur du pire de 2023. J’espère n’avoir rien oublié, et sachez que dès à présent (et tout au long de l’année) vous pouvez proposer vos nommés pour l’édition suivante !
Allez, sans plus attendre, on commence avec la première catégorie.
🥇 Prix du meilleur banquier
Alors que Christine Lagarde (BCE) expliquait que l’inflation est “venue de nulle part”, François Villeroy de Galhau (Banque de France) expliquait lui qu’elle allait “redescendre sous 2 % en rythme annuel d’ici la fin 2022”. Avant de finalement dire en mars dernier que ça serait “d’ici à fin 2024 ou fin 2025”.
Bref : un jour.
Pas de quoi perturber le fonctionnaire le mieux payé de France (plus que le patron de la FED), mais de quoi égaler notre Chrichri d’amour et d’obliger la rédaction au premier prix ex aequo.
Était également nommé Gregory W. Becker, ex-CEO de Silicon Valley Bank, pour son incroyable travail pour la chute de sa maison. Et mention spéciale à son CFO Joseph Gentil, qui était directeur financier de la banque d’investissement de Lehman lors de son effondrement. Beau CV.
🥇 Prix de la plateforme de crowdfunding
La concurrence était dure pour les plateformes de financement participatif. Parce que non seulement les défauts de PME ont explosé, mais la France a la particularité d’avoir une part très importante de financement immobilier. Et le retournement de marché a provoqué une crise majeure chez les marchands de biens dont les plateformes expliquaient pourtant que s’ils se finançaient à 12%, il n’y avait pas de risque particulier !
Mais un acteur s’est largement démarqué cette année, une fois de plus : c’est évidemment Bricks. Constant sur le bullshit, l’entreprise de Cédric O’Neill a fait un virage fort après avoir été contrainte par l’AMF d’abandonner son modèle de royalties. L’entreprise a même dû revoir sa structure sociale afin d’éviter les conflits d’intérêts et obtenir son agrément PSFP.
De quoi repartir sur de bonnes bases ?
Heureusement pour les Bullshit Awards : non.
Après 6 mois sans projet, Bricks a lancé deux projets (financés à 7% quand les autres plateformes affichent le double) pour 1,2M€ au Portugal (où une directrice générale avait été nommée l’année précédente) dont le porteur de projet n’est autre… que le frère de Cédric O’Neill. Heureusement, dit l’entreprise, un “comité d’investissement expert” a été nommé pour vérifier la fiabilité des dossiers.
Ouf.
Fin 2023, le comité validait le projet “Appartement Voltaire”, un Airbnb à La Ciotat refinancé à 7,5% avec un rendement affiché de… 33,5%, grâce à un porteur de projet qui a multiplié le prix de sa nuit par 365.
Un mois plus tard, un investissement à Paris affichait 25,5% de rendement, puis un 2e 18,6%.
Heureusement que l’année s’est clôturée avec un 3e investissement à Lisbonne du frère pour moins de 600’000€ via 3 coquilles vides sans bilan pour à peine 19% de rendement, sinon j’aurais douté du sérieux du comité.
Note : à quelques semaines près, Mazar échappe à sa nomination pour son rapport qui omet les défauts.
Note 2 : je reviendrai bientôt sur les chiffres réels du secteur, et notamment les retards et défauts.
🥇 Prix du groupement économique
Le 1er jour, l’Homme créa le troc.
Le 2e jour, les banquiers créèrent la monnaie.
Le 3e jour, c’était déjà le bordel sur les marchés financiers.
Le 4e jour, c’était la crise des subprimes.
Alors le 5e jour, le Monde Moderne créa le Financial Stability Board afin que plus aucune banque systémique ne fasse défaut.
Sauf que 10 ans après une des 30 banques systémiques s’effondre.
Situé non loin du lac Lehman, le Crédit Suisse a fait frétiller les caleçons des traders pendant tout le mois de mars en faisant de son CDS “une pente que j’aimerais pas remonter en vélo” selon mon oncle bourré.
La Banque Nationale Suisse fait un chèque de 100mds pour aider UBS à racheter son concurrent, la BCE salue une réaction rapide, tandis que le FSB… euh.
Bah rien.
Il a juste serré les fesses en espérant que Deustche Bank tienne.
Pari gagné.
Pari récompensé.
🥇 Prix du meilleur CEO
Le meilleur CEO est une CEO. Évidemment nommée parmi les 30 Under 30 de Forbes (comme SBF, Caroline Ellison, Nate Paul, Martin Shkreli, Elizabeth Holmes etc.), Charlie Javice avait fondé Frank en 2016 pour aider les étudiants à s’endetter un peu plus.
Après avoir fait croire qu’elle était liée avec le gouvernement américain, arrêté de payer quelques salariés, Javice a vendu sa boite pour 175M$ à JPMorgan tout en restant DG. Un poste qui lui a permis de continuer à maquiller les chiffres et les comptes jusqu’en 2023. Date à laquelle la banque a découvert que 4 millions d’étudiants de Frank… étaient en réalité juste une liste achetée 18’000$ quelques années plus tôt, uniquement dans le but de vendre sa boite.
On peut également féliciter l’équipe M&A de JP pour la qualité de ses dues diligences.
🥇 Prix du bullshit réglementaire
Même si les régulateurs du monde entier se sont passé le mot pour raconter n’importe quoi sur les cryptos (pour au final ne rien faire), le bullshit suprême revient à l’AMF pour son étrange application du règlement européen sur le crowdfunding.
L’autorité française a décidé toute seule comme une grande de siffler la fin des royalties pour obliger les plateformes à devenir PSFP, quand bien même ce n’était pas leur modèle.
Parce que le modèle royalties permettait à des acteurs d’acheter un bien, de l’exploiter, et de reverser une partie des revenus. Le modèle obligataire que l’AMF rend obligatoire (héhé) n’a en réalité… jamais été pensé pour ce type de projet, et la France tente de faire des carrés dans des ronds.
Étonnamment, ça ne marche pas, et tous les acteurs cherchent des moyens de contourner le modèle. Le régulateur est à deux doigts de découvrir que ceux qui financent des opérations financières de marchands de biens n’ont pas le même métier que ceux qui achètent et exploitent des biens.
Mais en attendant, l’AMF a quand même un avis. Et il a valeur légale.
🥇 Prix spécial pour l’ensemble de son œuvre
Note : cette récompense ne tient pas compte des exploits de 2024.
Note 2 : ce gérant ayant demandé à LinkedIn de supprimer un de mes posts le concernant, j’espère qu’il ne fera pas de même avec cette newsletter.
Il y a des lauréats qu’on peut récompenser pour un fait précis… et d’autres qui ont survolé l’année. Et quand on parle de bullshit, comment ne pas penser à Primonial ?
Distribué par la quasi-totalité des conseillers en investissement, récompensé par toutes les cérémonies financières où il faut payer 5’000€ pour arborer le logo, le gérant aux 21mds€ d’encours a été un modèle toute l’année.
Tout d’abord dans ses rapports de gestion de SCPI publiés mi-2023 qui ne donnent pas un mot des perspectives négatives. La gérante explique même que :
“Primonial REIM France se trouve très bien positionnée à cet égard, fort d’une dynamique de collecte et d’un capital lui permettant d’investir sans recourir systématiquement au financement.”
Même combat sur Capimmo qui aura attendu la rentrée 2023 pour enfin communiquer sur la baisse dramatique de ses actifs et annoncer en catastrophe un plan de cession.
Évidemment, gros Big Up aux assureurs, que le CoMoFi oblige à porter la liquidité des assurances-vie, et qui tape dans l’argent des épargnants pour la créer !
Pour finir, énorme carton rouge à Alain Tarevella. Le patron-fondateur d’Altarea avait annulé le rachat de Primonial quelques heures avant de signer le deal final. Les dirigeants de Primonial ont abondamment fait fuiter les chiffres du préjudice sans jamais donner de détail sur les raisons.
Un revirement spectaculaire et visionnaire qui se doit d’être dénoncé.
Je raconte quoi moi, sinon ?
🥇 Prix du meilleur espoir masculin
Who else ? Après avoir été élu Produit de l’année par le Medef et fait la une de Candeurs Actuelles, Bruno Le Maire a été désigné Meilleur Ouvrier de France dans la catégorie “Cireur de pompes de banquiers”. S’il est passé de peu à côté du Goncourt pour son roman érotique Fugue américaine, écrit entre un RDV avec Zuckerberg et un déj’ avec Larry Flynt Fink, le ministre de l’Économie ne démérite pas.
Sa prestation dans “On va changer le calendrier des DPE” et sa suite le soir même “Ah bah en fait non”, pourrait le classer parmi les meilleures sorties de Marlène Schiappa, et le place parmi les favoris de la course présidentielle de 2027.
Non je déconne.
Mais lui, il y croit.
Au point qu’il affirmait, il y a quelques que « nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ».
À leur place je ferais gaffe : il a vachement bien réussi chez nous.
🥇 Prix du meilleur communiqué de presse
C’est clairement la catégorie la plus disputée, tant le métier même d’écrivain de communiqué de presse est teinté de bullshit.
Mais le 27 février 2023, c’est le Marcel Proust des relations presse qui va rédiger pour La Défense.
Dans une communication intitulée “année exceptionnelle sur les prises à bail et livraison d’actifs primes”, l’établissement public se félicite d’une augmentation des nombres de m2 loués à La Défense. Une formulation alambiquée précise que “la moitié des transactions réalisées sont exogènes au territoire”, indiquant donc que les baux… ne sont même pas en réalité sur le secteur.
C’est le cas par exemple d’Arkema (cité dans le communiqué), dont le siège… est à quelques mètres du transilien La-Garenne-Colombes. On est à plus de 25 minutes à pied de la première tour de La Défense. Pareil pour Costa (cité également), qui est à Rueil-Malmaison. Il faut 15 minutes en voiture pour rejoindre El Famoso Bd Patrick Devedjian. Sans les embouteillages.
Mais le saphir brut du bullshit se situe en fin de texte. Alors que le taux de vacance était d’à peine 5% en 2010, le département presse conclut ainsi :
“Avec un taux de vacance d’environ 15%, le quartier d’affaires renoue avec un niveau élevé de disponibilité des surfaces.”
Ouais. En vrai de vrai, les mecs expliquent que c’est HYPER COOL si le taux de vacance vient de faire x3 parce que, du coup, y’a max de place.
Citant un grand poète départemental, le site Défense-92.fr titrera “La Défense garde la pêche”.
Pas mieux.
🥇 Prix de la startup en France
Sans aucun doute la catégorie la plus disputée cette année. Étaient nommés :
- WeWork aka “fermera-fermera-pas?” pour sa communication désastreuse pendant tout 2023, avec une mention spécifique à WeWork France qui a fermement démentie mon information disant que des centres allaient fermé… avant de fermer celui de La Défense en scred ;
- Luko qui pensait monter une licorne pour se vendre à un assureur pour 10mds€ et s’est vendu comme un âne pour quelques écus ;
- Les Agences de Papa qui changent tellement de modèle qu’on dirait Leonardo Di Caprio, avant de finir dans un bullshit metamerdique auquel même eux ne croient plus ;
Mais c’est Masteos (et ses VC) qui est le grand gagnant de la catégorie, pour sa splendide levée de fonds de 12M€ début 2023, 6 mois seulement après avoir levé 40M€.
L’occasion de proposer aux salariés de devenir actionnaires… Mais également de faire une levée communautaire (1,5M€).
Pourtant l’entreprise, très loin de la rentabilité, a passé la moitié de l’année à courir avec de l’argent pour éviter de sombrer, avant d’être récemment vendue à la barre à Novaxia pour 1M€.
🟥 Carton rouge à Thierry Vignal qui se lance depuis décembre 2023 dans une grande opération transparence, où il explique ouvertement les erreurs qu’il a commises et prend sur lui une grosse partie de responsabilité. C’est très honnête et sain, mais ça le rend inéligible à un Bullshit Award à titre personnel.
🥇Prix du meilleur lobby
Les lobbies refusent de dire qu’ils sont des lobbies parce que c’est un gros mot. Ils parlent d’assurer ou de grouper des “intérêts”, ce qui veut dire pareil, mais évite que le commun des mortels sache de quoi on parle.
Parmi eux, l’Aspim (Association française des sociétés de placement immobilier) qui représente les gérants de SCPI et OPCI. Ses membres avaient été sommés avant l’été par l’AMF de mettre à jour leur prix de part, afin de coller à la baisse des prix de l’immobilier.
Dès juin, Amundi et BNP avaient appliqué cette directive, jetant une certaine stupeur sur le marché avec des décotes jusqu’à 17%. Leurs petits copains… ont largement fait trainer, en espérant ne pas stopper trop tôt la collecte, ce qui n’est pas loin de l’escroquerie pour ceux qui ont investi entre temps, au passage.
Mais en septembre, alors que tout le monde a ENFIN mis à jour ses prix, Jean-Marc Coly, président de l’Aspim et ancien DG de 3 gérants (Cogedim, Amundi, La Française) félicite ses adhérents.
Mieux. Selon des propos rapportés par Gaétan Pierret de l’Agefi, Coly “salue le courage” des sociétés de gestion qui ont annoncé 14 baisses.
21 autres suivront.
Ce qui était donc une demande et l’AMF et une obligation réglementaire.
Était également nommée :
- La Fédération bancaire française, pour avoir obtenu la non-augmentation du Livret A, et donc la non-application de la formule pourtant réglementée, afin d’éviter que les placements garantis soient trop hauts (et qu’ils puissent plus refourguer des merdes)
🥇 Prix du meilleur VC
Softbank est un modèle de bullshit, mais avec un courage certain. Parier sur des boites nulles, mal timer le marché, se faire embobiner par des beaux parler, de faire en sorte de systématiquement trouver les perles rares de la paume, c’est pas un talent commun. Mais le faire avec le pognon de Mohammed ben Salmane qui va jusqu’à tokenizer des journalistes et des opposants demandant un sang-froid que peu de gens ont.
Enfin… jusqu’à ce qu’ils se fassent tokenizer, justement.
On peut regretter l’IPO d’Arm qui permet à son principal fonds (VF1, 100mds$ levés) de repasser pour la première fois dans le positif. Mais bon, on commet tous des erreurs.
🥇 Prix du bullshit public
Parmi les nommés de cette catégorie, on retrouvait la fiscalité immobilière étrillée par le rapport De Courson / Labaronne ou encore les splendides 113 pages cinglantes du J’Accuse de la Cour des comptes attaquant la (non) politique immobilière du foncier de l’État, avant de se taper la FATALITY du CPO en décembre.
Mais le grand gagnant est d’un autre niveau.
Parce que non seulement c’est un immense échec, qui va finir par tous nous mettre dans la merde, mais il est en plus mis sur un piédestal, tel Thomas Pesquet qui redescend sur Terre (alors que Patrice Vergriete, toujours pas).
J’ai nommé (et récompensé) : MA PRIME RENOV’.
Alors qu’on doit rénover énergétiquement 1,26M de logement par an pour tenir notre objectif de neutralité carbone en 2050, qu’Emmanuel Macron a fixé un objectif (on ne sait comment) de 700’000 logements, l’Anah s’est félicitée de 650’000 rénovations en 2022, puis de moins de 595’000 en 2023.
D’aucuns hurleront à la baisse du budget Ma Prime Rénov’. Mais ceux-là savent-ils que même avec le rabot d’1mds€, le budget ne serait de toute façon par entièrement consommé ?
Parce que personne n’y comprend rien. Une rumeur affirme même que Guillermo Del Toro a eu l’idée du Labyrinthe de Pan en tentant de faire changer ses fenêtres.
Le résultat est une catastrophe écologique, politique et financière. Surtout quand on lit pour de vrai le rapport de l’apport et qu’on voit que moins de 10% concernent des travaux d’ampleur, qui sont les seuls qui ont un intérêt énergétique.
Un rapport que visiblement personne n’a lu1, parle lui de moins de 6% des rénovations financées aboutissant à un saut d’au moins 2 classes de DPE.
Un bullshit à 2,5mds€.
💪 À l’année prochaine,
Bravo à tous les nominés, et surtout aux lauréats parce qu’il y avait une belle concurrence.
Je n’ai aucun doute que ceux qui ont perdu feront le nécessaire pour 2025 !
- Comité d’évaluation du plan France Relance, RAPPORT FINAL Volume II – Évaluation des dispositifs, CHAPITRE 6 LE DISPOSITIF MAPRIMERÉNOV’, janvier 2024 ↩︎