Bonjour à tous,
comme vous l’avez peut-être remarqué (ou pas, d’ailleurs), j’ai tendance à publier tous les 15 jours, au lieu de chaque semaine. Y’a plusieurs raisons à cela :
- Un temps limité
- Les contenus de newsletters nécessitent un travail conséquent
- Des dossiers en cours qui ne peuvent pas encore être envoyés
- Des analyses plus courtes que je partage sur LinkedIn
Pourtant l’actu ne chôme pas, notamment au parlement avec le PLF : entre les députés qui déposent des amendements écrits en scred par un lobby (finalement non soutenus), la flat tax adoptée (sous conditions) pour les revenus fonciers ou encore la surtaxe du Airbnb finalement rejetée par la majorité (contre l’avis du gouvernement).
Mais cette semaine ce n’est pas d’actu dont je vais parler, mais d’une histoire qui a plus de 100 ans, dans la veine de ma précédente newsletter sur la Banque Courtois pour laquelle j’ai eu beaucoup de retours positifs.
J’espère qu’elle vous intéressera autant que moi quand je l’ai écrite.
Comment le Titanic a provoqué le 1er délit d’initié boursier de l’Histoire ?
Southampton, 10 avril 1912.
Une liesse de personnes viennent acclamer les 953 passages et 889 membres d’équipages qui embarquent dans l’immense paquebot de 269 mètres de long et 28 de large. Les hommes sont tous vêtus de chapeaux ronds et les femmes portent de longues robes sombres. Quand les 4 cheminées s’éloignent vers la sortie du port, les mouchoirs s’agitent dans comme les films.
Le Titanic débute son premier voyage.
La guerre de la TSF
Été 1895. Guglielmo Marconi expérimente les ondes récemment découvertes par Heinrich Hertz (le mec de l’électricité, pas des voitures). En bidouillant des trucs et des machins (un cohéreur de Branly et une antenne), il crée la première liaison télégraphique sans fil de 2.4km.
Après quelques années à bosser et une grave embrouille avec Tesla (le mec de l’électricité, pas des voitures, décidément…), il s’exile en Angleterre parce que les Italiens ne veulent l’aider. C’est d’ailleurs un des premiers à utiliser la tour Eiffel comme émetteur.
Dès 1904, son bousin fonctionne et il commence à équiper les bateaux pour qu’ils puissent communiquer avec la terre (ou parler entre eux).
Pendant ce temps, de l’autre côté du Rhin.
Deux grosses boîtes allemandes AEG (depuis en partie démantelée via Daimler-Benz puis Alsthom puis Electrolux) et Siemens (qui bossait sur le télégraphe) fondent Telefunken. La boîte ne fait pas grand-chose d’autre que financer des recherches sur les TSF, leadée par Ferdinand Braun. Le tout pendant qu’Adolf Slaby faisait des trucs vachement mieux, mais qui marchaient QUE avec ses récepteurs, alors que les deux autres arrivaient à faire communiquer des Marconi et des Braun.
En 1909, Braun et Marconi pécho le Nobel de physique ensemble. Slaby va juste pécho la vérole. Et mourir 4 ans plus tard.
Harold & Jack > Rose & Jack
À bord du Titanic, Jack Philipps est chef opérateur de la salle de radio où il se relaye avec son assistant Harold Bride. Contrairement au reste de l’équipe, ils ne dépendant pas de la White Star Line, qui opère le navire, mais de Marconi (ouais, la boîte de Guglielmo).
La raison principale, c’est que la radio n’était pas du tout prévue pour communiquer avec le port. C’était un service facturé aux voyageurs pour parler avec la terre ferme. Située sur le pont des embarcations (tout en haut) au même niveau que le quartier des officiers, la station Marconi était composée d’une petite chambre, une salle sourde (l’émetteur-récepteur), et au milieu la radio.
Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois début avril pour tester le matériel lors des essais en mer du Titanic. S’ils ne se connaissaient pas avant, ils sont néanmoins tous les deux passés par l’école Marconi.
Le 2e jour, Jack reçoit quelques messages personnels : c’est son anniversaire ! Mais la fête est écourtée par des avaries matérielles qui leur font prendre beaucoup de retard sur les messages à envoyer.
Si le 3e voit passer plusieurs alertes d’autres navires signalant des glaces, c’est le soir du 14 avril que tout bascule. Harold dort en attendant la relève. De son côté, Philipps reparamètre son équipement parce qu’il entre dans la zone de Cap Race, ce qui lui permet de ne plus passer par d’autres navires pour communiquer.
22H55. Cyril Evans du Californian alerte que leur navire est stoppé à cause d’icebergs. Philipps lui demande de la fermer (“shut up”) parce qu’il a autre chose à gérer. Il éteint la radio à 23H35.
23H40. Le Titanic heurte un iceberg.
Pendant ce temps à Londres…
Bien que Braun et Marconi aient eu un Nobel conjointement, Telefunken et Marconi sont en pleine guerre commerciale pour savoir qui aura la plus grosse antenne.
Début 1912, Marconi décide de coter sa filiale américaine à la bourse de Londres : la Marconi Wireless Telegraph Company of America. Le prix par action est estimé à 0,16£ lorsque la date d’introduction est fixée au 19 avril. Deux introductions avaient déjà eu lieu entre 1910 et 1912 : la Spanish Marconi Company, la Marconi’s Wireless Telegraph Company of Canada. Les filiales américaines et canadiennes fusionneront en 1953, et existent toujours sous le nom de CMC Electronics.
Godfrey Isaacs, nommé président par Marconi est très fier de ces réussites, obtenir après seulement 2 ans de directeur. Ses parents, Joseph Isaacs et Sarah Davis devaient être très fiers de leurs enfants, son frère Rufus était ministre de la Justice du gouvernement Asquith !
À son arrivée, Godfrey avait proposé au Colonial Office d’équiper les colonies britanniques de TSF pour relier tout l’Empire britannique et tout juste 3 ans. Le problème c’est que les Anglais avaient payé une blinde des câbles sous-marins, et qu’ils ne voulaient pas trop s’en séparer…
Mais l’idée a fait son chemin. Et en mars 1912, Marconi signe un contrat de droit privé après que le Parlement ait exclu la création d’un monopole d’État.
La TSF en action
Harold est réveillé par un bruit assourdissant qu’il ne comprend pas. Il rejoint Jack en cabine, mais comme à peu près tout l’équipage, ils ne mesurent pas ce qui vient de se passer.
Le commandant Edward Smith leur demande d’envoyer un CQD. Ce code, inventé par la société Marconi, est le 1er message de détresse connu. Il signifie : “à toutes les stations : appel de détresse”. Puis le signal est changé par Harold.
Envoie donc un SOS, c’est le nouveau signal et c’est peut-être ta dernière chance de l’envoyer
Ils rient.
02H05. Smith relève les deux hommes. Mais ils préfèrent rester.
Harold surprend un homme voler le gilet de sauvetage de Jack. Ils se battent, et l’homme reste inconscient. Jack, absorbé, ne voit rien.
J’ai soudain décidé de ne pas le laisser mourir en digne marin. Je l’ai achevé, enfin je pense. Nous l’avons laissé sur le sol de la cabine radio. Il ne bougeait plus.
02H15. Les deux hommes quittent leur poste. Puis le navire.
Harold se rend au radeau pliable B. Au loin, il voit Jack courir vers l’arrière pour trouver un canot. Il ne le reverra jamais.
La cloche sonne
Le lendemain, le Daily Mail titre :
Titanic coulé, pas de pertes de vies humaines
En réalité, le Titanic n’a jamais communiqué avec les terres, mais avec des bateaux. Et il faudra attendre que l’Olympic transmette plus d’informations à New York pour que la réalité soit connue. Mais ce n’est que le 17 avril que la nouvelle arrive en Angleterre.
18 avril. 22H, heure de New York. Plus de 40’000 personnes attendent les rescapés du Titanic. Ils sont acclamés. Le New York Times loue un étage complet d’hôtel pour y loger 20 journalistes qui envoient des articles en direct par téléphones, bien filaires.
C’est donc le 18 avril que l’Angleterre apprend qu’il y a une majorité de mort, mais également des survivants. La presse révèle que le Californian avait avertir par radio la présence d’iceberg, sans que ça n’ait d’effet. Mais que l’envoi de messages radio a permis à des navires de venir secourir des naufragés. Et cette radio : c’est Marconi. Mais personne ne parlera ni de la panne ni du fait que des messages commerciaux ont été préférés à la sécurité.
19 avril. La bourse de Londres ouvre. Le titre est finalement vendu 3,5£, soit plus de 3 fois ce qui avait été prévu. Il clôture à 4£, avant de se stabiliser autour de 2£ après quelques semaines.
Le scandale Marconi éclate
Février 1913. France. Le quotidien Le Matin accuse Rufus Isaacs (ministre de la Justice et frère de Godfrey) et Herbert Samuel (ministère des postes, et donc des télécommunications) d’avoir abusé de leurs positions pour tirer profit du cours de Marconi. Si le journal a dû s’excuser, et a été attaqué en diffamation, le scandale Marconi était lancé.
Au même moment, Cecil Chesterton du The New Witness en Angleterre donne des informations similaires et attaque nommément Godfrey Isaacs. Le dirigeant poursuit le journal en diffamation. Le frère du Chesterton est aussitôt licencié du Daily News en représailles.
Mais tout était vrai.
Rufus Isaacs connaissait par son frère le prix d’introduction, qui s’est envolé en quelques jours. Cette information lui a permis de faire un bénéfice de 200% sur 7’000 actions en 2 jours.
Une commission parlementaire restreinte (pour éviter un nouveau conflit d’intérêts) eut lieu. Et le verdict fut sans appel.
- Lloyd George, président de l’échiquier ;
- Rufus Isaacs, ministre de la Justice ;
- Herbert Samuel, ministre des postes ;
- Alexandre Murray, secrétaire au trésor ;
- Ainsi que plusieurs banquiers et courtiers furent reconnus coupables des faits : mais pas condamnés réellement, ne délit n’existant pas.
George devint 1er ministre. Isaacs leader de la Chambre de lords. Samuel secrétaire d’État à l’intérieur puis patron des libéraux.
Murray fut le seul à devoir démissionner, mais a été anobli le mois suivant.
Cecil Chesterton du quitter le journal. Il a été condamné pour diffamation à 100£. Il est mort en 1918.
Son frère G.K. Chesterton continua sa carrière d’écrivain. Catholique convaincu, proche de Bernard Shaw ou H. G. Wells, c’est lui qui convertit C.S. Lewis, l’auteur du Monde de Narnia à la religion.
Harold Bride fut secouru par le Carpathia. Malgré ses chevilles complètement gelées qui l’empêchent de marcher, il aidera pendant des heures le responsable radio pour diriger les secours. Il aura été payé 4£ pour la traversée. Le prix d’une action Marconi.
Sources principales :
- The Marconi Scandal and the related aspects of british anti-semitism, 1911–1914, by Keneth Lunn, apr. 1978
- David Lloyd George and the great Marconi scandal, Historical research, 1989, vol. 62, n°349, pp. 295–317