đ„ Combien coute ta vie ?
Il parait que la vie n'a pas de prix. Pourtant, tout montre l'inverse, mĂȘme dans nos propres choix.
Bonjour,
Dans un marchĂ© globalisĂ© oĂč la spĂ©culation existe sur Ă peu prĂšs tout, du blĂ© aux cartes Pokemon, la quasi-totalitĂ© de ce qui existe a Ă©tĂ© financiarisĂ©.
Câest pas totalement dĂ©nuĂ© de sens.
A lâorigine, la monnaie a Ă©tĂ© inventĂ©e pour faciliter les Ă©changes. Donc donner un prix permet de faciliter la comprĂ©hension, afin dâavoir un rĂ©fĂ©rentiel commun.
Mais alors : est-ce que la vie a un prix ?
Le cĂ©lĂšbre adage semble dire lâinverse. Pourtant, le vivant est largement financiarisĂ©. Certains pays autorisent la vente dâorganes, dâautres permettent de breveter des organismes (OGM, virus etc.). A chaque fois se posent les mĂȘmes questions Ă©thiques quâun grand philosophe a trĂšs bien rĂ©sumĂ© :
« Qui a le droit ? Qui a le droit ? Qui a le droit d'faire ça ? »
Pourtant, si les dĂ©bats bioĂ©thiques sont parfaitement entendables, les vies humaines ont dĂ©jĂ un prix. Non seulement câest normal, mais câest Ă©minemment utile.
Avant propos : cet article est froid et analytique. Il tend Ă faire fi des convenances sociales et des Ă©motions pour se concentrer sur des chiffres. Il se base sur des faits rationnels, des Ă©tudes et retire toute forme dâĂ©motion dans lâanalyse. Câest Ă©videmment un biais fort, mais un parti pris.
Ces Ă©crits ne cautionnent aucune forme de violence sous aucun prĂ©texte et dâaucune façon et nâexpriment Ă aucun moment une opinion sur un sujet passĂ© ou prĂ©sent, un fait divers, un Ă©vĂšnement, une actualitĂ© ou une personne en particulier.
Sans le moindre jugement de valeur, je déconseille cette lecture aux personnes qui ont du mal à se détacher de leurs émotions pour analyser un sujet.
Tout commentaire visant à porter un jugement de valeur sur une politique ou une opinion sera immédiatement supprimé, et tout propos haineux signalé.
Tu peux aussi faire un don ici. Câest libre, et surtout yâa pas Substack qui prend 10% et Stripe 3% đ .
đ§ Combien ça coute ?
Si tu es normalement constitué, que tu as des relations à peu prÚs normales avec tes parents, tu devrais répondre non à la question :
« Est-ce que tu acceptes que je tue tes parents pour 1â000⏠? »
Si je continue et que je dis :
« Et pour 1 million ? »
Puis que je continue Ă monter, tu vas finir par me dire un truc du genre :
« Non, mĂȘme pour tout lâor du monde. »
Yâa 3 raisons à ça.
Ce sont des gens que tu connais, que tu aimes, avec une situation trĂšs concrĂšte ;
Les sommes, elles, ne sont pas concrĂštes, parce que tu sais que tâes dans une expĂ©rience pensĂ©e ;
Nous sommes dans le cas souvent Ă©tudiĂ©1, dâune rhĂ©torique de lâextrĂȘme, qui ne permet pas dâapporter de nuance.
Maintenant, imaginons quâau lieu dâavoir cette discussion, je tâavais proposĂ© 1 â000âŹ, et quâen Ă©change, une personne que tu ne connais pas, que tu nâavais jamais vu, et avec laquelle tu nâauras jamais la moindre relation avec aucun de ses proches, meurt.
Sans doute que tu vas refuser.
Mais pour 100â000, un million, dix millions etc. : Ă combien vas tu accepter ?
La premiĂšre barriĂšre vient de sauter, mais pas les suivantes.
Un exemple qui passe les 3 est racontĂ© dans la sĂ©rie Dâargent et de sang, sur lâescroquerie Ă la taxe carbone.
Les escrocs sont dans un avion, et propose Ă un membre de lâĂ©quipage de manger une banane avec la peau. Le steward refuse 1â000âŹ, puis 5â000âŹâŠ puis accepte Ă 10â000âŹ. Selon un des vrais protagonistes, câĂ©tait 30â000âŹ, et dans une partie de poker.
Mais peu importe : le steward avait une limite. Et elle a Ă©tĂ© brisĂ©e parce quâil ne sâagissait pas dâune expĂ©rience de pensĂ©e, mais dâune action Ă faire en Ă©change dâune somme concrĂšte, posĂ©e sur table devant lui.
Voila pourquoi il nâest pas possible de faire un sondage rĂ©aliste sur des questions avec un vrai enjeu :
Pour la raison 2, décrite au dessus ;
Parce que les sondages sont déclaratifs, et par définition, faux.
Les gens dĂ©clarent ce quâils pensent devoir dire, devoir faire, ou par rapport au jugement quâils pensent nĂ©cessaire.
Tout le monde veut sauver la planĂšte.
Tout le monde veut dit vouloir consommer écolo.
Tout le monde trouve que le Made-in-France câest mieux que Shein.
Mais tout le monde continuer à bouffer de la viande, prendre sa bagnole, vivre dans une maison mal isolée et achÚte des fringues chinoises fabriquées dans des conditions atroces.
Chacun, indirectement, donne donc un prix Ă la vie.
A la sienne, mais surtout Ă celles des autres.
đĄ Vendre ou louer ?
Avant de passer au prix dâune vie, il convient de noter que la quasi-totalitĂ© des humains louent une partie de la leur : ça sâappelle le travail.
Quand des actionnaires crĂ©ent une entreprise, ils mettent en commun des moyens de production, pour crĂ©er des produits ou des services (en tout cas, de la richesse), et mettent Ă contributions des humains, dont ils rĂ©munĂšrent le temps. Câest le salaire.
Ce concept a plusieurs fois été remis en cause.
Câest dâailleurs lâune des bases du marxisme : faire en sorte que les bourgeois2 ne possĂšdent plus les moyens de production et que les prolĂ©taires sâen emparent, pour mieux rĂ©tribuer leur travail.
Depuis deux dĂ©cennies, la montĂ©e en puissance de ceux qui thĂ©orisent le dĂ©veloppement personnel et lâindĂ©pendance financiĂšre (dont la plupart son indĂ©pendants en vendant leurs conseils), a amenĂ© de nombreuses personnes Ă tenter de ne plus monĂ©tiser leur temps. Et donc, en rĂ©alitĂ© Ă avoir des revenus du patrimoine, dont la richesse est créée par les autres.
Le fond est donc simplement déplacé.
Mais quâen est-il, lorsquâil est question de cĂ©der entiĂšrement sa vie ?
â Mourir pour des idĂ©es (mais de mort lente)
Un certain nombre de personnes dĂ©dient leur vie, et encore plus facilement celles des autres, pour des causes quâils trouvent justes.
On retrouve lĂ -dedans des religieux, des politiques ou des sectes, câest-Ă -dire des personnes qui portent des idĂ©es.
Quand des sectes (Ordre du Temple Solaire, Aum ShinrikyĆ, Temple du Peuple etc.) amĂšnent au sacrifice des humains, câest pour une croyance commune, leadĂ©e par le gourou. Pour le dirigeant, la valeur de ces humains est infĂ©rieure Ă celle de ces idĂ©es.
Câest pareil dans chaque guerre oĂč les chefs envoient au front des jeunes hommes dont la mort est justifiĂ©e par le casus bellum, et rĂ©compensĂ©e par la gloire, concept inventĂ©e pour minorer le prix.
« lls soufflent sur des braises, planqués dans leur confort
Nous chantent la Marseillaise tant que la mort reste inodore
Ils pensent la guerre, mais ne porteront jamais le treillis
Quand on manquera de cimetiÚres ils fuiront le pays »
- Kery James, Vivre ou Mourir Ensemble (2016)
On retrouve ce cas chez les politiques et les dirigeants de grosses entreprises. Les dĂ©cisions quâils prennent vont impacter des centaines, des milliers voire des millions de personnes. Mais ils nâen seront que rarement impactĂ©s directement.
Et nombreuses sont les personnes impactĂ©es qui se disent otages de ces dĂ©cisions. Et pourtantâŠ
đŹ PiĂšge de cristal
La monnaie nâest rien. Ce nâest quâune reprĂ©sentation symbolique dâun Ă©change.
Ma piĂšce dâun euro ne sert Ă une seule chose : donner un chiffre universel lors de tous les Ă©changes. Elle ne marche quâĂ une condition : que les gens qui sont impliquĂ©s dans lâĂ©change donnent la mĂȘme valeur, donc la mĂȘme confiance.
Câest exactement le cas des otages : ils sont une monnaie humaine. La difficultĂ© câest la valeur que chacun va donner aux humains quâil dĂ©tient, et Ă ceux quâil a perdu.
Un exemple frappant est celui des échanges de prisonniers palestiniens et israéliens.
Pendant plusieurs annĂ©es, les dirigeants dâIsraĂ«l ont refusĂ© toute nĂ©gociation lors des prises dâotages par le FDLP3. Jusquâau massacre de Maâalot qui fait 32 morts dont 22 enfants, et traumatise profondĂ©ment le pays en 1974.
Depuis, IsraĂ«l se porte garant de la sĂ©curitĂ© de ses otages, ce qui est dâailleurs lâune des raisons dâĂȘtre de sa crĂ©ation.
En 2006, le jeune soldat de 20 ans Guilad Schalit est capturĂ© par le Hamas. A lâĂ©poque je suivais en tant que photographe les deux comitĂ©s français en soutien Ă Ingrid Betancourt, et plusieurs fois le nom de Guilad Schalit (et sa photo que je garde toujours en mĂ©moire) Ă©tait apparu. Son histoire mâavait touchĂ©e parce quâil avait tout juste un an de moins que moi.
En 2011, il est libĂ©rĂ© aprĂšs 5 ans de captivitĂ© contre 1â000 otages palestiniens. Parmi eux, beaucoup ont repris les armes. 1 contre 1â000.
En 2019, The Times of Israël dénombrait 10 morts suite à des attaques perpétrés par ces libérations4.
Le 14 octobre 2023, un porte-parole de lâarmĂ©e israĂ©lienne annonçait la mort dâAli Kachi, un des cadres du Hamas de lâunitĂ© Nukhba. Activement impliquĂ© dans lâattaque terroriste contre IsraĂ«l du 7 octobre 2023, il avait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© lors de lâĂ©change de Guilad Schalit5.
đ¶ Un aprĂšs-midi de chien
Ingrid Betancourt, elle, avait Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e avant Shalit, en 2008. Comme toujours, la France (comme la plupart des grands pays) a niĂ© avoir payĂ© pour libĂ©rer lâotage française, qui sâest envolĂ©e en hĂ©licoptĂšre aprĂšs une opĂ©ration militaire.
A lâĂ©poque, la Radio Suisse Romande avait parlĂ© dâune rançon de 20M$, et affirmĂ© que lâopĂ©ration nâĂ©tait quâune mise en scĂšne destinĂ©e Ă faire oublier lâargent6. Selon la totalitĂ© des gens, y compris trĂšs proches des opĂ©rations, que jâai interrogĂ© et connu Ă lâĂ©poque, cette information est fausse et lâOpĂ©ration Jaque qui a permis libĂ©ration Ă©tait bien rĂ©elle. Aucune rançon nâaurait Ă©tĂ© payĂ©e. Une version confirmĂ©e Ă plusieurs reprises par Ingrid Betancourt7, mais Ă©galement le prĂ©sident colombien de lâĂ©poque Alvaro Uribe.
Ce nâest pas toujours le cas.
Pour faire revenir les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot enlevés en Irak en 2004, la France a payé 15M$. Une somme conforme au « marché », qui va de 2,5 à 10M$ / personne.
Câest ce que vaut la vie dâun citoyen dâun grand pays, capturĂ© par des terroristes dâun pays en guerre.8
5M$ pour René Braunlich et Thomas Nitzschke (Allemagne) (10M$ demandés) ;
6 Ă 10M$ pour Giuliana Sgrena (Italie) ;
10M$ pour Florence Aubenas (France) ;
3M$ pour Susanne Ostloff (Allemagne) ;
14M$ pour Didier François et Edouard Elias (France) ;
100M$ pour les 5 femmes dites « infirmiÚres bulgares ».
Impossible de dire comment est rĂ©ellement fixĂ© ce cout. Mais le prix est directement indexĂ© sur la popularitĂ© des otages. Paradoxalement, plus les comitĂ©s de soutien travaillent, plus lâEtat va intervenir, mais plus les prix augmentent.
Parce quâen rĂ©alitĂ©, ce qui payent surtout les Etats, câest leur propre image.
En 2007, Nicolas Sarkozy fait des infirmiĂšres bulgares une de ses prioritĂ©s mĂ©diatiques. Les 100M$, câest le prix de son image. Et sâil nâa pas Ă©tĂ© payĂ© de rançon pour Ingrid Betancourt, le cout de lâOpĂ©ration Jaque a Ă©tĂ© intĂ©gralement supportĂ© par la France.
Par contre ce qui est clair, câest que ces rançons financent directement le terrorisme et une flopĂ©e dâintermĂ©diaires. Certains pays (comme le Royaume-Uni) refusent catĂ©goriquement de payer, avec des consĂ©quences lourdes.
Sur la quinzaine dâotages britanniques depuis 50 ans, seuls 5 sont revenus vivants. Tous dans le cadre dâun accord entre des mouvements libanais et palestiniens.
En mars 2023, le Mali accusait la France dâavoir financer un groupe proche dâAl-QaĂŻda pour nĂ©gocier la libĂ©ration dâOlivier Dubois9. Une somme estimĂ©e Ă 6M$ selon une source locale.
Des pratiques qui interrogent forcĂ©ment puisque depuis 2001, des centaines de lois ont Ă©tĂ© pondues Ă travers le monde pour limiter le financement du terrorisme. Câest dâailleurs lâune des obligations majeures des sociĂ©tĂ©s financiĂšres.
Mais la pratique des otages nâest pas nouvelle.
En 1430, Jean de Luxembourg capture Jeanne dâArc Ă CompiĂšgne et la vend aux Anglais pour 10â000 livres tournois1011. Câest suite Ă cela quâelle est remise Ă lâĂ©vĂȘque de Beauvais qui fera son procĂšs en hĂ©rĂ©sie, la conduisant au bĂ»cher quelques mois aprĂšs.
Jules CĂ©sar en son temps avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© capturĂ© par des pirates contre rançon. LâHistoire (sans quâon en soit rĂ©ellement sĂ»r) retient mĂȘme quâil aurait Ă©tĂ© vexé⊠par le montant trĂšs bas demandĂ© par ses ravisseurs.12
Mais lâhistoire est intĂ©ressante parce que câest la vraie premiĂšre trace de monnayage dâune vie humaine. Parce que si Aetius fut otage romain des Wisigoths, et Arminius otage wisigoth des Romains, câĂ©tait surtout une maniĂšre de garantir un traitĂ© de paix. Ce que faisaient dĂ©jĂ les Spartiates au Ve siĂšcle avant notre Ăšre, sans contrepartie financiĂšre.
đŽ Nos vies valent plus que leurs profits
Si en France comme ailleurs, on protĂšge ses ressortissants Ă lâĂ©tranger⊠Câest aussi vrai sur son territoire, tout les jours. Et on tend Ă lâoublier.
Prenons les dépenses de santé.
Les Français ont consommé pour 235mds⏠de soins et de biens médicaux en 202213, soit 9% du PIB (207mds⏠en 2019, 210mds⏠en 2020, 226mds⏠en 2021), dont :
114mds⏠en soins hospitaliers (89mds⏠dans le public, 26mds⏠dans le privé) ;
62mds⏠en ville (25mds⏠chez les médecins, 14mds⏠chez les dentistes) ;
33mds⏠de médicaments.
Rien que les hÎpitaux ont un déficit (aprÚs financements publics) de 500 à 1000M⏠/ an.
En 2023, notre ONDAM ( joli mot pour dire « objectif national des dĂ©penses d'assurance-maladie ») Ă©tait de 244mdsâŹ, soit 4600⏠/ personne.14
Câest que lâEtat accepte de payer pour notre santĂ©.
Câest assez peu concret, et surtout, pas trĂšs intĂ©ressant sur le cout rĂ©el quâon donne Ă la vie.
Prenons des chiffres plus clairs.
Le cout social du tabac est de 156mds⏠/ an15 ;
102mds⏠pour lâalcool ;
7,7mds⏠pour les drogues illicites.
Selon les estimations, la mortalitĂ© annuelle suit le mĂȘme ordre :
Entre 200 et 500 morts par an liées aux drogues16 ;
Entre 40 et 50â000 pour lâalcool ; 17
Entre 70 et 80â000 pour le tabac.
Le tabac est un exemple particuliĂšrement intĂ©ressant. Un sondage en 2020 indiquait que 56% des Français pensaient que le tabac rapporterait plus quâil ne coute.18 Une idĂ©e reçue principalement liĂ©e au traitement mĂ©diatique intense Ă chaque hausse des taxes.
Pourtant le tabac, hors cout social19 :
Coute 1,6mds⏠/ an en prévention ;
26mds⏠en soin ;
Et rapporte 16mdsâŹ.
On pourrait donc sâattendre Ă ce que les moyens dĂ©ployĂ©s pour lutter contre la drogue soient 160x infĂ©rieurs Ă ceux contre le tabac.
En 1997, le cout de la rĂ©pression anti-drogue cĂŽtĂ© police Ă©tait estimĂ© Ă 1,03mdsâŹ20. Un chiffre qui aura forcĂ©ment beaucoup augmentĂ© en 30 ans sans quâon puisse dire dans quelle proportion. Et qui exclut la rĂ©pression judiciaire (tribunaux, prisons, conseillers de rĂ©insertion etc.).
Pourtant, le seul effet direct dĂ©montrĂ© : câest lâaugmentation drastique des prix.21
A lâinverse, comme la plupart des taxes, celles contre le tabac marchent. La totalitĂ© des Ă©tudes, en France comme Ă lâĂ©tranger, montre un lien direct entre la hausse de la fiscalitĂ©, et la baisse des usages.22
Une simple rĂšgle de trois permet dâestimer le prix dâĂ©quilibre du paquet entre 40 et 50âŹ. Mais combien de gens seraient prĂȘts Ă payer leur propre risque liĂ© Ă lâusage de lâalcool ou du tabac ? Mieux, si on faisait un sondage, combien de non-fumeurs seraient Ă lâaise pour que la sociĂ©tĂ© paye les soins aux fumeurs, volontaires ?
Cette rĂ©flexion pourrait sâappliquer Ă pas mal de sujets.
Combien trouveraient normal que la sociĂ©tĂ© entiĂšre paye les 10,6mds⏠/ an que coute lâobĂ©sitĂ©, soit 1240⏠/ personne traitĂ©e23. Combien diraient que, finalement, elles sont un peu responsables de leur poids, dĂšs lors quâon leur donnerait ce cout ?
De quoi remettre intégralement en cause le modÚle de santé mutualisé.
On voit néanmoins une décorrélation forte entre les dépenses destinées à lutter contre les drogues criminalisées et les drogues sociales (tabac, alcool) qui sont parfaitement acceptées.
De quoi conclure que le prix de la vie des droguĂ©s vaut plus que ceux des consommateurs dâalcool ? Ou est-ce justement la dĂ©monstration que nombre de dĂ©cisions sont prises de maniĂšre irrationnelle ?
Ces rĂ©ponses Ă ces questions donnent directement un prix Ă la vie. Mais elles donnent surtout une autre indication : le prix dâune vie dĂ©pend dâun jugement de valeur.
đŁ Toutes les vies ne se valent pas
Jâavais commencĂ© Ă Ă©crire cette newsletter yâa 1 an, et je lâai repris il y a quelques temps suite Ă une chronique de David Castello-Lopes, lâhomme le plus drĂŽle du monde.
« Il y a en moyenne 2 enfants en France qui meurent Ă©touffĂ©s avec des chips Ă lâancienne. Mais ces 2 morts pourraient ĂȘtre Ă©vitĂ©s grĂące Ă une campagne massive de sensibilisation aux dangers de la chips Ă lâancienne, dont la surface moins lisse que la chips tendance, a tendance Ă se fixer sur les voies aĂ©riennes des nourrissons et Ă provoque leur dĂ©cĂšs.
Cette campagne va couter 100MâŹ.
Vous allez me dire quâavec cet argent, on pourrait faire des trucs mieux, genre repeindre Montreuil en violet.
Or si vous dites ça, vous avouez implicitement que la vie de ces enfants qui vont sâĂ©touffer dans le futur ne vaut pas 100MâŹ. Elle vaut moins. »
En fonction de ses propres idĂ©es, des jugements que lâon porte sur une personne oĂč une situation, on va attribuer une valeur diffĂ©rente Ă la personne.
Prenons les prisons qui coutent autour de 5mds⏠/ an24 (hors construction) pour 70â000 dĂ©tenus, soit environ 70K⏠/ personne / an.
Dans le mĂȘme temps, un Ă©colier coute 6,2K⏠/ an, un collĂ©gien 9,7K⏠et un Ă©tudiant 10,2KâŹ.25
RĂ©guliĂšrement, les dĂ©bats sur les prisons se rĂ©sument dâailleurs Ă des phrases de type :
« Ils sont mieux traités que nos vieux dans les EPHAD »
On pourrait se dire que ça fait cher pour quelquâun qui a fait des conneries.
Quâon pourrait mettre plus dans lâĂ©ducation.
Que ça ferait baisser le nombre de conneries.
Que les budgets dĂ©diĂ©s Ă lâaccompagnement des victimes nâest pas aussi Ă©levĂ©.
Allons Ă lâextrĂȘme.
La dĂ©tention de Salah Abdeslam26 Ă Fleury-MĂ©rogis coute 400â000⏠/ an.27
Non pour lui offrir des conditions de rĂȘve, mais au contraire pour lui donner une dĂ©tention la plus sĂ©vĂšre qui soit, tout en respectant ses droits Ă©lĂ©mentaires.
La vie dâun fils, assassinĂ© par les compĂšres dâAbdeslam, vaut, selon le Fonds de garantie des victimes du terrorisme, 47â500âŹ28
đŒïž Au tableau !
Parce quâil a bien fallu dĂ©finir combien valait un prĂ©judice, et donc une vie : câest le lot quotidien de la justice. Il est assez aisĂ© de dĂ©terminer combien vaut la perte dâune maison, dâune voiture, ou mĂȘme dâun emploi. Mais combien vaut la perte dâun mari ou dâun bras ?
Eh bien, il existe des barĂšme du prĂ©judice. En 2006 sort le barĂšme Dintilhac, issu dâun rapport du juge du mĂȘme nom, destinĂ© Ă apporter un peu de cohĂ©rence. En 2020, il a Ă©tĂ© mis Ă jour pour tenir compte de la jurisprudence, et porte le nom de BenoĂźt Mornet, nouveau rapporteur.29
La vie dâun parent vaut pour un enfant :
25 Ă 35â000⏠sâil est mineur ;
+45 Ă 60% sâil est orphelin ;
15 Ă 25â000⏠sâil est majeur vivant chez ses parents ;
11 Ă 15â000⏠sâil avait quittĂ© le domicile.
Dans le sens inverse :
20 Ă 33â000⏠pour un enfant qui vivant chez ses parents ;
15 Ă 25â000⏠sinon.
Pour les fratries, comptez entre 9 et 14â000âŹ, montant identique Ă celui des grands-parents pour leur petit-enfant. Et inversement pour le petit-enfant qui perd son grand-parent. Mais câest moins sâil nâest pas possible de justifier de visites rĂ©guliĂšres.
Le barĂšme inclut tout ce qui peut gĂȘner la vie, sans lâenlever. Un handicap par exemple.
Exemple : une victime de 25 ans subissant un dĂ©ficit de 30% a un prĂ©judice estimĂ© 30 x 3â465⏠ = 103â950âŹ.
đ La valse des pantins
Les exemples ne manquent pas. Les assurances couvrent la vie et la santĂ©. Les vĂ©hicules protĂšgent plus ou moins la vie des passages, en fonction du prix quâils y mettent. Les opĂ©rateurs funĂ©raires donnent un prix Ă la mort. Les politiques publiques donnent implicitement un prix Ă la sĂ©curitĂ©, et donc aux risques. Les normes de sĂ©curitĂ© installent une balance pour plus ou moins protĂ©ger les citoyens, contre un prix supportĂ© par une entreprise.
Dire que « la vie nâa pas de prix » est faux. Câest une expression toute faite qui nâa pas de sens et qui voudrait juste Ă©luder un dĂ©bat compliquĂ© qui rythme pourtant nos quotidiens.
Ce qui est vrai, par contre, câest que la vie nâa pas un prix absolu.
Si je meurs naturellement demain, ma vie ne vaut globalement rien ;
Si je meurs accidentellement, une assurance pourrait indemniser mon conjoint, mon entreprise, mon enfant etc. en fonction des garanties et du préjudice subie ;
Si je meurs Ă cause de quelquâun, alors le prix mis en face va ĂȘtre plus Ă©levĂ©, parce que la justice va valoriser le prĂ©judice moral, et quâune personne peut ĂȘtre tenue responsable ;
Si je suis pris en otage, mon prix de marché va exploser, parce que la France va non pas valoriser ma vie, mais son propre préjudice à elle si je venais à mourir.
Et jâexclus de ce raisonnement lâargent que mes parents et lâEtat ont investi dans mon Ă©ducation, ma santĂ© etc., qui pourrait presque permettre de faire des calculs de rendement đ .
Donner un prix Ă une vie humaine nâest pas cynique.
Parce que ce quâon entend par prix, câest la valeur faciale dâune monnaie.
Mais la monnaie nâa Ă©tĂ© créée que pour avoir un rĂ©fĂ©rentiel commun dâĂ©change.
Le prix dâune vie nâest pas un jugement de valeur entre des individus, mais entre des contextes.
Comparer le cout de la dĂ©tention dâun prisonnier, au prĂ©judice estimĂ© suite Ă la mort dâun parent, lui mĂȘme comparĂ© au handicap permanent nâa pas de sens.
Mais mettre des donnĂ©es prĂ©cises en face de situation, câest ĂȘtre capable de prendre des dĂ©cisions rationnelles, logiques, adaptĂ©es et Ă©quitables. Et tenter de ramener, Ă dĂ©faut dâune justice absolue, un peu dâĂ©quitĂ©.
Alors peut-ĂȘtre quâon peut dire que la vie nâa pas de prix.
Mais en tout cas, le contexte dans lequel on peut la perdre en a un.
Un grand merci Ă Pierre Kopp, professeur des universitĂ©s "Economie du droit, Economie publique" Ă lâUniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on Sorbonne, pour le partage de ses notes.
Je mâappelle Benjamin Charles, et je fais du conseil en branding, positionnement et crĂ©ation de contenus pour des entreprises de la finance, de lâimmobilier et du web3.
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Lâargument de lâextrĂȘme : rĂ©flexion sur la rhĂ©torique de lâHolocauste dans les mĂ©dias en temps de pandĂ©mie, Marie-Dominique Asselin, dĂ©cembre 2020
Ce sont les termes de Karl Marx dans Le Capital.
Front démocratique pour la libération de la Palestine
Les terroristes libĂ©rĂ©s contre Gilad Shalit auraient fait au moins 10 morts, Time of Israel,â 13 mai 2019,
L'armée israélienne se prépare à une "attaque aérienne, maritime et terrestre", I24News, 14 octobre 2023
« Les 15 otages ont en réalité été achetés au prix fort, aprÚs quoi toute l'opération a été mise en scÚne », journal de la mi-journée de RSR, 4 juillet 2008
Betancourt doute du versement dâune rançon, France24, 4 juillet 2008
How $45m secretly bought freedom of foreign hostages, The Times, Daniel McGrory, 22 mai 2006
DerriĂšre lâenlĂšvement du journaliste Olivier Dubois au Mali, les manĆuvres et les ratĂ©s des autoritĂ©s françaises, Morgane Le Cam, Le Monde, 16 mai 2023
La prise de Jeanne d'Arc devant CompiÚgne, Paris, 1889, Alexandre Sorel, Collections numériques de la Sorbonne, 1904
LâĂ©quivalent de 1 Ă 1,3M⏠actuels, selon les travaux de Thomas Fressin
Vies des Hommes Illustres : Vie de Caïus Julius César, Plutarque, traduit par Alexis Pierron, Paris : Charpentier, 1853
France, portrait social, Edition 2023, Dépenses de santé, INSEE, 23 novembre 2023
Le coût social des drogues : estimation en France en 2019, Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Pierre Kopp, juillet 2023
Ăvolution du nombre de dĂ©cĂšs par surdose depuis 1985, OFDT sur des donnĂ©es CĂ©piDC / Inserm
DĂ©cĂšs directement liĂ©s aux drogues. Ăvaluation de leur nombre en France et Ă©volutions rĂ©centes. Tendances, OFDT, 2019, n° 133, 8 p.
Consommation dâalcool en France : oĂč en sont les Français ?, SantĂ© Public France, 2020
Des dĂ©cĂšs liĂ©s Ă la consommation dâalcool et de tabac plus frĂ©quents chez les hommes que chez les femmes, INSEE, 2018
Tableaux de l'Ăconomie Française, Edition 2010, Tabac - Alcool - Toxicomanie, 24 mars 2010
Le vrai coût du tabac pour tous, Alliance Contre le Tabac (ACT), novembre 2020
ConsĂ©quences indirectes sur la santĂ© (dĂ©pression etc.), sur lâentourage (violences etc.), sur la sociĂ©tĂ© (dĂ©chets, frais de justice etc.)
Le coût de la politique publique de la drogue, Pierre Kopp, CNRS, 1997
Montant converti en euro et actualitĂ© avec lâinflation.
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L'impact des politiques répressives sur l'offre de drogues illicites, Sylvaine Poret, Revue économique, mai 2006
Augmentation des taxes sur le tabac, OMS, 2014
La mort et les impÎts - La lutte antitabac, Prabhat Jha, Joy de Beyer et Peter S. Heller, Finances & Développement, décembre 1999
Tobacco taxes as a tobacco control strategy, Chaloupka FJ, Yurekli A, Fong GT., Control. 2012
Effectiveness of Tax and Price Policies for Tobacco Control, Frank J Chaloupka, Kurt Straif, Maria E Leon, IARC Handbooks of Cancer Prevention Volume 14, 2011
LâobĂ©sitĂ© en France : un coĂ»t de 10,6 Mds⏠par an pour la collectivitĂ©, AsterĂšs, mars 2022
Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, Cour des comptes, 2023
DĂ©penses dâĂ©ducation par Ă©lĂšve ou Ă©tudiant, DonnĂ©es annuelles de 1980 Ă 2022, INSEE, 12 dĂ©cembre 2023
Seul terroriste survivant des attentats du 13 novembre 2015 en France
Attentats du 13-Novembre : le titanesque et douloureux processus dâindemnisation des victimes, Christophe Ayad et Henri Seckel, Le Monde, 6 juin 2022
Lâindemnisation des prĂ©judices en cas de blessures ou de dĂ©cĂšs, BenoĂźt Mornet Conseiller Ă la Cour de cassation, septembre 2020






L'administration française est responsable du réseau routier et doit faire tous les aménagements nécessaires pour assurer la sécurité de ce réseau, or comme elle doit aussi veiller à l'égalité des citoyens, elle doit ne pas avantager les bretons par rapport aux auvergnats, ou l'inverse, sur ce thÚme, et donc en pratique elle doit calculer, pour chaque aménagement de sécurité envisagé, les probabilités que cela évite des décÚs ou des blessures, et optimiser ses dépenses pour obtenir le maximum de vie épargnées et/ou de blessures évitées pour un budget donné, sans avantager une région plutÎt qu'une autre. Cela revient en pratique à déterminer une valeur financiÚre pour chaque vie épargnée et à réaliser les aménagements de sécurité qui sont "rentables" d'aprÚs ce critÚre, et pas ceux qui ne le sont pas.
MĂšme chose pour le systĂšme de soins public, les dĂ©penses publiques doivent ĂȘtre Ă la foi optimisĂ©es et Ă©galitaires, ce qui impose en pratique de dĂ©terminer une valeur financiĂšre pour chaque vie sauvĂ©e et Ă tenir compte de ce qui est "rentables" et de ce qui ne l'est pas, selon ce critĂšre, dans la politique de santĂ© publique. Ăa pose des problĂšmes Ă©vident avec l'Ă©thique mĂ©dicale ancienne qui impose aux mĂ©decins de faire tout ce qu'ils peuvent pour assurer la survie de leurs malades, sans considĂ©rations de coĂ»ts. On peut rĂ©pondre Ă ce problĂšme avec un systĂšme de santĂ© privĂ©, payĂ© par les malades, en plus du systĂšme de santĂ© publique et qui est supposĂ© aller au delĂ de ce que ce systĂšme de santĂ© peut faire, mais çà pose un problĂšme parce-que le discours politique a du mal a admettre que le systĂšme de santĂ© publique n'est, ou ne serait, pas du mĂšme niveau que le systĂšme de santĂ© privĂ©. En pratique, les "autoritĂ©s de santĂ©" ont souvent tendance Ă savonner la planche aux acteurs des systĂšmes de santĂ© privĂ©s pour les empĂȘcher de faire mieux que ce que le systĂšme de santĂ© publique accepte de payer, mĂšme si çà ne coĂ»te rien Ă la collectivitĂ©.
Lorsque vous écrivez :
"La vie dâun parent vaut pour un enfant
25 Ă 35â000⏠sâil est mineur ;
+45 Ă 60% sâil est orphelin ;
15 Ă 25â000⏠sâil est majeur vivant chez ses parents ;
11 Ă 15â000⏠sâil avait quittĂ© le domicile."
Je suppose que vous faites rĂ©fĂ©rence au chapitre 4 (INDEMNISATION DES PREJUDICES SUBIS EN CAS DE DECES), section 1 (LES PREJUDICES EXTRAPATRIMONIAUX), paragraphe I (Le prĂ©judice dâaffection), du rĂ©fĂ©rentiel Mornet prĂ©citĂ©, qui donne un tableau dont vous reproduisez les premiĂšres lignes.
Mais ATTENTION car le citer ainsi hors de son contexte induit en erreur.
Ainsi, en cas de décÚs, la nomenclature Dintilhac, reprise par le référentiel Mornet distingue :
a) Les préjudices patrimoniaux
b) Les préjudices extra-patrimoniaux
Avec plusieurs types de préjudices patrimoniaux
Et plusieurs types de préjudices extra-patrimoniaux.
Or, dans votre présentation, vous ne citez que les préjudices extra-patrimoniaux, et vous occultez donc complÚtement les préjudices patrimoniaux des proches.
Et, à l'intérieur des préjudices extra-patrimoniaux, vous ne citez que le préjudice d'affection (dont vous reproduisez le tableau), en faisant l'impasse sur les autres postes de préjudices extra-patrimoniaux tels que le préjudice d'accompagnement.
Pour ce qui est des frais patrimoniaux, ils sont essentiels et peuvent représenter des sommes trÚs importantes. En effet, outre les frais d'obsÚques et les frais divers, plutÎt mineurs, ils comportent le poste des pertes de revenus des proches. Et ce poste peut représenter des sommes considérables.
Donc prĂ©senter en disant "La vie dâun parent vaut pour un enfant", sans parler de tous les autres postes, et particuliĂšrement du poste des pertes de revenus des proches, est une prĂ©sentation extrĂȘmement partielle et qui dĂ©forme fortement la rĂ©alitĂ© des indemnisations qui peuvent ĂȘtre accordĂ©es.