Bonjour,
Ceux qui me suivent sur LinkedIn avaient peut-être déjà remarqué que je publie souvent des micro nouvelles le dimanche, sur des liés assez proches des mes thématiques du reste de la semaine.
Eh bien dans le même temps j’ai écrit un recueil de 12 nouvelles sur la finance, l’épargne, l’immobilier ou encore la blockchain, rassemblées dans un catalogue de produits financiers, parfaitement compliant et AMF-friendly.
Alors si t’as déjà épuisé tous les bouquins des écrivains qui profitent de la rentrée littéraire pour parler de leurs parents ou régler leurs comptes, tu peux découvrir Valeur Absolue, en vente depuis le 1er septembre sur Amazon.
Dont voici la première nouvelle.
PS : si t’es une grosse pince, pauvre, fauché, ou pire, membre du Blast Club, fais moi un mail et je te file le PDF gratos.
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Lot 4752-B
Immobilier fractionné - Marché secondaire
Vente d’unités résidentielles à valorisation dynamique
Lot 4752-B – Occupation sous condition d’enchère
La lumière hésite sur le parquet.
L'air est un peu plus dense que d'habitude. Rien de notable. Juste une impression furtive. Une odeur infime, difficile à identifier, presque métallique. Comme l'air d'une pièce qu'on aurait oubliée trop longtemps.
J'ajuste le store, optimise l'éclairage. L'appartement témoin doit être parfait.
10h15 à ma montre. Troisième vérification. L'ombre du radiateur s'étire trop loin. Un appendice mal proportionné. Ce doit être la fatigue. Douze visites cette semaine, et on n'est que jeudi.
J'observe l'entrée, guettant l'arrivée de mon client. Déjà un quart d'heure de retard. Au téléphone, sa voix était précise, méthodique. Chirurgicale dans ses questions. Le genre qui n'arrive jamais en retard.
Je feuillette mon dossier de présentation. Quelque chose cloche dans les photos de l'appartement. Comme si la lumière avait changé entre ma préparation et maintenant. Une perspective qui ne correspond plus tout à fait à ce que j'ai sous les yeux.
Je pose le dossier sur la table basse. Trois chambres, 98m², exposition sud-ouest, charges maîtrisées, copropriété bien gérée. Un produit facile à vendre dans ce quartier. Je pourrais le faire les yeux fermés.
Je m'assieds sur le canapé beige, brisant ma règle numéro un : toujours rester debout. L'avantage psychologique. Mais ce client est en retard, et personne ne me voit.
Un léger déclic côté cuisine. Je me tourne. Rien. Probablement la tuyauterie qui travaille. Les immeubles récents sont toujours bruyants pendant les premières années.
Mon téléphone vibre. Numéro inconnu.
« Oui ? »
Silence. Puis une voix neutre, presque synthétique.
« Nous aimerions faire une offre pour ce que nous avons vu. »
Je me redresse.
« Pour Denfert ? Vous êtes... »
« Nous sommes intéressés par ce qui nous a été présenté. »
Cette formulation me déstabilise.
« L'appartement ? Vous voulez le visiter ? Je... »
« 350 000 euros. Pour l'intégralité du package. »
Le montant correspond exactement au prix de l'appartement.
« Package ? »
« La présentation. L'agencement. L'atmosphère. » Pause clinique. « Et le présentateur. »
Je raccroche.
La luminosité de l'appartement semble respirer, alternant subtilement entre clarté et pénombre. Je regarde à travers la fenêtre. La rue en bas est étrangement vide pour un jeudi matin. Normal. 10h30. La plupart des gens sont au travail. Ce quartier dort la journée.
Je me tourne vers le salon. Je feuillette à nouveau le dossier posé sur la table basse. Trois chambres, 98m². Je tourne la page. Deux chambres, 86m². Je fronce les sourcils, reviens en arrière. Non, trois chambres. J'ai dû mal lire. La fatigue.
Je vérifie mon téléphone – un rendez-vous pour samedi a changé. Il indique maintenant « Visite Loft Belleville ». Je ne me souviens pas avoir programmé ça.
Mon téléphone vibre à nouveau. Le même numéro. Je ne décroche pas.
Un message s'affiche. « Votre client n'est pas en retard, Monsieur Mercier. »
Si, justement... Je tente d'envoyer un message à l'agence. L'écran affiche « Message envoyé ». Puis la réponse arrive instantanément. C'est mon propre message. Identique, jusqu'à la dernière virgule. Sauf que je ne l'ai pas encore écrit.
Je compose le numéro de l'agence, les doigts légèrement raides.
« C'est Sandrine. »
« C'est moi. Le client pour Denfert, toujours pas là. T'as eu quelque chose ? »
« Denfert ? » J'entends un bruit de tasse qu'on pose. « J'ai rien pour toi aujourd'hui. »
« Comment ça rien ? C'est dans mon agenda depuis la semaine dernière. »
Cliquetis de clavier. « Antoine... » Elle hésite. « Y'a rien dans le système. »
« C'est marqué 10h. Je l'ai sous les yeux. »
« Attends, je vérifie. » Tapotements. « Rien. T'es sûr que... »
Je ne réponds pas immédiatement. Je rouvre le dossier de présentation. Je suis certain qu'il mentionnait une terrasse de 12m². Je feuillette page après page. Aucune terrasse mentionnée. Pourtant je la vois encore, cette photo avec la rambarde en verre et les plantes en pot. Impossible de la retrouver.
« T'es là ? »
« Oui. » Ma voix sonne étrangère. « Denfert, c'est où dans le système ? »
Un silence, puis un cliquetis de clavier.
« C'est ça qui est bizarre... En attente d'expertise. Pas sur le marché. » Une pause. « Mise en vente prévue pour avril. »
À cet instant, mes yeux se posent sur la date inscrite en première page du dossier. « Mise en marché prévue : 15 avril 2025 ». Dans six semaines.
Je reste immobile. Le combiné s'éloigne légèrement de mon oreille. L'intérieur de mes joues adhère soudain à mes dents, comme du papier de verre.
« C'est absurde. Je suis littéralement dans l'appartement en ce moment même. »
« Comment ça ? » L'inquiétude dans la voix de Sandrine est palpable. « Qui t'a donné les clés ? »
J'essaie de me souvenir. Quand j'ai rencontré le propriétaire. Comment j'ai obtenu les clés. Rien ne me vient. Je me vois entrer dans l'appartement. Je me vois tenir des clés. Mais comment, quand, de qui je les ai reçues, vide.
« Antoine ? Antoine ? »
« Désolé, Sandrine, je te rappelle. »
Mon téléphone vibre à l'instant où je raccroche. Message du numéro inconnu.
« Notre offre reste valable. Le temps, lui, ne l'est pas. »
Je bloque le numéro. Direction la porte d'entrée. La poignée tourne. La porte reste fermée. Je sors mon trousseau. La clé de l'appartement n'y est pas. Comment ai-je ouvert en arrivant ? Je l'ai forcément fait. Ou peut-être que la porte n'était pas fermée ? Peut-être qu'elle était déjà ouverte ? Mais qui l'aurait laissée ouverte ?
Je retourne vers la table basse. Le dossier est là, ouvert sur une page que je n'ai jamais vue. Un contrat de vente. Mon nom figure sous la ligne « vendeur ». Pas celui d'un bien immobilier. Celui d'une « ressource humaine qualifiée ». Ma signature en bas de page. Datée d'aujourd'hui, 10h12.
Je cligne des yeux. Un document apparaît sur mon téléphone.
4752-B/STATUS:PENDING
Date de signature : il y a 17 minutes.
Signature : Antoine Mercier.
C'est ma signature. Mais je n'ai rien signé. Et l'horodatage... 9h55 ? Impossible. À cette heure-là, j'étais encore dans ma voiture.
Je vérifie ma montre : 10h15. Comment aurais-je pu signer quoi que ce soit vingt minutes avant même d'arriver ? Le temps lui-même se déforme. À moins que ma montre ne mente également. Je la fixe, hypnotisé. L'aiguille des secondes semble ralentir, puis accélérer par saccades. Est-ce mon imagination ?
Mon téléphone vibre. Le numéro bloqué s'affiche quand même. Un message apparaît sur l'écran, défiant le blocage.
4752-B/REF:UNALLOCATED/VAL:PENDING
Je lève les yeux. L'angle du mur face à moi a changé. La pièce s'est modifiée. Je cligne des yeux. L'illusion persiste.
Je marche vers la cuisine. Le carrelage sonne différemment sous mes pas. Plus mat. Plus étouffé. Comme si l'acoustique de l'appartement avait été altérée.
La poignée refuse de tourner. Je pousse plus fort, épaule contre le bois. Rien.
Je recule. L'appartement a changé. La table à manger trop proche du mur. La lampe penchée. Le tableau au-dessus du canapé – différent. Plus de paysage maritime mais une nature morte. Fruits rougeâtres, presque pourris.
Un goût métallique emplit ma bouche. Comme lécher une pile.
Mon téléphone vibre. Je le tiens comme un objet contaminé. L'écran s'illumine de lui-même, affichant un message minimaliste : « Statut : en cours d'évaluation. » Je regarde mes mains. Pourquoi ai-je l'impression qu'on ne parle pas de l'appartement ?
Je tape nerveusement sur l'écran : « Comment avez-vous bloqué cette porte ? »
L'appareil sonne instantanément. Je décroche par réflexe.
« Rien n'est bloqué, Monsieur Mercier », répond une voix métallique à l'autre bout de la ligne. « L'environnement répond simplement à vos hésitations. Si vous acceptiez notre proposition, tout redeviendrait... fluide. »
« Qui êtes-vous ? »
« Vous pensiez être du bon côté de la table. » Un silence. Puis : « Ce n'est qu'une question de placement. »
J'essaie la fenêtre. Plus de poignée, juste une surface lisse. Je frappe le verre. Il sonne comme du plastique.
Sur le trottoir d'en face, un homme me fixe. Son visage est flou. Son costume gris parfaitement net. Il lève la main. Un geste d'évaluation.
Je compose le 17. Pas de tonalité. Le numéro de l'agence. Rien non plus.
Un souvenir me traverse : mon premier appartement aux fenêtres scellées. Les nuits d'été étouffantes. Les contours de ce souvenir sont flous. Comme un film vu il y a longtemps. Pas un souvenir personnel.
Une sonnerie me fait sursauter. Le téléphone fixe de l'appartement.
« Mise à jour du référentiel. »
« Qu'est-ce que vous voulez ? »
« Compétence validée. Transformation d'espace en désir. Lot 4752-B : utilité confirmée. »
Je tourne sur moi-même. Un craquement dans la cloison. Le plâtre qui travaille, millimètre par millimètre.
Je reste silencieux, incapable de formuler l'absurdité de la situation.
Un rire sec, artificiel émane du combiné. Parfaitement calculé dans sa froideur, comme dans un film nul.
« Regardez le salon, Monsieur Mercier. Dites-moi ce qui a changé. »
Le canapé n'est plus beige. Il est rouge sombre maintenant. Le cuir émet un bruit humide quand je m'approche, comme du vinyle chauffé au soleil. La surface cède sous mes doigts avec une résistance inattendue.
« Je ne comprends pas ce qui se passe. »
« Vous comprenez parfaitement. Espaces. Perceptions. Modifications. »
Je raccroche. La pièce rétrécit. Les murs se rapprochent en mouvement lent mais continu.
Je cligne des yeux. La chaise près de la table a disparu. Le tableau aussi.
Quand ai-je visité cet appartement pour la première fois ? Le visage du propriétaire, impossible à visualiser.
Je me vois serrant la main d'un homme sans visage, recevant des clés que je ne retrouve plus. Ce souvenir a-t-il existé ?
Mon reflet dans la vitre me sourit, alors que je ne souris pas.
Ce reflet ne bouge pas en synchronisation parfaite. Je lève la main droite. Le reflet suit avec un décalage imperceptible. Le temps désynchronisé.
Une voix dans ma tête, bien que j'aie raccroché. « Transaction en cours. »
Je retourne au salon. La cuisine est encore là, mais la porte du réfrigérateur a disparu, fondue dans la surface. Les placards n'ont plus de poignées.
Je me vois vantant les mérites d'une cuisine au design épuré à un couple sans visage. « Plus élégant, plus contemporain. Un simple système de pression pour ouvrir les portes. »
Mon portefeuille est sur la table. Il s'ouvre de lui-même. Une carte de visite glisse, puis une autre. Elles portent mon nom, mon titre, mais les logos des agences sont différents. Des postes que je n'ai jamais occupés. Des vies parallèles.
Le téléphone sonne, mais reste hors de ma portée. Simultanément, sur le mur en face : 4752-B/ASSET:PROCESSING se projette comme une enseigne numérique. Sans décrocher, je parle à l'appartement.
« Si j'accepte ? »
Une voix émane des murs.
« Fusion. Intégration. Vous continuez, mais autrement. »
La pièce se transforme. Sol plus haut, plafond plus bas. Les angles se décalent, un glissement de perspective de quelques degrés.
« Et si je refuse ? »
Silence. Puis craquement au-dessus de ma tête. Le plafond qui descend.
« Lot 4752-B. Valorisation optimale de votre potentiel. »
Je frappe du plat de la main contre la vitre. Aucun son ne traverse. Méthodiquement, je teste chaque surface — murs, fenêtres, portes. Inutile. Le vase décoratif me paraît soudain être la seule option. Je le soupèse un instant avant de le projeter.
Le vase traverse comme de l'eau, réapparaît de l'autre côté, flotte un instant, puis retombe dans la pièce derrière moi. Je me retourne — le vase est sur la table, intact.
Mon téléphone vibre. Une notification : Traitement en cours - 4752-B. Je ne reconnais pas l'application.
J'ouvre mon application bancaire. Des transactions pour des propriétés que je ne me souviens pas avoir vendues. Des commissions créditées pour des ventes dont je n'ai aucun souvenir.
J'ouvre ma galerie photos. Des appartements, des maisons, des clients. Leurs visages sont flous. Je ne reconnais pas ces lieux. Pourtant, je figure sur chaque image, serrant des mains, tendant des clés.
« Qu'est-ce que vous avez fait ? » Je hurle dans le vide.
« Optimisation. » La voix est partout et nulle part. Clinique. Sans émotion. « Rendement maximisé. Temps de latence supprimé. »
Les murs si proches que mes bras tendus les touchent. La surface granuleuse, froide puis tiède par zones. Des micro-vibrations parcourent le plâtre, comme un courant électrique de faible intensité.
« Qui êtes-vous ? »
La porte d'entrée s'ouvre. Pas de couloir. Un espace blanc, clinique. Des dizaines de silhouettes en costume gris, alignées. Visages flous, costumes parfaits. Immobiles comme des mannequins.
Silence.
Au fond, un mur d'écrans numériques. Sur chacun, un visage, un nom, un prix. Certains barrés d'une ligne rouge. D'autres entourés d'un cadre vert clignotant. Sur l'un d'eux, mon visage. En dessous : Lot n°4752-B et une valeur qui monte.
Mon téléphone : « Valorisation en cours. Veuillez patienter. »
« Comment puis-je savoir que vous êtes sérieux ? »
« Votre compte bancaire, Monsieur Mercier. Et votre identité. Regardez. »
J'ouvre l'application bancaire.
Virement en attente.
850'000.00 EUR
Lot 4752-B - Transfert définitif.
Puis ma carte d'identité apparaît. Mon nom s'efface lettre par lettre.
Je me tourne. Un miroir est apparu. Un homme en costume identique au mien. Mon visage, mais pas mes mouvements. Il sort une carte.
« Antoine Mercier, Immobilier Premium. »
Mon nom. Mon métier. Il me regarde et prend ma place dans le reflet tandis que je glisse vers le bord du cadre.
Et si je n'avais jamais été autre chose qu'un produit en attente d'être vendu ? Ai-je existé en dehors de ma fonction marchande ?
Je cherche un souvenir personnel, anniversaire, premier amour, passion. Mon poignet, la montre de mon père a disparu. Était-elle réelle ? Son apparence, son poids contre ma peau. Plus rien.
Je ferme les yeux. Cette somme, plus que dix ans de salaire. Pour quoi faire ? Combien de loyers ? Quel rendement en SCPI ?
Je m'arrête, horrifié par mes calculs.
Les murs avancent. Lentement. Trop lentement. Puis d'un coup. Je me recroqueville. L'air devient poisseux, irrespirable. Une main invisible serre ma gorge. J'inspire. Rien. Vide. Je tends la main vers la porte. Loin. Trop loin. Plus loin qu'avant. Le plafond presse sur mon crâne. L'espace réduit n'a plus de logique. Mes membres deviennent flous. Ma vision… s'efface.
« Si j'accepte, que devrais-je faire ? »
« Vendre. Exclusivement. »
« Et quoi exactement ? »
« Espaces. Perceptions. Réalités. » Pause. « Lot 4752-B. »
Je m'entends répondre : « Et si nous négocions ? Je pourrais accepter 800 000 euros mais avec une clause de... »
Je m'interromps.
Rire mécanique de la voix. « Vous intégrez déjà nos paramètres. Excellent. »
Craquement au-dessus. Le plafond se fissure.
« Je ne comprends pas... »
« Vous n'avez pas besoin de comprendre. Juste d'accepter. »
« Non. »
Le plafond s'effondre d'un mètre. L'air se comprime. Puis un autre mètre. Mes genoux se plient. Je veux courir, mais mes jambes ne répondent plus. Je veux parler, mais la voix qui sort de ma gorge ne m'appartient plus. Je ferme les yeux. Je dois avoir encore un levier. Un contre-marché. Un rachat. Je peux renverser ça. Il y a toujours une option.
Non. Il n'y en a plus.
Le plafond touche presque mon crâne.
« 900 000 euros. Dernière valorisation. Référence expirée. »
Les dimensions de la pièce ne correspondent plus. Le coin du mur forme un angle impossible. Cette somme... N'ai-je pas passé ma vie à me vendre déjà ? Parcelle par parcelle, sourire par sourire.
On se façonne, on se présente, on se met en scène.
« T-10. »
Ma main droite se détache de moi, comme un objet indépendant. Plus vraiment ma main. Un accessoire de présentation. Déjà catalogué.
« T-5. »
Un éclat de plâtre effleure mon visage. Poussière dans mes poumons. Les contours des meubles perdent leur netteté, comme vus à travers une vitre embuée. Des chiffres transparents se superposent au décor, flottant dans l'air devant moi. Ma cotation en temps réel.
« J'accepte. »
Tout s'arrête. Silence absolu. Les murs reculent. Les meubles réapparaissent. La porte de la salle de bain ouvre sur une vraie salle de bain.
Sur le mur, les valeurs défilent :
VAL:∞
VAL:NULL
VAL:ERROR
« J'ai accepté à 900 000 ! Nous avons un accord ! »
Ma voix sonne métallique. Les valeurs continuent leur danse incohérente.
« Transaction en optimisation. Valorisation de l'actif en cours. »
Les valeurs s'arrêtent. L'écran clignote :
LOT 4752-B
STATUT : ACTIF
CERTIFICATION : AA+
DURÉE : INDÉTERMINÉE
Mon téléphone vibre.
Lot 4752-B - Intégration confirmée.
La porte s'ouvre. Un homme en costume. Son visage est flou, comme incapable de se fixer.
« L'appartement est prêt pour la prochaine acquisition. »
Un avertissement se forme dans mon esprit mais n'atteint jamais ma gorge. Mon corps reste figé en posture professionnelle. Main tendue, sourire commercial.
L'homme m'ajuste comme un meuble, vérifie l'angle par rapport à la lumière.
Par la fenêtre, la rue s'anime soudain. Passants, voitures. Trop parfait. Une simulation.
Mon nom s'efface. Antoine quoi ? Remplacé par 4752-B.
L'homme consulte sa montre. Un nouveau client va arriver.
Mon corps reste immobile. Je veux crier.
Mais les objets ne parlent pas.
Dont voici la première nouvelle.


