đ„L'Ă©trange indice des loyers
Une fiction dystopique, ou pas
Bonjour Ă tous,
En attendant le traditionnel bilan de fin dâannĂ©e (garanti 0% bullshit, et avec quelques annonces), voici de quoi occuper vos soirĂ©es aux coins du fin en attendant que lâannĂ©e se termine.
Parce quâau programme du jour, et en attendant de futures analyses et enquĂȘtes, je vous propose une nouvelle extraite de mon recueil de produits financiers Valeur Absolue, que vous offre gratos pour NoĂ«l, ou pour toute autre raison, dâailleurs.
Vendu Ă ce jour Ă 25 exemplaires (câest dire la raretĂ© du cadeau), il est toujours dispo Ă la vente en format papier ou liseuse, mais je te le file en PDF Ă la fin de cette newsletter si tâes une pince, pauvre ou juste que tâavais la flemme.
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Actuellement je recherche notamment des infos sur :
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Novaxia (dont les reportings des fonds, et tout ce quâon peut trouver)
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BioCBon / Marne&Finance
David Laroche / Paradox
UMIAMI / SWAP
Réalités
ANNONCE : Zero Bullshit sâouvre dĂ©sormais Ă dâautres journalistes. Si tâas une enquĂȘte en cours, terminĂ©e, ou que tu souhaites tâinvestir, tu peux proposer tes services ou ton histoire.
Prestation évidemment rémunérée.
Il sâagit UNIQUEMENT dâenquĂȘtes et dâinvestigations, pas de chroniques, dâarticles, dâopinions, dâinterviews etc.
Taux dâoccupation
Optimisation dâespace Optimisation Spatiale â Gestion dâOccupation
Contrat de location Ă ajustement automatique
Pack Ăvolution dâHabitat â Maximisation Surface/CoĂ»t
Jâai toujours payĂ© mon loyer avec quelques jours de retard. Pas par nĂ©gligence, par inertie. Cinq jours, parfois sept. Jamais plus. Un retard prĂ©visible, presque ritualisĂ© comme ces petites habitudes qui dĂ©finissent une existence sans Ă©clat.
Ce mardi soir, en poussant ma porte, une sensation Ă©trange me traverse. Quelque chose dans lâair, dans la gĂ©omĂ©trie mĂȘme de lâentrĂ©e. Lâespace semble imperceptiblement diffĂ©rent, comme ces photos retouchĂ©es oĂč lâon sent une anomalie sans pouvoir la nommer.
Mes affaires sont exactement Ă leur place. Livres, ordinateur, tasse de cafĂ© Ă moitiĂ© vide. Pourtant, le couloir paraĂźt plus Ă©troit. Comme si les murs sâĂ©taient rapprochĂ©s de quelques centimĂštres pendant mon absence, aussi discrets que des prĂ©dateurs patients.
Je frĂŽle le mur du bout des doigts. La texture est identique, cette peinture mate lĂ©gĂšrement granuleuse que jâai toujours connue, mais sa position a changĂ©. Jâen suis certain.
Mon tĂ©lĂ©phone vibre, illuminant la pĂ©nombre dâune lueur bleuĂątre.
Cher locataire #7834J, Suite Ă lâanalyse de votre profil de paiement, votre contrat a Ă©tĂ© optimisĂ©. Vous avez Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© vers un espace adaptĂ© Ă vos capacitĂ©s financiĂšres (CatĂ©gorie B-17, rĂ©duction de 3,7%). GestiHabitat - Des espaces qui Ă©voluent avec vous.
Je relis trois fois. TransfĂ©rĂ© ? Lâadresse sur la porte est pourtant identique : 17 rue Denfert, 5Ăšme Ă©tage, appartement 58.
Jâappelle GestiHabitat. Mes doigts tremblent sur lâĂ©cran.
« Bienvenue chez GestiHabitat. Veuillez indiquer votre numéro de locataire. »
« 7834J. Je viens de recevoir un message concernant un transfert, mais je nâai jamais dĂ©mĂ©nagĂ©. »
« Votre dossier indique quâun ajustement spatial a Ă©tĂ© effectuĂ© sur votre contrat. Votre espace a Ă©tĂ© recalibrĂ© selon les termes de votre bail variable. »
« Mon quoi ? »
« Il sâagit de lâarticle 7, alinĂ©a C de votre contrat : âLe bailleur se rĂ©serve le droit dâajuster la superficie locative en fonction des paramĂštres de solvabilitĂ© du locataire.â »
Je retrouve mon bail dans un tiroir. Le paragraphe existe bien, noyĂ© dans un ocĂ©an de jargon juridique que je nâai jamais pris la peine de dĂ©crypter.
« Et si je conteste ? »
« Résiliation anticipée avec préavis de 48 heures et pénalité de trois mois de loyer. »
Trois mois de loyer. Impossible vu mes finances.
« Je veux parler à un responsable humain. »
« Votre niveau de contrat ne permet pas lâaccĂšs Ă un service personnalisĂ©. »
La voix est douce, presque compatissante, mais son message est implacable. Je nâexiste pas suffisamment pour mĂ©riter une conversation humaine.
« Comment rĂ©cupĂ©rer mon espace dâorigine ? »
« Pour rĂ©cupĂ©rer votre espace dâorigine, vous devez amĂ©liorer votre profil de ponctualitĂ© sur trois Ă©chĂ©ances et souscrire Ă notre option Premium Ă 55⏠mensuels. »
Je raccroche. Cinquante-cinq euros supplĂ©mentaires pour retrouver des mĂštres carrĂ©s qui mâappartenaient dĂ©jĂ .
Le sommeil tarde Ă venir. Quand il arrive enfin, je rĂȘve que les murs se rapprochent lentement, millimĂštre par millimĂštre. Au rĂ©veil, mon lit semble plus Ă©troit. Illusion ou rĂ©alitĂ© ?
Je programme un virement permanent pour mon loyer, cinq jours avant lâĂ©chĂ©ance. Plus de retard. Plus dâexcuse pour cette optimisation perverse.
Mon carnet de mesures reste ouvert sur la table. Les chiffres se contredisent dâune page Ă lâautre.
En rentrant un soir, je mâarrĂȘte net : lâappartement dâen face portait 57B. Aujourdâhui : 57C.
Jâouvre ma boĂźte mail. Un relevĂ© de charges de copropriĂ©tĂ©, datĂ© de trois mois, liste encore « Appartement 57B ». Aujourdâhui, ce numĂ©ro nâexiste plus. EffacĂ©. RemplacĂ©. Comme sâil nâavait jamais Ă©tĂ© lĂ .
Je pose ma main sur le mur lisse oĂč la porte devrait ĂȘtre. Mon tĂ©lĂ©phone vibre aussitĂŽt :
Mise à jour cognitive en cours. GestiHabitat ajuste votre perception résidentielle pour une expérience plus fluide.
Un bandeau contextuel sâaffiche :
Info rĂ©sidence â Restructuration en cours : meilleure utilisation de lâespace.
Un voisin passe, sac-poubelle Ă la main. Il suit mon regard.
« Le 57B ? Câest 57C maintenant. »
« Depuis quand ? »
« Je ne sais pas. Les numéros glissent. »
Il lĂšve les yeux vers la camĂ©ra, puis sâĂ©loigne, les Ă©paules rentrĂ©es.
Les mots tournent dans ma tĂȘte. Mise Ă jour cognitive. Ajustement de perception. Comme si mon cerveau devait se recalibrer sur une nouvelle rĂ©alitĂ© qui change plus vite que ma capacitĂ© Ă la comprendre.
Le lendemain, le 57C a disparu Ă son tour. Le mur est lisse, sans aucune trace. Je passe ma main sur lâespace oĂč se trouvait le chambranle. Rien. Comme si lâappartement nâavait jamais existĂ©.
Dans le carnet : 57B barrĂ©, 57C barrĂ©, 57â (vide).
Des bruits sourds la nuit, comme des murs quâon dĂ©place. Des cliquetis mĂ©caniques dans les conduites. Les lumiĂšres du couloir qui vacillent parfois, et quand elles se rallument, quelque chose a changĂ©. Le plafond plus bas ? Les murs plus proches ? Mon corps sâadapte dĂ©jĂ , mes Ă©paules se courbent en passant les portes.
Jâai dâabord essayĂ© de rĂ©sister. RepoussĂ© les meubles pour maintenir lâagencement initial. Mais chaque matin, quelque chose avait bougĂ©. Un centimĂštre ici, deux lĂ . Mon carnet de mesures devient illisible, les chiffres se chevauchent, se contredisent. Alors jâai commencĂ© Ă cĂ©der. DĂ©placer un meuble, jeter un objet devenu encombrant. Comme on ajuste sa position sur un siĂšge inconfortable.
Mon corps aussi commence Ă changer. Je mâassois diffĂ©remment, plus droit, coudes serrĂ©s contre les flancs. Mon corps rĂ©duit dĂ©jĂ sa surface. LâĂ©cran sâallume comme pour valider le geste :
Cher locataire #7834J, votre score dâefficience spatiale atteint 72/100. Continuez vos efforts pour accĂ©der au statut RĂ©sidentiel OptimisĂ©.
Le chiffre reste, cicatrice lumineuse sur le noir.
Les jours se dissolvent les uns dans les autres. Octobre, novembre, les murs bougent plus vite que les saisons.
Le salaire nâest pas passĂ©. Dans ma boĂźte mail, un message de lâentreprise : « En raison dâun ajustement comptable, le paiement des salaires sera exceptionnellement diffĂ©rĂ© de quelques jours. »
Un ajustement. Ce mot contamine mĂȘme la comptabilitĂ© de lâentreprise.
Le retard crĂ©e une rĂ©action en chaĂźne. PrĂ©lĂšvements automatiques rejetĂ©s. DĂ©couvert atteint. Les notifications sâaccumulent sur mon Ă©cran, chaque refus bancaire dĂ©clenche une pĂ©nalitĂ©.
LâĂ©lectricitĂ© sera coupĂ©e demain si je ne paie pas. Le loyer peut attendre : ils envoient dâabord des relances. Le contrat, lui, ne relance pas : au-delĂ de T+10 jours, lâajustement est automatique.
Je paie lâĂ©lectricitĂ©. Le loyer attendra. Dix jours de retard, comme avant.
Mais cette fois, le changement est brutal. Je le sens avant mĂȘme dâouvrir ma porte. La clĂ© rĂ©siste dans la serrure, comme si lâouverture sâĂ©tait rĂ©trĂ©cie.
Ă lâintĂ©rieur, lâappartement a mutĂ©. Mon canapĂ© semble disproportionnĂ© dans lâespace rĂ©duit. La table Ă manger a disparu, remplacĂ©e par un plateau mĂ©tallique qui sort du mur. Lâagencement entier a Ă©tĂ© reconfigurĂ© pendant mon absence.
Je touche les murs. Ils sont légÚrement tiÚdes, comme fraßchement installés par des mécanismes invisibles.
Cher locataire #7834J, Ajustement de votre espace habitatif (CatĂ©gorie C-12, rĂ©duction de 8,2%). Lâoptimisation spatiale permet une rĂ©duction significative de votre empreinte carbone.
Cette fois, ce nâest plus une simple rĂ©duction. Câest une restructuration complĂšte. Le salon et la salle Ă manger ont fusionnĂ© en un espace hybride. La cuisine est rĂ©duite Ă un comptoir Ă©troit oĂč deux assiettes ne peuvent plus tenir cĂŽte Ă cĂŽte. Dans la salle de bain : toilettes intĂ©grĂ©es Ă la douche, sĂ©parĂ©es par une seule paroi de verre.
Je sors mon mĂštre ruban, pris dâun besoin obsessionnel de quantifier lâabsurde. Je mesure chaque mur, note les dimensions sur un carnet. Le lendemain, je recommence. Les chiffres ne correspondent plus. Le salon a perdu trois centimĂštres supplĂ©mentaires pendant la nuit.
Les semaines suivantes, ma perception du rĂ©el commence Ă vaciller. Un matin, mon reflet dans le miroir me surprend. Ce visage Ă©maciĂ©, ces yeux enfoncĂ©s, est-ce vraiment moi ? Dans un tiroir, je trouve une photo. Moi, souriant, dans ce qui semble ĂȘtre un appartement spacieux et lumineux. Aucun souvenir de ce lieu. Ni de ce sourire.
Sur le frigo, des notes que je ne me rappelle pas avoir Ă©crites. Pourtant, câest mon Ă©criture : « Nâoublie pas : tu avais un balcon avant. » « Ils effacent tes souvenirs avec lâespace. » « Ta vie avant GestiHabitat : »
La liste est vide.
Mon identitĂ© mĂȘme sâĂ©rode. Lors dâun appel professionnel, je me prĂ©sente : « UnitĂ© 7834J Ă lâappareil. » Un silence. Je me reprends, confus. Ma collĂšgue ne relĂšve pas. Peut-ĂȘtre est-ce devenu normal.
Le temps perd sa consistance. Les notifications arrivent à des intervalles que je ne parviens plus à mesurer. Mon téléphone indique mercredi. Quel mercredi ? De quel mois ?
Par curiosité morbide, je consulte les annonces immobiliÚres. Le marché a explosé. Les loyers ont augmenté de 40% pour des espaces « non optimisés ». Les garanties exigées (CDI de cinq ans minimum, revenus quintuplés, trois cautions solidaires) me sont inaccessibles. Je suis prisonnier.
Un son dans le couloir me fait sursauter. Lâascenseur.
Quand jâentre, une femme me fixe. Son regard vide mais insistant.
« On se connaßt, non ? »
Elle penche la tĂȘte. « Appartement 54. Avant. Tu venais pour les apĂ©ros du jeudi. »
Sa voix est monocorde, comme récitant une leçon apprise.
« Je suis maintenant Ă lâUnitĂ© Locative C-12/3, le programme dâoptimisation sociale. »
Elle sort son téléphone, me montre une photo. Deux silhouettes floues dans un salon que je ne reconnais pas. Est-ce nous ? Je ne sais plus.
« On parlait de tout. De rien. La compression mnésique efface les liens non-essentiels. »
Lâascenseur sâouvre.
Sur son écran, une notification apparaßt :
Forfait MĂ©moire Premium. 59,90âŹ/mois. RĂ©activation partielle des souvenirs sociaux.
Elle sort. Le vide quâelle laisse est plus grand que sa prĂ©sence.
Lâadaptation sâinstalle dans mes gestes. Dâabord imperceptible, puis systĂ©matique.
Je vends le fauteuil, trop large pour le nouvel espace. Puis la bibliothĂšque, les livres prennent trop de place. La table basse devient encombrante. Le miroir, superflu. Je garde lâessentiel, puis redĂ©finis lâessentiel, puis le redĂ©finis encore. Chaque objet abandonnĂ© emporte un fragment de qui jâĂ©tais.
Mon corps aussi sâoptimise. Je calcule mes gestes pour minimiser la « dĂ©pense spatiale ». Respiration courte, Ă©conome en oxygĂšne. Posture recroquevillĂ©e qui Ă©pouse les angles. Je dors en position fĆtale, genoux contre la poitrine. Mes dĂ©placements suivent des trajectoires millimĂ©trĂ©es.
Les draps ne se froissent plus que dâun cĂŽtĂ© du lit. Jâoccupe moins dâun tiers du matelas. Optimisation inconsciente.
MĂȘme les objets semblent muter. Mon ordinateur portable pĂšse plus lourd, comme si sa densitĂ© compensait la rĂ©duction spatiale. Ma tasse de cafĂ© contient moins de liquide bien que remplie Ă ras bord. Les lois physiques se plient aux impĂ©ratifs de compression.
Sur lâĂ©cran mural, un « Tableau de bord du bien-ĂȘtre locatif » sâaffiche sans que je lâaie demandĂ©. Graphiques colorĂ©s : ma « performance spatiale », mon « indice dâadaptation rĂ©sidentielle », mon « potentiel de compression ».
Une nouvelle section apparaĂźt :
Suggestions comportementales pour maximisation locative
⹠Réduire le temps de douche de 4,3 à 3,2 minutes
âą Limiter les mouvements inutiles entre 20h et 6h
⹠Adopter la position de sommeil repliée
âą Consommer les repas en position verticale
En bas, un avertissement.
Lâacceptation de 83% des suggestions est associĂ©e Ă une rĂ©duction de 12% du risque dâajustement spatial forcĂ©.
Je ne suis plus un habitant. Je suis une variable dans leur Ă©quation dâoptimisation.
Un soir de fatigue extrĂȘme, je mâeffondre sur le canapĂ©-lit sans me dĂ©shabiller. Le sommeil mâengloutit instantanĂ©ment.
Le rĂ©veil est brutal. ObscuritĂ© totale. Lâair a changĂ©, plus dense, avec une odeur mĂ©tallique dâhĂŽpital.
Mes mains tĂątonnent.
Un interrupteur inconnu.
Jâappuie. La lumiĂšre accroche une piĂšce recalibrĂ©e.
Le canapĂ©-lit est devenu un matelas pliant logĂ© dans une alcĂŽve. La cuisine : un Ă©vier miniature et une plaque unique. La fenĂȘtre, remplacĂ©e par un Ă©cran qui simule lâextĂ©rieur.
Je touche lâĂ©cran. Un menu apparaĂźt.
Sélectionnez votre vue : Urbaine / ForestiÚre / Océanique / Montagne.
Un simulacre. Ma derniĂšre connexion au monde rĂ©el, remplacĂ©e par une image. Sans que jâaie le temps de refuser de choisir, une autre notification apparaĂźt.
FĂ©licitations, locataire #7834J ! Promotion vers notre gamme dâhabitats ultra-efficaces (CatĂ©gorie D-8, ajustement de 14,3%). Votre engagement vers une empreinte minimale est exemplaire.
Je nâavais mĂȘme pas eu de retard cette fois. Lâalgorithme anticipe, optimise prĂ©ventivement.
Sur lâĂ©cran mural, un graphique non sollicitĂ© arrive soudainement. Valorisation 7834J. La courbe monte. En caractĂšres minuscules :
Fractionnabilité augmentée de 32%.
Je comprends.
Mon espace nâest plus un lieu de vie.
Câest un produit. Ă maximiser.
Dans le couloir, la porte du 58E sâentrouvre. Un homme en costume froissĂ© apparaĂźt. Ses yeux sont vides.
« Valeur. Surface. Rendement. »
Sa voix est mĂ©canique. Il trace des lignes invisibles dans lâair.
« On signe tous. »
Il disparaßt au fond du couloir avant que je puisse répondre.
Mû par un instinct de survie, je descends aux sous-sols. Les escaliers semblent se rétrécir à chaque palier. Section G. Couloirs de maintenance, tuyaux apparents, néons clignotants.
DerriĂšre le panneau Ă©lectrique E-7, dissimulĂ© par des cĂąbles : un passage Ă©troit. Je mây glisse.
Un carnet abandonné. Couverture GestiHabitat. Pages arrachées, sauf quelques-unes :
ULS-7834J-B â TradĂ© Valeur / Surface = Rendement FractionnabilitĂ© : 3 unitĂ©s F-0
Des croquis : silhouette humaine â rectangle â ligne â point.
DerniĂšre page, un badge collĂ© : A. Morel â Optimisation Spatiale
ULS. Unité Locative Spéculative. Mon contrat est un produit financier.
Le carnet tremble dans mes mains. Sur mon écran :
Locataire #7834J, AccĂšs non autorisĂ© dĂ©tectĂ©. Communication inter-rĂ©sidents disponible via ConnexionPlus (19,90âŹ/mois).
Le lendemain, mon écran mural diffuse une publicité. Le visage est familier.
DĂ©couvrez lâinnovation rĂ©sidentielle avec Antoine Morel, expert en solutions locatives.
Il se tient dans un espace minuscule, souriant.
GrĂące aux ULS â UnitĂ©s Locatives SpĂ©culatives â chaque mĂštre carrĂ© devient un potentiel de rendement. Optimisez votre investissement avec nos forfaits Premium Ă partir de 29,90âŹ/mois.
DerriÚre lui, des graphiques boursiers. ULS-7834J-B. ULS-7834J-C. Mon existence, déclinée en produits dérivés.
Dans un dernier rĂ©flexe de rĂ©sistance, jâenvoie des messages. Commission dâhygiĂšne. Journalistes. Mairie. « Pratiques illĂ©gales GestiHabitat. RĂ©duction forcĂ©e espace vital. » Photos, mesures, preuves.
La réponse est immédiate.
Demande dâoptimisation volontaire enregistrĂ©e. Merci pour votre engagement proactif.
Mes appels Ă lâaide sont devenus des demandes dâajustement. Le systĂšme digĂšre sa propre contestation.
Le transfert final arrive sans prévenir, pendant mon sommeil.
RĂ©veil dans la dĂ©sorientation totale. Bouche sĂšche, membres engourdis. Ce nâest plus mon appartement.
Une cellule. Quatre mĂštres carrĂ©s maximum. Matelas intĂ©grĂ© au mur, escamotable. Douche-toilettes-lavabo en un seul bloc. Pas de fenĂȘtre. Pas mĂȘme de simulateur.
Jâai dormi combien de temps ? Une nuit ? Trois jours ? Mon corps ne sait plus.
Un Ă©cran encastrĂ© affiche lâessentiel.
Température : 22°C Humidité : 47% Prochain ajustement : 28 jours.
Un bruit sec sâĂ©chappe de ma gorge. Que reste-t-il Ă comprimer ?
Lâair sent le neuf chimique. Murs blancs aveuglants. Sol tiĂšde, chauffage intĂ©grĂ© ou compression thermique ?
Transfert habitat transitoire complété. Efficience maximale atteinte.
Mon lit : un tiroir. Ma table : vingt centimĂštres pliables. Mon existence : une fonction Ă optimiser.
Objectif empreinte volumétrique : -5,3%
Mes épaules se rentrent automatiquement.
Mode Ultra-Efficiency disponible. Nuit verticale. Réduction loyer : 2,4%
Mon doigt valide sans que mon cerveau intervienne.
Le loyer nâa baissĂ© que de 12% pour 80% dâespace en moins.
Ma main frappe le mur. Le son meurt instantanément. Isolation parfaite.
Appel urgence indisponible. Support premium : 9,90âŹ/jour.
Je mâaffaisse sur le matelas.
Ămotions nĂ©gatives dĂ©tectĂ©es. Stabilisation Ămotionnelle : 7,50âŹ/jour.
Le désespoir : variable monétisable.
Nouveau graphique.
Rendement comparé ULS.
En bas.
Fractionnement prévu : 3 unités F-0.
Jâai signĂ© ma disparition. Mon corps dort dĂ©jĂ recroquevillĂ©. Lâadaptation est complĂšte.
Dans le carnet, une derniĂšre notation : Cellule F-0 â 4mÂČ.
Mur. Blanc. Parfait. Sans mémoire.
Convertir souvenirs spatiaux en crédit cloud ?
Mes doigts restent suspendus.
Je nâai plus rien Ă sauvegarder.
Pas mĂȘme moi.


