💥 Hermès : une famille au bord de l'implosion
5% du capital disparu dans la nature, deux successions au tribunal, et un rapace qui guette la première occasion pour se rassasier
Bonjour à tous,
Depuis quelques années, le luxe a le vent en poupe au CAC40. À eux trois, Kering, LVMH et Hermès pèsent plus de 560mds€. C’est quasiment ce que valait le CAC y’a 15 ans et près d’un quart de sa capitalisation actuelle. Mais c’est aussi parmi les plus grosses performances. +83% pour LVMH en 5 ans, +243% pour Hermès et tout ça malgré les -43% de Kering qui subit notamment les déconvenues de Gucci depuis mi-2021.
Si Arnault (LVMH) et Pinault (Kering) sont hyper médiatiques, ce n’est pas le cas de la famille Hermès qui détient et dirige toujours le groupe familial.
Mais jusqu’à quand ?
Parce qu’entre un fils caché qui réclame sa part et un cousin exilé fiscal qui a paumé plus de 5% du capital, la famille Hermès paraît de plus en plus fragile. Et du coin de l’œil, Bernard regarde ça avec attention, lui qui rêve de croquer le géant depuis 25 ans.
Retour sur une épopée aussi incroyable que discrète.
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📖Il était une fois…
L’histoire débute un 10 janvier 1801 dans la petite ville de Crefeld, aujourd’hui orthographiée Krefeld. Ce département français du Roër est l’un des quatre issus de la République cisrhénane, créée en 1797 par le Directoire et annexée 4 ans plus tard. Agnese Kuhnen, originaire de Rhénanie, et Thierry Hermes, aubergiste du coin, donnent naissance à leur sixième enfant, Dietrich.1
La famille protestante s’est réfugiée en Prusse suite aux persécutions, dont j’avais raconté en partie l’histoire à l’occasion de la newsletter sur la banque Courtois.
Quand ses parents meurent en 1821, Dietrich Hermes s’installe à Pont-Audemer, à quelques kilomètres à l’ouest d’Honfleur. À l’époque, la ville est réputée pour son travail des peaux. Il adopte le prénom de son père, Thierry, et francise son nom en mettant un accent. Pendant plus de 15 ans, il apprend le métier de sellier-harnacheur. Après s’être marié en 1828 avec Christine Pétronella Pierrat (catholique), il s’installe à son compte à Paris en 1837. Son entreprise portera son nom : Hermès.
Spécialisé dans l’équitation, Hermès fabrique des harnais et des selles, mais édite également des ouvrages. Thierry installe son atelier 56 rue Basse-du-Rempart, près de la Madeleine, rue aujourd’hui disparue.
Entre-temps, le couple a accueilli son unique fils, Charles Émile, né en 1831, qui reprend progressivement l’affaire familiale. C’est lui qui va commencer la diversification des marchandises, en proposant des articles à la fois pour les cavaliers et pour les chevaux.
Deux ans après la mort de Thierry, Charles Émile déménage l’entreprise au 24 rue du Faubourg Saint-Honoré. La boutique existe toujours, et c’est toujours le siège social de l’entreprise.
Les deux fils de Charles Émile (Adolphe, 1860, et Émile, 1871) entrent à leur tour dans l’entreprise, et prennent la direction commune de la maison qu’ils appellent Hermès Frères. En 1919, Émile rachète les parts de son frère et devient l’unique actionnaire.
Marchant sur les traces de ses ancêtres, il continue la diversification d’Hermès et l’innovation, en étant par exemple le premier à importer la fermeture éclair en France. Souhaitant ouvrir la marque à d’autres horizons qu’aux chevaux, il ouvre la gamme de produits.
Impliqué dans l’Exposition universelle de 1900 dès le début, il occupe plusieurs postes dans l’organisation, et sera nommé commissaire de la section équestre. C’est d’ailleurs quelques semaines avant la fermeture qu’il se marie avec Julie Hollande, issue de la bourgeoisie l’est de la France.
Le couple aura 4 enfants, et c’est là que commence en réalité toute l’histoire qui suit. Parce que les 4 enfants sont des filles, ce qui implique que le nom Hermès va disparaître. Mais surtout, à l’exception de Simone, morte à 18 ans, les filles vont toutes se marier et avoir beaucoup d’enfants.
Yvonne se marie avec un notable protestant du sud de la France, Françis Puech, et accouche de 6 enfants ;
Jacqueline se marie avec Robert Dumas, fils de pasteur, avec qui elle aura 5 fils ;
Aline épouse Jean René Guerrand, parfumeur, et le couple aura 5 enfants, qui porteront le double nom Guerrand-Hermès.
Soit 16 héritiers dont 5 filles, qui elles-mêmes prendront les noms de Bauer, Harth et Momméja pour les Puech, de Seynes pour la fille Dumas, et Siegrist pour la fille Guerrand-Hermès.
De quoi expliquer pourquoi près de 140 personnes aux noms très différents sont aujourd’hui héritiers et actionnaires du groupe.
👗La belle époque
Parce que les filles d’Emile Maurice et leurs maris vont donner une tout autre dimension à la marque durant la première moitié du XXe. Dans les années 1920, Hermès se lance dans les vêtements, puis l’horlogerie ou la joaillerie, avant de tenter également les accessoires ou la décoration.
C’est à cette époque que la créatrice Lola Prusac, fille d’une grande famille de tisserands polonais, rejoint le groupe. En charge de la première collection de vêtements pour femme en 1926, c’est elle qui va créer les fameux carrés en tissu de la marque. Créatrice des premiers maillots de bain à motifs, elle sort des collections remarquées, et s’inspire autant du quotidien que d’artistes comme Mondrian, ou d’autres qu’elle côtoie comme Modigliani.
Dix ans plus tard, elle quitte le groupe pour lancer sa marque un peu plus loin dans la rue, au 93. Le fameux 93, domicile de Thierry Ardisson où il filmera ses dîners pour Paris Première.
Ses vêtements seront portés par les plus grandes stars de l’après-guerre : Ingrid Bergman, Lauren Bacall, Brigitte Bardot ou Catherine Deneuve. La maison ferme dans une relative indifférence en 1980, quelques années avant sa mort.
Tout l’inverse d’Hermès qui va prendre à bras-le-corps les grandes évolutions du siècle, en devenant notamment une des références des sacs et des bagages, profitant de l’essor du chemin de fer et de l’automobile.
En 1930, c’est Robert Dumas qui a l’idée du fameux sac Kelly, qui fait toujours partie des meilleures ventes de la marque avec le sac Birkin, imaginé en 1984 par… Jean-Louis Dumas, son fils.
Parce que si ce sont des femmes qui ont hérité de l’empire Hermès, ce sont les hommes qui vont le diriger et prendre les grandes décisions.
Trente an avant d’imaginer le Birkin, Jean-Louis Dumas avait rejoint le groupe dirigé par son père. Nommé administrateur dès 1971, il devient président en 1978. Son ambition est de continuer l’expansion du groupe, tout en cultivant la discrétion. Comme un héritage du protestantisme familial.
Toujours est-il qu’il relance l’horlogerie et la joaillerie (sans grand succès) et multiplie les acquisitions pour faire grossir le groupe.
En 1989, Dumas restructure le groupe avec une idée en tête : introduire la maison Hermès en bourse. Hermès devient une société en commandite par actions, et créé Emile Hermès SARL comme premier associé commandité. Une manière de toujours garder le contrôle dans le groupe.
Lors de l’IPO, 26% du capital est proposé au public.
En 1998, Dumas fait venir Martin Margiela, propriétaire de sa propre marque depuis 10 ans, avant d’entrer au capital de Jean Paul Gaultier, dont Margiela fut l’assistant. Gaultier finira par remplacer Margiela.
Dans le même temps, Dumas accentue l’internationalisation du groupe, commencée en Chine dès 1961. Il ouvre plus de 50 adresses propres et pas moins de 200 points de ventes, dont la plupart sont designés par Rena… Dumas. Sa femme.
Sous sa direction, le chiffre d’affaires passe de 42M à 1,9mds€.
Quelques temps avant sa mort, et pour des raisons de santé, Jean-Louis Dumas se retire de la direction en 2006 et laisse sa place Patrick Thomas, arrivé en tant que DG en 2003. C’est le premier dirigeant qui n’est pas membre de la famille. Il y restera jusqu’en 2013, remplacé par Axel Dumas, neveu de Jean-Louis. Sa mère, Michèle Dumas avait été DGA du groupe.
💫Retour vers le futur
En 2018, Challenges estimait la fortune de la centaine d’héritiers Hermès à 137,8mds€2, un montant corrobors par Quartz3 et Bloomberg.4 L’organisation n’a quasiment pas changé l’IPO, et la famille est toujours aux commandes, tant à la direction que dans l’actionnariat.
Pour comprendre comment, il faut regarder l’organigramme de l’entreprise.56
Au sein du groupe, on retrouve les 3 grandes familles un peu partout, issues du mariage des trois filles.
1️⃣ Dans la famille Guerrand, je demande…
Certains les nomment les flambeurs de la famille, voire les excentriques. Il faut dire que face à des Puech au protestantisme sobre à la manière des Seydoux, les Guerrand passent pour des originaux, avec un train de vie élevé et des dépenses parfois très voyantes. Au sein du groupe, on retrouve :
Olympia Guerrand, membre du conseil de surveillance ;
Blaise Guerrand, membre du conseil de surveillance ;
Julie Guerrand, sœur du précédent, membre du conseille de surveillance ;
Édouard Guerrand, troisième de la fratrie du dessus, membre du conseil de gérance d’Emile Hermès ;
Wilfried Guerrand, DSI, cousin éloigné et descendant indirect, salarié depuis 30 ans, et membre du ComEx.
Ce statut dirigeant permet d’ailleurs à certains d’obtenir des actions gratuites.
En 2020, Wilfried, obtient 4’020 actions et Julie 1000. La même année, Olympia apporte 305’712 actions (210M€), la quasi-totalité des actions qu’elle possède, au capital d’une de ses sociétés au Luxembourg.
En 2021, il exerce une option puis vend pour 2.7M€ d’actions, puis exerce une seconde option en 2023 pour récupérer près de 4,5M€.
Cette année, Wilfried a à nouveau reçu pour 1’100 actions en mai dernier, qu’il a cédé en deux fois à ses quatre enfants : 275 par personne en mai (629K€ chacun), et 175 par personne en aout, qu’ils ont tous vendu lendemain pour 383K€. L’équivalent d’un million de notation par enfant rien que cette année.
Fin 2023, Wilfried Guerrand détenait 10’147 actions, qui valaient environ 20,5M€.7
2️⃣ Dans la famille Dumas…
C’est ici qu’on retrouve ceux qui pilotent les affaires depuis des décennies et qui, selon les autres familles, font en sorte d’évincer les autres des postes de directions. On y retrouve :
Axel Dumas, gérant d’Hermès International ;
Pierre-Alexis Dumas, directeur artistique général, cousin d’Axel ;
Frédéric Dumas, membre du conseil de gérance d’Emile Hermès ;
Matthieu Dumas, membre du conseille de surveillance et du comité de rémunération ;
Alice Charbin, née Dumas, membre du conseil de gérance d’Emile Hermès ;
Sandrine Brekke, fille de Jean-Louis Dumas, membre du conseil de gérance d’Emile Hermès ;
Guillaume de Seynes, arrière-petit-fils d’Emile via les Dumas, en charge des participations ;
Éric de Seynes, ex-pilote de moto et patron de Yamaha Motor Sport, président du conseil de surveillance.
Tous héritiers de Jean-Louis Dumas, il partage sa même volonté de centralisation. Lui qui avait vu monter Patrick Guerrand, frère de Jérôme, dans le groupe, et a tout fait pour le sortir. Un gros chèque l’a fait finalement se retirer de la direction générale.
Alors que l’accord était prêt à être signé, Patrick a voulu faire amende honorable, en déclarant qu’il ne s’était jamais senti comme « son concurrent ». Et Jean-Louis de répondre :
« Tu as raison, nous ne boxons pas dans la même catégorie. »
Patrick a quitté la pièce, et l’accord a attendu des mois avant d’être signé.
3️⃣ Dans la famille Puech…
Charles-Éric Bauer, petit-fils de d’Yvonne Hermès, branche Puech, membre du conseil de surveillance ;
Capucine Bruet, membre du conseil de gérance d’Emile Hermès ;
Jean-Baptiste Puech, comédien, membre du conseil de gérance d’Emile Hermès ;
Laurent Momméja, membre du conseil de gérance d’Emile Hermès ;
Renaut Momméja, sus-cité dans la liste des actionnaires, membre du conseil de surveillance et du comité des risques.
C’est ce qu’on appelle une affaire de famille même si, contrairement aux Arnault, le triumvirat-des-familles n’est pas (ou très peu) dans les directions opérationnelles.
👕 La guerre des boutons (de manchette)
Avec pas loin de 170mds€ dans le bousin familial, une centaine de membres, des familles de 3 à 6 enfants par génération, et une marque de premier plan, t’imagines bien que les repas de Noël doivent être un peu animés.
Parmi les habituels bordel familiaux, une tromperie que la famille a soigneusement caché et ignoré, jusqu’à ce que le fils adultérin ne se repende dans la presse.
Edmond, né en 1997.
Il est le fils d’Hubert Guerrand-Hermès et de Carol Anne Bundy, une galeriste newyorkaise. Né à Baltimore, comme sa mère, il a toujours été à l’écart d’Hermès et a été élevé par Carol. Ils habitent d’ailleurs toujours ensemble dans un bel immeuble du VIIe arrondissement quand ils sont à Paris, où réside également Xavier Guerrand-Hermès, le jumeau d’Hubert. Ou dans leur maison de Floride acheté par Hubert.
Hubert et Carol se sont rencontrés en 1991 par l’intermédiaire de Jonas Salk, biologiste qui a inventé le vaccin contre la polio. Attentionné dans sa double vie, Hubert a toujours voyagé avec Edmond, tout en couvrant Carol de vêtements et accessoires Hermès. Edmond fera d’ailleurs sa scolarité dans un prestigieux internat suisse, que le chah d’Iran, Joe Dassin ou Sean Lennon ont fréquenté avant lui.
Mais d’Hermès, Edmond n’aura que le nom que son père lui a légué. Si Hubert l’a reconnu, ce n’est pas le cas du reste de la famille, dont la seule évocation publique est l’avis de décès de son père en 2016.8
C’est à cette occasion qu’Edmond va voir la première fois les Hermès.
💄 Amour, gloire et beauté
Après les funérailles d’Hubert, au temple de l’Etoile, la fille légitime d’Hubert, Olympia, reçoit Edmond à l’hôtel de Lannion. Construit en 1754 par Jean Damun, architecte de nombreuses bâtisses de la capital, son entrée est pile en face du musée d’Orsay. Entièrement décoré François-Joseph Graf, il bénéficie aujourd’hui façade, plutôt classique, mais qui n’est pas d’origine, avec deux grands appartements de 100 et 184m2, et deux studios.
C’est la première fois que la demi-fratrie se rencontre. Tout se passe au fond de la cour, au sein des 860m² de l’hôtel particulier. Edmond récupère quelques effets personnels, dont des boutons de manchettes. Il espère pouvoir entrer doucement dans la famille, mais Olympia s’y fermement. Et surtout sa mère.
Parce que la femme légitime d’Hubert est Rosalinda Alvares Pereira de Melo. Fille aînée de Jaime Álvares Pereira de Melo, duc de Cadaval mort en 2001, elle a demandé le titre de duchesse de Cadaval-Hermès, qui lui a été accordé par Duarte Pio de Bragança. Ces membres de la maison de Bragance sont les prétendants au trône du Portugal… qui ne reconnait pas leur légitimité.
Cette histoire portugaise a son importance, parce que c’était la résidence fiscale d’Hubert depuis des années. Sauf que parmi les les objets récupérés par Edmond, il y a les agendas d’Hubert, qui tendent à montrer que cette résidence portugaise serait purement une optimisation fiscale, et qu’il passait son temps en France.
Mais derrière la possible fraude fiscale, qui a déjà alerté Bercy, se cache peut-être également une volonté de détourner l’héritage. Sur la fortune colossale de son père, Edmond aurait perçu entre 40 et 70M€ à l’époque. Rosalinda aurait notamment sorti un certain nombre d’actifs pour les planquer dans plusieurs trusts canadiens.
Quant à Olympia, elle a donc obtenu plus de 200K actions, les mêmes qu’elle a rappatrié dans sa boîte luxembourgeoise.
Après avoir quitté ses études à Columbia, Edmond a débuté une action pour obtenir sa part sur la succession estimée à 2mds€. Il a déjà refusé un chèque de 500M€, au sein d’un accord qui l’obligeait au passage à ne plus la ramener.
Entre temps, et sans doute par vengeance, Olympia a vendu la maison en Floride et aurait tenter de vendre l’appartement du VIIe, qui appartient désormais à Edmond et sa mère.
Edmond, lui, aimerait toujours intégrer le groupe Hermès.
Et surtout, la famille.
🫡 L’Empire contre-attaque
Si la branche des Guerrand est animée, on peut pas vraiment dire que celle des Puech est plus calme. Parce qu’elle a failli faire vacillé l’empire discret y’a bientôt 15 ans à cause de Bernard Arnault, et d’une autre histoire de famille.
À l’époque, LVMH est en plein emplette. Alors qu’il rachète Hublot, Bulgari, Berluti ou Lora Piana, Arnault tente pendant 4 ans de s’emparer d’Hermès et monte jusqu’à 23,2%.
Mais en 2014 Axel Dumas fait plier son concurrent et LVMH finit par distribuer ses actions Hermès à ses actionnaires, Arnault restant actionnaire à 8,5% via sa holding familiale.
Reste quand même une sacrée question : comment notre Nanard national a t’il pu pécho des actions Hermès, alors que la quasi-totalité est plantée dans la holding familiale en commandite façon Lagardère ou Mulliez ?
La réponse est dans un rapport de 115 pages de l’AMF. Parce que pendant près de 4 ans, le régulateur a finit par enquêter sur ce sacré bordel.
Parce que si je suis passé un peu vite sur l’historique, l’histoire commence en octobre 2010 quand Bernard annonce détenir 17% d’Hermès. C’est la stupeur partout dans la famille. Qui a pu vendre ses titres ? Et surtout comment est-ce possible de le faire discrètement, alors que les statuts de la société imposent que chaque mouvement d’au moins 0,5% des titres soit public ?
En réalité l’histoire a commencé dix ans plutôt.
🏝️ Les îles de la tentation
Alors que LVMH est en train de finaliser son litige avec PPR (futur Kering) en cédant ses 20% dans Gucci Group (Gucci, Yves Saint Laurent, Balencengia, Bottega Veneta, Brino, Boucheron, Sergio Rossi, Sowind), la société acquiert en scred et en toute opacité 4,9% d’Hermès.
Deux sociétés (contrôlées par l’intermédiaire d’Harmony Capital, société hongkongaise, via LVMH Asia Pacific) basées au Luxembourg (Hanibal) et dans le Delaware (Alaïr), achètent respectivement 271’428 et 1’495’333 actions. Puis Altaïr cède les titres à Bratton Direction, Ashburry Finances et Ivelford Business, trois sociétés situées… au Panama.
Une bien étrange opération planquée dans les comptes de LVHM dans la rubrique « autres actifs non courants », « en contravention avec les normes internationales » selon l’AMF.
Quand Bernard apprend en 2006 que Jean-Louis Dumas est très malade, il mandate Rothschild et Bredin-Prat pour étudier tous les moyens possibles pour prendre le contrôle d’Hermès.
Tous.
C’est le bras droit d’Arnault, Pierre Godé, qui est responsable l’opération. Celui qui avait conseillé à Arnault de racheter Boussac, alors propriétaire de Christian Dior. Celui qui a mis à dispo sa grande maison dans le sud de la France pour le mariage de Bernard avec Hélène Mercier.
À ses côtés, Nicolas Bazire, ex-associé de Rothschild, à la fois administrateur de LVMH et membre du CS de Rothschild, mais aussi dirigeant du Groupe Arnault (futur Agache), la fameuse holding.
Et pour informer la bande, Bernard Squarcini, l’ancien directeur central du renseignement intérieur recyclé dans la sécurité privée, dont il n’a jamais été clair s’il avait commencé à travailler pour LVHM avant ou après son départ d’institution.
Des mémos sont produits dans la plus grande discrétion. Hermès y est nommé par le nom latin du message des dieux, Mercure. LVMH y est nommé Lithium, un métal alcalin léger, situé à l’opposé du mercure sur le tableau périodique des éléments.
Et Rotschild de conclure :
« Il suffit que la famille se délite et si vous trouvez une famille partenaire, alors les équilibres structurels seront modifiés. »
La fine équipe part à la chasse aux héritiers.
Pour se faire, Squarcini est un sacré atout. Il fait jouer ses relations pour débusquer ceux qui sont en situation fiscale délicate, pourraient avoir des divorces houleux Et plus largement tout ceux qui se foutent de savoir qui va diriger un groupe créé 5 ou 6 générations avant eux.
Forcément, les Guerrand sont ciblés en priorité. La réputation.
🥃 Pastiche 51
Quand Arnault déclare la guerre en 2010, les héritiers Hermès, sous l’impulsion de Bertrand Puech, créent H51 fin 2011 : le fameux groupe familial tout en haut de la gouvernance.
C’est Bertrand qui avait reçu l’appel d’Arnault un samedi matin, deux jours avant l’annonce officielle. Nanard aurait alors déclaré :
« Je me réjouis que nous puissions être désormais associés. »
Bertrand est sous le choc.
Les deux parties sont réunies peu après à l’Hotel Bristol, histoire de pas changer trop de rue. Et c’est le choc des civilisations. « Nous ne sommes pas du même monde » gronde Bertrand Puech qui découvre qu’Arnault achetait des actions depuis plusieurs années.9
Plusieurs dizaines de millions d’actions sont regroupées dans H51, représentant alors 50,2% du capital. Julie Guerrand, directrice du développement d’Hermès est nommée présidente. Axel Dumas, Bertrand Puech, Axel Dumas, Laurent Momméja, Charles-Eric Bauer et Eric de Seynes seront au CA.
L’idée c’est que chaque année, un tiers des dividendes versés par Hermès servent à racheter des actions détenus par divers membres de la famille. L’AMF autorise même à ce qu’il n’y ait pas d’offre publique, pourtant obligatoire. Les petits actionnaires protestent en vain.
Mais ça ne rassure pas la famille qui se sait traquée. Plusieurs membres remarquent qu’ils sont pris en photo ou suivi. Au point que n’importe quel signal, même sans importance, déclenchent des crises de paniques.
C’est d’ailleurs, en partie, ce qui coutera la place de Patrick Thomas, à qui Jean-Louis Dumas avait dit, quasiment sur son lit de mort :
« Tout ce que j’ai bâti en trente ans, vous allez le détruire. »
Reste à espérer que H51 fonctionne. D’autant que le pacte d’associé est très restrictif pour la cinquantaine d’actionnaires :
Gel les actifs pendant 20 ans, pour éviter toute vente ;
Déclaration de out actionnaire de plus de 0,5%, pour tout contrôler.
En décembre 2011, une flopée d’avocats vient expliquer tout ça à base de PowerPoint et de traiteur de luxe. Au final ce sont 62,85% des parts, dont 80% bloquées. 8mds€ au cours de l’époque.
Mais au fait, pourquoi H51 ?
H pour Hermès.
Et 51 comme les 52 héritiers d’alors.
Oui, 52.
Parce qu’il reste un irréductible gaulois qui refuse de coller son magot dans le pot commun.
Nicolas Puech.
Le frère de Bernard.
(Puech, pas Arnault)
📈 A base de popopo-swap
Si à l’époque, personne ne sait qui a vendu les titres à Bernard, cette défection de dernière minute, quoiqu’attendue, jette un froid, et donne un sérieux indice.
Mais c’est l’AMF qui donnera la réponse dans son rapport : Nicolas Puech aurait vendu 8,8M de titres aux intermédiaires mandatés par Bernard, avant de les planquer via un instrument financier, des Equity Linked Swap, mis en place par Nexgen (filiale de Natixis en Irlande), Société Générale et Crédit Agricole CIB.
Un ELS c’est un contrat à terme où partie récupère la performance d’un placement en equity contre des intérêts. A la fin, le vendeur file la plus-value à l’acheteur si le cours a monté, sinon l’acheteur paye la diff’. Le dénouement peut être fait en cash… ou en titre.
Mais évidemment, dès le départ Bernard voulait les titres. Et comme il ne les possédait réellement, il n’avait pas besoin de le dire à l’AMF puisqu’il ne dépassait aucun seuil.
Pourtant, les titres ont bien été acquis dès 2001, mais ils étaient bien planqués.
A l’origine, les ELS devaient se déboucler en 2010 ou 2011, mais plusieurs ont été prolongés. Mi-2010, Pierre Dehen qui dirige la holding de Bernard, demande aux trois banques si y’a moyen de récupérer les titres. LVMH mandate Lazard, qui était au courant depuis 2 ans. Deux jours plus tard, Bernard appelle Puech, l’annonce au CA de LVMH, puis à l’AMF pour dépassement des seuils.
Suite au rapport, l’AMF réunit la commission de sanction de file 8M€ d’amende à LVMH pour contourner la réglementation afin de monter en scred au capital d’Hermès.
Sans qu’on sache réellement qui avaient vendu des titres, en dehors de Nicolas Puech.
⏱️ Avec le temps va…
Le temps passe, les brouilles s’estompent. Parmi les 6 enfants de Françis Puech et Yvonne Hermès, c’est Agnès qui tente de réconcilier un peu tout le monde. Nicolas devient la figure médiatique (malgré lui) de la famille. Parce qu’il n’est pas dans H51, ses parts dans Hermès le font s’afficher parmi les milliardaires français. 9,6mds€ en 2023 selon Forbes.
Mais sa fortune elle est toujours là ?
Et alors là, on rentre dans un autre giga bordel.
Parce que Nicolas n’est pas vraiment un homme ordinaire. Célibataire, sans enfant, relativement discret, il est exilé fiscal en Suisse depuis les années 90, sur les conseils d’un gestionnaire de fortune, Eric Freymond.
C’est lui qui va accompagner Nicolas dans la création de Isocrate (nommée Fondation Nicolas Puech dans la liste des actionnaires). Il y apporte une partie de ses titres, puis la nomme héritière du reste.
Mais fin 2023, La Tribune de Genève révèle que Nicolas veut finalement faire don de ses titres à son jardinier, Jadil Butrak.10 Suivi d’un autre article la veille de noël pour expliquer la guerre contre Nicolas.11 Des informations qui auraient filtré par la propre volonté de Nicolas selon deux sources proches.
En réalité, elles sont une réaction à un signalement déposé par l’avocat d’Eric Freymond qui qualifie Nicolas de mis en « isolement affectif » par le jardinier et sa femme. L’Express égrène, sans citer sa source que sont pourtant Eric Freymond et son avocats, les nombreuses dépenses réglées pour le couple par Nicolas Puech.12
En 2015, Nicolas a par exemple acheter une villa à Marrakech pour le compte de Jadil Butrak : 1,575M€. Plus de 50 propriétés sont également cédées au couple. Des faits qui font forcément penser à la relation entre François-Marie Banier et Liliane Bettencourt.
Mais la fracture entre Nicolas et Eric Freymond remonte à septembre 2022. Le gestionnaire refuse d’effectuer un virement de 100M€ à destination du couple. Devant l’instance de Freymond, Nicolas le vire.
Six mois après, il annonce à la fondation Isocrate annuler sa donation et donc le contrat. Mais la fondation, représentée par son déléguée général Nicolas Borsinger, refuse. Créée en 2011, la Fondation Nicolas Puech est devenue Fondation Isocrate en 2022, et ses nouveaux statuts limitent considérablement le rôle de Nicolas. Une décision largement poussée par Eric Freymond.
Pour contourner le problème, Nicolas veut adopter Jadil Butrak : s’il a un héritier, la fondation ne percevra rien. Et ça fera bien chier Eric Freymond.
Nicolas se rend même au Maroc pour demande l’autorisation aux vrais parents de Jadil Butrak. Et qu’ils renoncent à leurs droits parents.
Affaire réglée.
❌ En fait non
En avril 2024, Nicolas décide de vendre ses 5’862’615 actions à son nom, afin de sécuriser la transmission. Il adresse un l’e-mail à Yannis Sakkas, l’avocat d’Eric Freymond, celui qui a écrit le signalement quelques mois plus tôt.
Le contenu, révélé par Challenges13, semble indiquer que Puech aurait trouvé un acheteur pour 8mds€.
Qui est le mystérieux acheteur ? Le nom de Bernard Arnault plane forcément, surtout que la trêve avait été signée pour 5 ans. Mais le pacte d’associé d’Hermès rend difficile la transaction face à une famille qui font bloc contre lui. Plusieurs noms du Moyen-Orient ont été cités.
Le problème c’est que les actions… bah personne ne sait où elles sont.
On parle de 13 milliards d’euros.
On parle de 5% d’un géant du luxe.
On parle d’une boîte cotée au CAC40.
En juin dernier, l’avocat de Nicolas écrit à Sakkas, et demande à Freymond d’apporter la preuve que Nicolas est toujours propriétaire de ses actions. Vu que Freymond était en charge de leur gestion.
C’est d’ailleurs derrière Freymond que la famille Hermès se réconcilie doucement. Tous les membres interrogés l’accusent ouvertement.
Parce qu’aujourd’hui ils le savent : c’est bien Freymond qui avait manigancé l’arrivée d’Arnault via les titres de Nicolas.
Mais ça ne résoud pas le problème. Ni Hermès, ni les avocats, ni les mandataires, ni BNP Paribas en charge de la conversation ne trouvent la mention de Nicolas Puech dans les titres au porteur individuel depuis… 2015.
Le mystère reste entier.
🙄This is the end, my friend
Et l’histoire s’arrête ici. Pour le moment.
La procédure d’Edmond serait toujours en cours, et risque de prendre des années vu la complexité de ce type de dossier, les montants et les montages hors-normes.
Nicolas, lui, a été débouté de sa plainte contre Freymond cet été.
Les actions censées être dans une banque genevoise depuis 2012 sont introuvables.
Personne n’a l’air de savoir comment récupérer les titres.
Ni même l’impact que pourrait avoir sur la société une telle disparition.
Les hypothèses les plus folles sont sur la table.
Et si Arnault possédait déjà les titres ?
Et si Freymond avait sécurisé les titres via la fondation, et pris une belle commission ?
Et si les titres n’avaient jamais disparu et que c’était une énième bluff de Nicolas pour évincer Freymond ?
Il est probable que rien ne fuite avant des années.
D’autant qu’en plus de la guerre judiciaire se déroule une gigantesque bataille médiatique.
Plusieurs des articles publiées sur les sujets l’ont été sur la base de sources directement liées à l’un ou l’autre des parties, sans que les journalistes ne soient vraiment au courant. Une tactique que Freymond tente visiblement de répliquer depuis quelques semaines, puisqu’il vient d’engager Dynamics Group, puissant mais discret groupe de communication financière qui a déjà épaulé l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev par le passé.
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Costados, D. Gonçalo de Mesquita da Silveira de Vasconcelos e Sousa, Livraria Esquina, 1.ª Edição, Porto, 1997, no 7.
Les 500 fortunes de France, Eric Treguier, Challenges, 15 novembre 2018
Distant Gen Z cousins of the Hermès family become overnight millionaires, Madeline Fitzgerald, Quartz, 5 septembre 2024
Bloomberg Billionaires Index, 2023
Schéma issu des documents publics de l’entreprise
Actionnariat : Bourse Direct
Source : documents internes de l’entreprise, et alerte AMF
Carnet du jour, Le Figaro, 28 mai 2016
Hermès, une famille recomposée face au « loup du cachemire », Bernard Arnault, Raphaëlle Bacqué et Vanessa Schneider, Le Monde, 18 juillet 2022
L’héritier d’Hermès veut léguer ses milliards à son domestique, Sylvain Besson, La Tribune de Genève, 1er décembre 2023
La guerre secrète d’Hermès contre son héritier rebelle en Suisse, Sylvain Besson, La Tribune de Genève, 24 décembre 2023
Hermès, l’héritier milliardaire et le jardinier : nos révélations sur l’affaire qui affole la Suisse, Emilie Lanez et Béatrice Mathieu, L’Express, 29 février 2024
Où sont les 13 milliards de Puech ?, Thiébault Dromard, Challenges, juillet 2024











Il faut en faire une série de cette histoire.
Je me suis régalée à vous lire, en imaginant les dramas et frustrations familiales, les angoisses des héritiers. Mais pour nous simples quidams, l'incompréhension de ces montages capitalistiques qui semblent encore pouvoir échapper à toute transparence en 2024 et nécessiter de fins limiers financiers, judiciaires ou journalistiques pour dérouler le fil.
Se méfier de sa propre famille, je ne les envie pas. Malgré tout ils réussissent à faire perdurer la marque comme l'un des plus beaux fleuron du luxe français, avec gout et sans tomber dans la 'vulgarisation" des autres fleurons du luxe à coup d'accessoirisation cheap et contrefaites. Je leur souhaite de garder leur adn le plus longtemps possible. c'est l'une de nos pepite vraiment qualitative française. Je ne suis pas cliente, je n'en ai pas les moyens (un peu si je voulais, mais je n'ai pas besoin d'afficher des "signes de bourgeoisie" (toutes mes amies/connaissances (je vis en Province - Ah il faut dire Région maintenant) s'empressent d'offrir un cadeau Hermès pour un anniversaire marquant, un diplôme ou que sais-je) mais j'apprécie la qualité de leurs matériaux, le cuir, la soie, les parfums. Je me contente de les admirer avec plaisir.
Encore merci pour cette analyse-reportage de ce monde opaque