Sémantique du bullshit : l’éloge paradoxal du mérite
L’une de mes inepties sociales préférées réside dans l’idée de la méritocratie. Ce concept semble tenir en un mot : méritocratie. Lorsque Pap Ndiaye est devenu ministre, il a déclaré fièrement : « Je suis un pur produit de la méritocratie », suscitant un mélange d’admiration et de scepticisme. Cette phrase, on la retrouve souvent dans les médias, surtout chez des personnalités politiques de droite.
Origine et évolution du mot
Le terme « méritocratie » a été inventé par Michael Young, auteur de l’essai-roman The Rise of the Meritocracy. Dans ce livre, il critique le système éducatif britannique, qui favorise ceux qui réussissent le mieux académiquement, créant ainsi une société hiérarchisée et élitiste. Cette structure éducative pousse ceux qui réussissent à dominer ceux qui ne réussissent pas, menant à la formation de castes sociales.
La définition floue du mérite
Personne n’a jamais su définir objectivement ce qu’est le mérite. Ce concept semble lié à la supposée conséquence entre effort, travail, et récompense. On mérite quelque chose dès lors qu’on a accompli une action jugée positive par une autorité. Par exemple, un bon élève mérite ses bonnes notes parce qu’il a fait ses devoirs. Cependant, cela induit un sophisme de réciprocité : celui qui a de mauvaises notes les mérite aussi, car il n’aurait pas assez travaillé.
Mérite et héritage : une contradiction flagrante
Selon une étude, 34% des Français sont attachés à la valeur du mérite. Paradoxalement, 54% des mêmes Français pensent qu’il faudrait moins taxer l’héritage, qui est l’antithèse de la méritocratie, puisque celui qui hérite n’a rien fait pour le mériter. Les études sociologiques montrent clairement que les résultats scolaires sont fortement liés au milieu social des parents et à l’accessibilité à l’éducation.
Méritocratie ou héritocratie déguisée ?
La méritocratie semble être une héritocratie déguisée, permettant à ceux qui perpétuent l’ordre établi de se légitimer en expliquant pourquoi ils sont ce qu’ils sont. Ainsi, ils peuvent blâmer ceux qui n’ont pas réussi, en affirmant que c’est de leur faute. La méritocratie repose sur un argument d’autorité : « Je suis ce que je suis, parce que je l’ai mérité. » Cet argument ne nécessite aucune preuve, car des décennies de politiciens l’ont martelé.
Une révolte à l’horizon ?
Michael Young avait prédit que le peuple devrait se révolter en 2033. Une étude que j’ai commandée, basée sur un échantillon représentatif, montre que cette révolte pourrait bien arriver plus tôt que prévu.