J’avais commencé à m’attaquer au sujet Indexia/SFAM en octobre dernier après avoir reçu plusieurs e-mails et messages privés sur les pratiques de l’entreprise.
Problème : à chaque fois que j’ai creusé, et que j’ai rencontré quelqu’un, les ramifications étaient immenses, et le nombre de témoignages incalculables.
Depuis des mois, je compile donc des informations, des témoignages, des documents, etc., pour tenter de donner un sens à tout ce merdier.
Mercredi soir, comme pas mal clients dont je vais reparler après, j’attendais donc la décision du tribunal de commerce, qui faisait comparaitre SFAM pour la 68e fois (!) en 5 ans. La 16e fois en 2024, après 37 jugements en 2023.
En cause ? Une dette URSSAF de 11,76M€. Et à la surprise générale… le tribunal a liquidé l’entreprise à la barre ce mercredi 24 avril 2024.
La fin de SFAM, mais pas (encore) d’Indexia… et encore moins des problèmes de ses clients.
Retour sur ce qui ressemble à une escroquerie organisée depuis des années.

À l’origine…
L’histoire est belle. Fils d’ouvriers tunisiens (père chauffeur routier, mère femme de ménage) qui ont quitté leur pays pour rejoindre la Drôme, Sadri Fegaier passe un BTS en assurances et se lance dans l’entrepreneuriat. Alors que le monde change de siècle, Fegaier emprunte 50 000 francs et ouvre un magasin de téléphonie mobile.
En tout cas c’est ce que raconte la légende que Fegaier écrit lui-même via des publicommuniqués qui servent de source aux articles écrits sur lui.
À l’époque, le leader du secteur s’appelle The Phone House, et le marché n’est pas encore mature. L’entreprise a été cofondée par 2 associés en 1996 :
- Pierre Cuilleret, qui se retire en 2000, avant de diriger Micromania (et le vendre à Gamestop) ;
- Et Geoffroy Roux de Bézieux, qui quittera l’entreprise en 2004, et deviendra patron du MEDEF entre 2018 et 2023.
Rapidement, Fegaier ouvre plusieurs magasins dans sa région, qui prennent tous la marque SFR.
Mais c’est en 2010 que le tournant arrive. À cette époque, le leader est toujours le même, porté par son nombre de points de vente… mais pas seulement. Parce que comme tout retailer, les revendeurs de téléphones margent peu. Beaucoup plus sur la vente d’abonnements. Mais le génie de The Phone House est ailleurs : vendre des assurances pour assurer les clients, qui achètent des produits de plus en plus chers.
En cas de perte, de vol, de casse : l’appareil est protégé.
Fegaier est séduit par l’idée de cette vente additionnelle particulièrement lucrative.
D’autant que si l’assurance est risquée par essence, puisqu’il faut payer en cas de sinistre… ça l’est beaucoup moins quand on fait tout pour ne jamais payer.
Et plus si affinitaire…
Au début des années 2010, le marché de l’assurance affinitaire collecte déjà plus d’1mds€ de primes par an. Près de la moitié concerne les produits nomades, quasi exclusivement des téléphones mobiles. En 2014, 420M€ de primes assuraient des portables sur les 1052M€ collectés. Le reste tourne principalement autour des moyens de paiement. Ces chiffres excluent les extensions de garantie.1
Mais dès 2013, la FFSA2 pointe les dérives du secteur. Dans un rapport, la fédération parle d’une augmentation de 450% des plaintes depuis 2010. La téléphonie mobile concentre à elle seule 6,2% des plaintes reçues sur son médiateur, devant les assurances voyages ou constructions. Un chiffre qui augmentera d’année en année… jusqu’à ce qu’il ne soit plus mesuré.
Parce que pendant des années, les assureurs ont ajouté des clauses et des étapes pour ne jamais avoir à rembourser : détenir la facture originale (et non une copie), déclarer le sinistre dans une durée très courte, pouvoir démontrer telle ou telle cause, etc. Des demandes qui vont bien au-delà des usages habituels des assureurs.
Est-ce que Fegaier avait cette idée en tête quand il décide de lancer SFAM en 2009 ? Aucune idée.
Reste qu’en 2012, l’arrivée de Free Mobile tue le modèle des boutiques. Jusqu’ici ces distributeurs prenaient une double marge, sur la vente de forfaits très chers, mais également sur la vente liée des téléphones. À l’époque Orange pèse plus de 50% du CA de Phone House.
Fin 2012, Phone House ferme 79 des 265 magasins. Fegaier suit la même tendance pour se concentrer sur son activité assurantielle. SFAM devient donc MIA3 puis COA4 : en gros, courtier. Deux assureurs vont lui créer des produits sur mesure : Axeria et MMA.
Le début d’une nouvelle ère !
To ze moune
En 2016, SFAM prend une autre dimension et accélère sa croissance. Edmond de Rosthchild IM entre au capital, voyant le potentiel d’un groupe qui multiplie les partenariats. Andera Partners fait de même. Selon un acteur de l’époque, la valorisation tournait autour de 100M€.
La stratégie est simple : tout ce qui est petit et cher peut être assuré.
Si l’entreprise est déjà distribuée par SFR et Orange pour le mobile, elle se lance également dans les lunettes avec Affelou, ou dans l’assurance de tous les produits tech avec Fnac. SFAM assure également les permis de conduire, en remboursement des stages de récupération de points, mais également l’atteinte à l’e-réputation, l’usurpation d’identité, etc.
Fin 2016, SFAM inaugure des bureaux flambants neufs à Romans-Sur-Isère, toujours dans la Drôme, payés plus de 8M€.
J’avais à l’époque visité les locaux. Modernes et spacieux, ils offrent tout le confort que généraliseront plus tard des espaces comme WeWork. À l’intérieur, on croise principalement des jeunes, beaucoup d’hommes, le plus souvent en costume cintré avec une chemise déboutonnée faussement décontractée.
Ce que me décrit un ex-salarié, depuis licencié.
Tout le monde était fier de travailler ici, parce que c’était un peu l’ascenseur social promis. Y’avait beaucoup de rebeus et de gens issus de milieux défavorisés. C’était une vraie volonté de Sadri, et franchement c’était cool. Par contre ça créait une sorte de compétition permanente portée par un seul truc : le chiffre.
Mais pendant ce temps, les réclamations contre SFAM explosent. Partout sur internet on retrouve des centaines de messages se plaignant d’une assurance qui refuse d’indemniser, mais également des plaintes contre les autres abonnements du groupe.
Pour accroître le nombre de contrats, Indexia rachète à B2S (devenu Izium) en 2016 un centre d’appel à Roanne. Puis un 2e en 2018, à Armatis.
Parce que désormais, Indexia ne se limite plus à l’assurance. Des tas de filiales se créent avec les années :
- Foriou, qui propose un abonnement (10 à 100€ / mois) pour obtenir des remises chez des commerçants ;
- Serena / AMP, qui vend des abonnements pour des évènements dits “VIP” pour 90€ / mois sous la marque Pack Sensation ;
- Cyrana, qui semble faire pareil que Foriou ;
- Celside, courtier en assurance… qui n’est un énième renamming de SFAM ;
- Hubside, qui a l’origine, vendait des sites internet (par abonnement évidemment, entre 6 et 100€ / mois)… avant d’ouvrir aussi des magasins de téléphones.
Un sacré réseau aux modèles qui tendent à se ressembler un peu et à se croiser. Nombreux sont les clients qui ont un abonnement d’un côté, et qui s’en voient proposer un d’une autre marque.
Au point qu’ils ne savent plus trop ce qu’ils payent.

En bande organisée, personne peut les canaliser
Pour lancer un produit comme Foriou ou Serana, un entrepreneur “classique” aurait mis en place une stratégie marketing à base de social media, d’ads ou encore d’influence, afin de rediriger tout ce trafic vers un site où payer.
Mais pas Indexia.
Dès le départ, le but est de faire naviguer les clients.
- Les clients arrivent via les gros partenaires qui posent leur crédibilité. La plupart des clients ne comprennent même pas qu’ils sont assurés par un tiers.
- Un centre d’appel est chargé de faire en sorte que les contrats soient renouvelés.
- Une équipe est dédiée au crossell, destiné à vendre d’autres produits.
L’exemple le plus courant, c’est le “Pack Téléphonie” qui m’a été raconté plus d’une dizaine de fois. Toutes les personnes contactées étaient d’anciens assurés via Fnac ou Darty. Pendant leur contrat, mais parfois plusieurs années après leur résiliation, Indexia leur propose ce fameux pack.
Pour quelques dizaines d’euros par mois, le client peut avoir un iPhone (dernier modèle) et parfois plus, le contrat ayant évoluant avec le temps.
Sauf que l’offre est valable… un mois. Le dernier Pack Téléphonie+ passait ensuite à 99,96€ / mois (1199,76€ / an), puis 139,98€ / mois. Et l’année d’après c’est même 1679,76€.
Et tous les moyens sont bons pour refourguer des abonnements.
Ou en tout cas de les faire payer.
Technique n°1 : kanyenapuyenaencore
La première technique, c’est de continuer à prélever après la résiliation.
C’est l’histoire d’Amélie5, qui se décrit elle-même « sur le spectre autistique, précaire (RSA) et phobique administrative ».
En 2019 elle assure son smartphone à la Fnac, et résilie le contrat un an après. Elle reçoit un e-mail de SFAM confirmant l’arrêt de son contrat. Mais les prélèvements continuent.
Elle passe « des heures au téléphone » avec sa banque et SFAM, qui lui va prélever plus de 4’000€ après la fin de son contrat ! Grâce à ses oppositions, LCL arrive à récupérer moins d’un quart de la somme.
Il s’agit à la fois de faire croire qu’une résiliation a été prise en compte, alors que nous, ou tout simplement s’en avoir rien à foutre et de continuer à prélever.
Technique n°2 : éaveksessi?
L’autre technique, c’est de valider un abonnement de force, même si le client refuse. Et jusqu’au dernier moment, l’escroquerie aura eu lieu.
Pour preuve le cas de Marion A., ancienne assurée via Fnac autour de 2018, qui explique d’ailleurs que le vendeur de l’époque lui avait dit que l’assurance était « obligatoire» et « résiliable après 2 mois”» Ce qu’elle fait. Et plus rien… jusqu’au mercredi 24 avril 2024.
Alors que SFAM vient d’être liquidée, elle reçoit un appel lui disant que « suite à son achat à la Fnac », elle peut bénéficier du Pack Téléphonie+ « gratuitement et sans adhésion » parce que ce sont des offres qu’elle « aurait dû avoir ».
Elle décline.
Sauf que… deux minutes après, elle reçoit cet e-mail confirmant son adhésion pour 139€ / mois.

Mais également aux packs Essentiel et Informatique+, puis en guise de cadeau le Buy Back Classic gratuitement (puis 240€ / an… après le 1er mois).

Et saucisse sur la choucroute :
- Le mandat de prélèvement est rempli avec ses coordonnées bancaires (gardées illégalement pendant 5 ans) ;
- La « signature obligatoire » est validée en mettant sa date de naissance et la mention « validé suite appel ».
echnique n°3 : jessokupdetou
Et c’est justement la dernière technique : signer à la place du client.
Quand Catherine T. achète un appareil photo à la Fnac des Champs-Élysées à l’été 2017, elle souscrit à une Offre Intégrale pour l’assurer.
En tout cas, c’est ce que prétend Indexia.
Parce que Catherine n’était pas au courant, et le mandat de prélèvement présenté à sa banque… est un faux utilisant une signature qui n’est pas la sienne.
Pour couronner le tout, elle a évidemment le droit à la souscription de packs complémentaires
En 2024, un tribunal va dans son sens et condamne SFAM à rembourser les sommes. Ce qu’elle ne fera pas avant sa liquidation.
Il faut dire que le groupe a d’autres préoccupations…
Alors que revoilà la sous-préfète !
Fin 2017, le groupe rachète Actualys, une agence de création de sites internet et de marketing digital dans le but de lancer Hubside l’année suivante, afin de commercialiser des sites internet par abonnement.
La sauce ne prend pas vraiment. Mais courant 2020, Indexia décide de revenir vers le point de vente, et utilise sa marque Hubside.
L’idée ? Vendre du hightech, notamment des téléphones… et évidemment les assurances et abonnements qui font avec. Des produits neufs, reconditionnés et à la location sont regroupés dans des sortes de petits Apple Store, quasi exclusivement en franchise.
Pour lancer l’affaire, Indexia rachète les magasins belges Switch, rapidement rebrandés. 30 points de vente sont là au lancement, quelques dizaines suivent.
Mais Sadri Fegaier voyait plus grand.
En 2018, il investit plus de 335M€ pour 11,35% des parts de Fnac Darty, son plus gros distributeur, qu’il rêve de contrôler. Pour structurer l’opération :
- Rostchild remet au pot ;
- Adrian (ex-Axa Private Equity) entre au capital ;
- Intermediate Capital Group finance le reste en dette senior.
Ce rachat des parts de Knight Vinke permet à Indexia de devenir le 2e plus gros actionnaire de Fnac Darty.
Quelques mois plus tard, c’est la Caisse des Dépôts et Mubadala6 qui entrent au capital via FEF7, leur fonds commun. Les deux levées valorisent Indexia à 1,7mds€.
Une licorne qui ne fera jamais partie d’aucun classement des stars de la tech.
Sauf que l’histoire va mal tourner.
Parce que les très nombreuses plaintes finissent par remonter aux oreilles des autorités qui ouvrent de longues enquêtes. C’est la DGCCRF qui frappe la première.
Après une longue enquête, la DGCCRF, le parquet de Paris et SFAM signent une amende transactionnelle de 10M€8. Une sanction « proportionnée à la gravité des pratiques » selon l’autorité qui parle de « pratiques commerciales relevées comme déloyales ». Tous les consommateurs lésés sont appelés à se faire connaître avec le 31 aout afin d’être dédommagés.
L’amende déstabilise Fegaier dont le groupe est lourdement endetté.
Mais également Fnac Darty.
Son nouvel actionnaire de référence, Ceconomy, apprécie peu les remous médiatiques.
En 2019, Fnac Darty annule le partenariat, qui se solde par un accord transactionnel en avril 2022.
- 7M€ le jour de la signature ;
- 5M€ un mois plus tard ;
- 5,8M€ le mois d’après
Sauf que le dernier n’a jamais été réglé.
Fnac Darty assigne Hubside et SFAM, qui sont condamnés à verser le reliquat, et payer des dommages et intérêts.cCe qui n’empêchera pas Fnac Darty de déposer plainte il y a quelques jours, sous pression de ses nombreuses plaintes clients. Dans L’Informé9, le DG de Fnac Darty, Enrique Martinez, explique néanmoins :
« Les clients qui ont eu de manière abusive ce type de contrat, on les a aidé »
Enrique Martinez, DG de Fnac Darty
Les ennemis et les amours les emmerdent
La position de Fnac Darty fait rapidement des émules. La totalité des autres partenaires et distributeurs coupent les ponts. Certains obtiennent même des condamnations.
- Casino en février 2023 (140K€) ;
- MMA / Covéa en janvier 2024 ;
- Rent-A-Car en janvier 2024 (230K€).
Mais les autorités rôdent aussi.
La DGCCRF revient au front en avril 2022 pour « »pratiques commerciales trompeuses” contre Indexia10 avec un discours cinglant. La direction parle d’un « grand nombre de plaintes et de pratiques illicites [faisant] faussement croire aux consommateurs qu’ils allaient remboursés, ou que leur résiliation était effective » (alors que non) afin de « maintenir actifs un grand nombre de contrats ».
« L’enquête de la DGCCRF a permis de constater des pratiques consistant à faire faussement croire aux consommateurs souhaitant faire cesser des prélèvements, résilier leurs abonnements et se faire rembourser les sommes prélevées après résiliation de leur contrat que leurs demandes étaient prises en compte voire effectives. »
Entre-temps, la CNIL aussi est passée par là. En 2021 elle réalise un contrôle de Foriou1112. Selon une source interne, c’est à la fois parce qu’elle avait entendu les pratiques de SFAM, mais également suite à des plaintes pour démarchages abusifs.
La CNIL reproche notamment à Foriou d’avoir acheté des bases de données de numéros de téléphone, et de les avoir intensivement démarchés.
Mais également d’avoir mis en place des jeux-concours pour récupérer des données, sans jamais dire clairement que c’était pour démarcher les participants commercialement.
Le 31 janvier 2024, la CNIL condamne Foriou à 310’000€ d’amende avec publication de la sanction nominative pendant 2 ans.
Et à ce moment-là, la CNIL n’est visiblement pas au courant que l’entreprise continue de :
- Démarcher des clients sans leur consentement ;
- Démarcher des clients en dehors des horaires autorisés ;
- Démarcher des clients aux numéros inscrits sur Bloctel ;
- Utiliser des numéros non autorisés par les centres d’appels ;
- Garder des coordonnées bancaires plusieurs années après des résiliations.
En avril 2024, c’est Hubside qui est condamnée à 525’000€ d’amende par la CNIL pour… exactement les mêmes raisons13. Un montant qui représenterait 2% du chiffre d’affaires de l’entreprise (soit 26M€).
Mais une troisième autorité a le groupe dans le viseur.
Le trium vira
Pendant toute l’année 2023, le groupe tente de trouver des moyens de s’en sortir. La situation médiatique est intenable, et va finir par couter cher. Un ancien cadre du groupe m’explique.
« Sadri [Fegaier] n’avait aucune stratégie pour relancer le groupe. Il a demandé à la comm’ de sauver… lui-même. Des tas de communiqués sont partis, non pour parler du groupe, mais de lui. »
Je n’ai pas retrouvé trace des communiqués envoyés aux médias. Par contre on peut encore retrouver plusieurs publicités achetées dans L’Express1415, Le Figaro16 ou LSA17. Le dernier vante d’ailleurs les « services en faveur du pouvoir d’achat des consommateurs » porté par « PDG-Fondateur du groupe, l’homme d’affaires Sadri Fegaier ».
How ironic.
Selon plusieurs autres sources internes, personne n’imaginait qu’Indexia était en difficulté. Un manager de l’époque m’explique.
« Le mot d’ordre qui circulait, c’est que c’était un règlement de compte entre la Fnac et Indexia. Mais bon, personne n’était dupe. Par contre, tout le monde imaginait que le chiffre d’affaires était stable. »
En coulisses, la situation est plus compliquée.
Fin 2022, à la suite de l’affaire Fnac Darty, Axeria met un terme au contrat. Et début 2023, c’est Covéa (le groupe dont fait désormais partie MMA) qui annonce à SFAM qu’il ne prendra plus aucun contrat. Selon L’Argus de l’assurance, Fegaier aurait obtenu un délai jusqu’à fin 202318. Une information « complètement fausse » selon une source au sein de MMA. Ou tout simplement rendue fausse 1 mois plus tard.
Sous la pression des parlementaires qui réclame une enquête, le DGA Jean-Pierre Galera annonce en mars 2023 que l’assurance ne représenterait plus « que 20 %, sur un volume d’affaires d’1mds€ ».19
Plus surprenant, le 21 avril 2023, Indexia envoie un communiqué à France Bleu Drôme Ardèche indiquant « suspendre [son] activité d’assurance » qui ne représentait que 10% de son volume d’affaires20. Divisé par 2 en 1 mois.
La vraie raison arrive 6 jours plus tard, lorsque l’ACPR frappe un grand coup.
« Les pratiques portant sur le processus de commercialisation mis en place par SFAM constatées par l’ACPR sont susceptibles de compromettre les intérêts des clients et ont déjà donné lieu à un nombre important de réclamations. »
Le régulateur ordonne l’interdiction temporaire, mais immédiate, de distribuer tout contrat d’assurance. Une disposition toujours en vigueur à ce jour.
L’ancien cadre d’Indexia me confie l’ambiance.
« Jusqu’au dernier moment, la direction était persuadée qu’on aurait juste une amende ou un avertissement. La suspension a jeté un énorme froid. »
Un autre salarié raconte la suite.
« Pour continuer à faire du chiffre, on nous a demandé d’aller d’amener un maximum de contrats d’assurance ou de prospects vers les autres abonnements [Note de moi : non régulés]. »
Mais peut-être qu’une autre solution avait été imaginée.
Le 13 décembre 2023, L’Argus de l’assurance révèle que Sadri Fegaier a tenté de racheter Parachut21, une filiale du courtier Advise spécialisée dans l’affinitaire.
Selon une source proche de l’ACPR, le régulateur aurait très mal pris cette tentative un peu étrange de détourner son interdiction.
La transaction n’aurait pas eu lieu suite au refus d’Advise. Mais un familier des finances internes m’explique que quoi qu’il arrive, le financement aurait été très compliqué.
« Les taux ont monté, les chiffres ont baissé, les sanctions s’accumulent et la dette ne baissait pas. Les partenaires historiques ne voulaient plus injecter de fond. »
Reste que le groupe se débat. Sadri Fagaier accorde même une interview à des journaux locaux en mars 2023, ce qu’il avait toujours refusé de faire.
En réalité le ver est dans le fruit, et il commence même à avoir la dalle.
Sous la pression des parlementaires, et notamment du député communiste de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu22, le ministère de l’Économie demande à Bpifrance de se désengager d’Indexia. Ça sera fait après l’été : c’est Mubadala qui rachète les 9% de FEF via 41st investment company, un fonds qui lui appartient, déjà actionnaire du groupe.
Mais en janvier dernier, tout le conseil de surveillance démissionne, et donc les 3 derniers actionnaires du groupe :
- Ardian (17%)
- Mudabala (9%)
- Andera (0,3%)
Fegaier fait fuiter l’information qu’aucun n’a vendu ses parts, preuve de leur confiance. La réalité est plus cruelle : personne ne veut les racheter.
Entre-temps, Indexia a été obligée de vendre sa participation dans Fnac Darty à IPC qui l’avait financé. Accusant une perte de 265M€.
Objectif nul
Alors que je travaillais sur l’histoire depuis 2 mois, je vois surgir en masse des témoignages en décembre 2023.
Pour certains, c’est le retour de l’enfer, parce qu’il avait déjà eu du mal à se dépêtrer de leur contrat. C’est le cas d’Elise :
« J’avais souscrit une assurance en 2019 à la FNAC en achetant mon téléphone. J’ai été prélevée 3 fois de 29,99€ malgré ma résiliation 1 an après. J’avais été effarée de voir les témoignages en ligne, mais après quelques mois, ils m’avaient remboursée. Mais quand j’ai vu 4 prélèvements SFAM en décembre 2023, je suis tombée de ma chaise. »
Amélie raconte la même chose.
« Je croyais le problème « réglé » depuis 2020. Mais la 2e vague de prélèvements, suivie d’une troisième [fin 2023] »
Ces témoignages que j’ai reçus n’ont rien d’anecdotique. Sur le groupe Facebook créé par des lésés de SFAM, il y a en des centaines. D’ailleurs, quelques jours après, Que Choisir publie un article qui raconte la même histoire, quasiment mot pour mot.
S’il est difficile de savoir si des témoignages sont représentatifs d’une pratique généralisée, il reste étonnant de voir que le nombre de messages sur le groupe Facebook explose entre décembre 2023 et janvier 2024. Avant même que les médias reprennent plus largement l’affaire.
Alors la question se pose.
Est-ce que Indexia a délibérement volé l’argent de ses clients pendant plusieurs mois afin de renflouer ses propres caisses ?
Un comptable, qui a audité le groupe en 2018, affirme les prélèvements indus ont été mis en évidence par son cabinet. Et on parle de beaucoup d’argent.
- 300K€ pour SFAM
- 800K€ pour Foriou
Des montants « anecdotiques » selon le cabinet qui l’employait, par rapport au chiffre d’affaires. Reste qu’en 2018 alors que :
- La pratique durait depuis au moins 5 ans ;
- Le groupe n’était pas encore à son apogée ;
- Les chiffres ne concernent que 2 sociétés (et donc pas Hubside ni Serena) ;
Le groupe avait volé au moins 1,1M€ à ses clients. Cet ordre de grandeur m’a été validé par deux autres sources internes, arrivées plus tard.
Impossible de chiffrer exactement le montant volé aux clients, mais il dépasse possiblement la dizaine de millions d’euros.
Une belle somme puisqu’elle est 100% gardée par Indexia. Lorsque le DGA de l’entreprise parle d’un milliard de volume d’affaires pour faire rêver les investisseurs, il mélange chiffre d’affaires et primes d’assurance collectées.
Or, une prime d’assurance… va à l’assureur. Le courtier, lui, garde 1 à 3% en commission. Mais dans le cas des prélèvements abusifs… c’est 100% bénéf.
Le préjudice global resta, lui, inconnu, parce que le nombre de plaintes est sous doute sous-évalué par rapport au nombre de victimes.
Comme Amélie, beaucoup (dont une bonne partie de femmes) me racontent abandonner parce qu’elles ne savent pas comment faire, ou que c’est trop cher.
C’est le cas de Céline, qui a cumulé des sinistres non remboursés, les prélèvements abusifs et des contrats ajoutés à son insu.
« Je n’ai pas entamé de procédure au tribunal, car je n’ai pas les moyens de prendre un avocat pour 500 et quelques euros. »
Combien d’autres créances ne seront jamais déclarées ?
Le coup de grâce
C’est donc l’URSSAF qui aura donné le premier coup fatal.
Mais l’escroquerie, parce que je pense qu’on peut utiliser ce mot, aura duré jusqu’au bout, comme le montre le témoignage de Marion.
Dès le lendemain, une bonne partie des sites internet et des lignes téléphoniques du groupe a été coupée.
Du côté des 300 salariés SFAM on accuse le coup, même si c’était prévisible, selon un délégué syndical du siège.
« Ce n’était pas vraiment une surprise pour les collaborateurs même si la direction disait le contraire. »
En interne, personne ne sait comment ces licenciements vont être gérés et aucune proposition n’a été faite. À l’heure où je finalise ces écrits (jeudi 25 avril 2024), Sadri Fegaier est au siège de Romans-sur-Isère, en réunion avec des représentants du personnel.
Dans les bureaux, les avis sont partagés. Certains sont dépités, d’autres soulagés. Parce que beaucoup vivaient mal la situation depuis de longs mois. Plusieurs ont même aidé des clients à aller au bout de leurs démarches.
Quant à la suite… Je ne vois aucune issue possible.
SFAM a été liquidée, et les autres entités du groupe continuent d’exister. Mais encore combien de temps ?
Parce qu’on l’a vu : les sociétés vivent surtout entre elles. C’est par exemple le cas des centres d’appels à Roanne. Ils n’ont qu’un seul client : SFAM. Comment imaginer que ces 160 salariés puissent continuer à travailler ? Depuis 1 an, 500 salariés ont déjà quitté le groupe dans le cadre d’un PSE23.
A ce sujet, j’ai reçu près plus d’une dizaine de témoignages (dont 8 suite à mon post LinkedIn) parlant d’impayés de salaire, de refus de signer les fins de contrat ou de donner les documents obligatoires.
D’autant que suite aux conclusions de 2022 de la DGCCRF, le parquet de Paris a cité à comparaitre Indexia et 7 filiales en mai et juin 2024. UFC-Que Choisir et au moins 400 victimes sont déjà parties civiles selon l’association. Plus de 550 selon une source judiciaire récente. CFDT Banque et Assurance sera également partie civile.
Le fond devrait être jugé à la rentrée 2024.
La liquidation n’y changera rien.
Pour les clients indument prélevés par SFAM, ça semble plus compliqué.
Si la société a été liquidée à la suite de la dette URSSAF c’est qu’il n’y a plus un rond dans les caisses. L’État étant prioritaire, il ne restera rien pour les clients créanciers.
Mais l’histoire n’est peut-être pas terminée…
Parce que Sadri Fegaier a une fortune de 2mds€ selon Challenges en 2022. Malgré une perte estimée de 600M€ (il n’est plus que 87e Français le plus riche) il reste un des plus jeunes milliardaires.
Certes, c’est son patrimoine personnel, et il est sans doute très lié à la valeur de ses sociétés. Mais Sadri Fegaier est mandataire social de ses toutes ses entreprises et donc responsable de possibles fautes de gestion, notamment l’aggravation du passif en cas de cessation de paiement.
Le jugement n’est pas encore public, mais il est vraiment très étonnant que la liquidation ait été prononcée à la barre. Cela veut dire qu’il n’y a pas le moindre espoir. Et que donc la situation de cessation de paiement est sans doute bien antérieure à ce jour.
Pourtant à la barre, Fegaier a tout tenté. Jusqu’à proposer un échelonnement de la dette sur 12 mois. Tout en étant incapable d’expliquer comment il allait sortir 1M€ / mois d’une boite aux caisses désespérément vides. Même réponse lorsqu’il a proposé se porter garant à titre personnel.
Si un lien était fait entre la situation financière de SFAM et le brusque retour des prélèvements des années après la résiliation, cela pourrait changer la donne et rendre Fegaier personnellement responsable.
Plus largement, s’il était démontré que toutes ces galaxies de sociétés ont passé des années à contourner la législation sciemment afin de prendre indument de l’argent aux clients, cela pourrait également engager la responsabilité de Fegaier.
Il est donc probable qu’en réalité, le début de la fin ne fait que commencer.
- Rapport annuel du médiateur de la FFSA, 2023 ↩︎
- Fédération Française des Sociétés d’Assurances, devenue France Assureurs ↩︎
- Mandataire d’intermédiaire d’assurance ↩︎
- Courtier d’assurance ou de réassurance ↩︎
- Le prénom a été changé ↩︎
- Mubadala Investment Company est le fonds souverain d’Abou Dabi ↩︎
- Franco-Emirati Fund. C’est désormais Bpifrance qui gère les fonds français. ↩︎
- Amende transactionnelle à l’encontre du groupe SFAM, Ministère de l’Économie et des Finances ↩︎
- La Fnac veut que la Sfam (Indexia) cesse d’abuser ses clients, Benjamin Douriez, L’Informé, 8 avril 2024 ↩︎
- Pratiques commerciales trompeuses : la DGCCRF a transmis à l’autorité judiciaire les résultats de ses dernières investigations concernant les sociétés du groupe INDEXIA (SFAM), 4 avril 2022 ↩︎
- Délibération SAN-2024-003, 31 janvier 2024 ↩︎
- Prospection commerciale : sanction de 310 000 euros à l’encontre de la société FORIOU, CNIL, 5 mars 2024 ↩︎
- Prospection commerciale : sanction de 525 000 euros à l’encontre de la société HUBSIDE.STORE, CNIL, 9 avril 2024 ↩︎
- Sadri Fegaier, PDG d’Indexia, s’engage en faveur de l’économie circulaire, L’Express, 16 juin 2022 ↩︎
- Sadri Fegaier, la formidable ascension d’un entrepreneur engagé, L’Express, 12 décembre 2022 ↩︎
- Indexia Group : 20 ans d’expertise dans le multimédia, les services connectés et le reconditionné, Le Figaro, 6 octobre 2022 ↩︎
- Sadri Fegaier, conçoit des services en faveur du pouvoir d’achat des consommateurs, 2 janvier 2023 ↩︎
- Indexia (ex-Sfam) lâché par ses assureurs, Sébastien Acedo, L’Argus de l’assurance, 18 mars 2023 ↩︎
- Extension de garantie, cashback : après l’affaire Indexia, les députés veulent encadrer les pratiques, Bruna Basini, Le JDD, 5 février 2023 ↩︎
- Indexia, ex-SFAM, arrête la vente d’assurances pour téléphones et ordinateurs, Florence Beaudet, France Bleu, 21 avril 2023 ↩︎
- Téléphonie mobile : Indexia, un retour dans l’assurance ?, Sébastien Acedo et Benjamin Chabrier, 29 novembre 2023 ↩︎
- Question N° 6853 au Ministère de l’Économie, Assemblée nationale, 4 avril 2023 ↩︎
- Plan de sauvegarde de l’emploi ↩︎