💥 Joueurs de foot : un actif financier comme un autre ?

Salarié, actif financier, investissement : qu'est-ce qu'un footballeur aujourd'hui ? Parlons foot... sans parler de sport !

Bonjour à tous,

aujourd’hui on va parler football. Alors, me direz-vous, pourquoi va-t-on parler d’un sport (que je ne suis que vaguement) alors qu’il s’agit d’une newsletter qui parler de thune et de bullshit. Eh bien justement parce que le football est blindé de thunes. Et sa financiarisation est étonnante.

• La moitié des clubs de Ligue 1 appartient à des étrangers

• Et la majorité à des fonds associés à des entrepreneurs.

Monaco ? L’oligarque russe Dimitri Rybolovlev. Lille ? Un fonds luxembourgeois. Lyon ? La holding d’un américain multipropriétaire de clubs. Toulouse ? Un fonds de pension américain. Et on pourrait citer Caen (Oktree), Sochaux (Ledus) et bien d’autres.

Mais ce ne sont pas les entreprises que constituent les clubs qui m’ont intéressé, mais les joueurs. Entre les salaires, les transferts, la spéculation : est-ce que les footballeurs ne seraient pas devenus des actifs financiers parmi d’autres ?

Note avant de commencer : j’ai publié hier un bilan chiffré de ma présence sur LinkedIn et de ma newsletter. Si ça t’intéresse, c’est ici.

🙄 Déjà : c’est quoi un actif financier ?

D’un point de vue comptable, un actif c’est un machin qui est à gauche du bilan : on y trouve tout ce qui fait le patrimoine d’une entreprise.

Il faut distinguer :

• L’actif circulant : stocks, créances, etc.

• L’actif immobilisé : fonds et commerce et matériel principalement

C’est une norme du Plan Général Comptable. Et l’article 613-1 du même PGC dispose qu’un joueur acquis auprès d’un autre club est un actif, et son indemnité de transfert est immobilisée.

Imaginons que je sois propriétaire du CS Sedan Ardennes. Si j’achète Kylian Mbappé (ouais y’a quoi ?) pour 145M€, alors j’inscris 145M€ à l’actif. Et je peux amortir mon investissement sur la durée de son contrat.

C’est d’ailleurs ce qui déroute la plupart des fans de foot sur la notion de fair-play financier. Cette règle implique qu’un club ne doit pas dépenser plus d’argent qu’il n’en gagne. Ce qui fait que si j’injecte 500M€ de mes deniers personnels dans le CS Sedan, en réalité ça ne change rien à ma capacité d’acheter, sauf à augmenter les recettes.

Mais vu que j’ai signé Mbappé pour 5 ans, je vais amortir sur la même période. Et c’est donc 29M€ qui vont entrer dans mon calcul du fairplay financier. Et non 145M€.

🤨Ensuite : c’est quoi un footballeur ?

Si j’écoute le mec qui gueule en haut de ma rue, c’est un zozo payé 1000 SMIC pour courir après un ballon.

Si j’en crois mon bilan comptable, c’est un actif immobilisé.

Si j’en crois l’URSAFF, c’est un salarié.

On a donc affaire à un salarié qui est également un actif (une immobilisation incorporelle, pour les plus pointus).

Le problème, c’est que cette immobilisation ressemble plus à une obligation qu’à un réel placement financier. Parce qu’un club n’achète en réalité jamais un joueur. Il paye un autre club pour le libérer de son contrat, et donc lui en offrir un autre.

Reprenons mon exemple.

Une fois que j’ai signé Mbappé et que le Real Madrid le veut, ils sont 2 solutions

1. Attendre la fin du contrat de 5 ans : Mbappé a terminé son engagement il fait ce qu’il vend

2. Me payer pour casser le contrat et permettre à Mbappé d’en signer un autre chez eux

Donc on pourrait s’attendre à ce que, comme une obligation, la valeur de marché du joueur chute avec le temps : mais ce n’est pas le cas. En réalité le marché se structure autour de contrats suffisamment longs pour qu’ils ne soient jamais exécutés jusqu’à leur terme.

Imaginons qu’après avoir payé 145M€ Mbappé, et lui avoir versé 115M€ (hors prime) son contrat s’arrête. J’ai plus qu’à espérer que sa venue m’ait beaucoup rapporté… Et c’est arrivé en vrai.

🤴🏽Le cas du Mbappé

Cet été le PSG s’est lancé dans un bras de fer avec le vrai Mbappé (pas celui que j’ai acheté avec Sedan) particulièrement intéressant :

• Il reste un an de contrat : si le joueur ne prolonge pas ou qu’il n’est pas vendu, alors il finira son CDD et partira.

• Pour forcer le joueur à accepter la vente ou à signer un contrat : le PSG l’a mis à l’écart du groupe.

Le problème c'est que cette mise à l’écart de l'équipe pourrait coûter cher au PSG. Une personne proche du syndicat des joueurs professionnels m’explique que l’avocat de Mbappé était prêt à saisir la LFP (Ligue de Football Professionel, qui organise la Ligue 1) puis les Prud’hommes. Parce que son exclusion du groupe n'était qu'une partie des représailles suite à son refus de signer un nouveau contrat, ce qui serait de toute évidence sanctionné par les tribunaux.

C’est toute la différence entre l’actif, qu’est le transfert potentiel, et le salarié, qu’est le zozo sur le terrain.

D’ailleurs, en mars dernier, Hatem Ben Arfa a fait condamné le même PSG pour… exactement le même motif.

Pendant tout l’été, le club a clairement faire fondre la limite entre les deux “entités” en communiquant sur sa possible situation financière difficile.

“Nous serions alors confrontés à la nécessité de procéder à la cessions de joueurs, de revoir la politique d’intégrations des jeunes joueurs […] et très probablement de devoir engage une vague de licenciements”.

Le salarié sera finalement réintégré au groupe courant août.

🇺🇸 Une spécificité européenne

Ce cas n’aurait jamais été possible dans une des ligues majeures américaines, notamment en NBA où il n’y a pas de transfert à proprement parler. C’est-à-dire un joueur qui est vendu contre une somme d’argent. La mutation des joueurs passe par 3 voies :

• La draft : une loterie annuelle où on choppe des joueurs gratos

• Les free agent : recruter un joueur sans contrat

• Les échanges : il s’agit non pas d’échanger des joueurs… mais des contrats

La différence entre échange et transfert est de taille.

Si je veux vendre Mbappé, il faut que je trouve un zozo qui me paye le prix que je veux, et que Mbappé s’accorde avec le zozo sur ce que lui veut. Un sacré chambard.

En NBA, le contrat du joueur m’appartient jusqu’à son terme : j’en fais ce que j’en veux. Le contrat reste d’ailleurs au nom du club qui l’a signé, ce qui créé parfois d’étranges quiproquo, selon un avocat américain qui représente plusieurs joueurs français.

Cette particularité offre des scènes assez étonnantes où des joueurs sont transférés sans le savoir. Encore cette année, Josh Hart était en train de s’échauffer sur le parquet du Golden State qu’il allait affronté avec son équipe de Portland. Un de ses équipiers l’appelle : il découvre sur un téléphone qu’il vient d’être transféré aux New York Knicks quelques heures avant la clôture des transferts. Il ne jouera donc pas le match.

Pour ceux qui aiment les anecdotes, on peut se rappeler d’Enes Kanter qui faisait un live sur internet, alors que des centaines de commentaires lui expliquent qu’il vient d’être transféré (chez les Knicks également). On sent la gêne sur son visage.

Et mon préf’ reste Cousins, qui apprend par un journaliste en live qu’il vient d’être transféré aux Pelicans (gros seum)… avant de faire l’éloge de la Nouvelle Orléans 😎.

💡 Combien ça coûte, un footballeur ?

“Un joueur, c’est une valeur « à la Loulou ». Il n’y a pas de cote. Ce que vaut un joueur, c’est le prix de revente espérée.” - Grégory Schneider, chef du service sports à Libération

S’il existe des manières d’expertiser pas mal d’actif, ce n’est pas le cas des footballeurs. Mais les diverses estimations publiques (Transfermarkt, Football Manager etc.) convergent. Depuis une dizaine d’années, le CIES a mis en place une méthodologie de chiffrage, dont les résultats sont désormais payants. Mais surtout, le CIES indique ne comptabiliser que les contrats de 3 ans ou plus.

L’équipe académique de l’institut a néanmoins plusieurs fois expliqué sa méthodo, basée sur l’âge, les performances, le poste, l’historique, etc. Ses estimations de l’époque se sont d’ailleurs avérées plutôt justes lors des futurs transferts.

Cette estimation a également un intérêt pour les clubs à vendre : faire monter le prix.

Depuis 2017, l’iconique club de Saint-Étienne est à vendre. Le duo Romeyer et Caïazzo, vieillissant et en guerre avec à peu près tout le monde, cherche un repreneur. Lazard, préféré à Rotschild, ramène Peak6, multi investisseur sportif. Montant de l’offre : 50M€. Problème : les vendeurs et les acheteurs ont des ego surdimensionnés et la vente est avortée.

L’année suivante, le club est à vendre pour 20M€, un peu moins que le prix de Toulouse (25M€) et beaucoup moins de Nice (100M€). Parce qu’en réalité, il ne faut pas juste acheter le club… mais reprendre les dettes et investir. Soit environ 150M€ de ticket d’entrée.

Mais pour valoriser le club, et faire en sorte de le faire passer pour une pépite, le duo prépare une prez’ valorisant… les joueurs. Plusieurs slides sont consacrées aux jeunes, et surtout aux plus-values potentielles.

Problème : 2 ans après, aucun de ces joueurs n’aura été acheté le prix indiqué. Dommage.

Et à ce jour, le club n’est toujours pas vendu.

🎲 Des dés pipés

“Les transferts sont liés de manière consubstantielle à l’argent occulte. Soit le prix du transfert inclut une rétro-commission, ce qui est le cas le plus fréquent, soit il est accompagné d’un véritable micmac du type « acquisition des droits à l’image ». J’ai constaté que 90 % des transferts étaient pipés.”

C’est ce que racontait l’ex-agent Patrick Mendelwitsch sur France Inter¹, confirmant ce qui se dit un peu partout : tout le monde se gave sur le dos des footballeurs.

• L’entourage

• Les agents

• Les entraineurs

• Les présidents

• Les marques

Et même “même parfois des journalistes qui sont récompensés pour avoir écrit un « beau » papier” explique Alain Vernon, ancien journaliste sportifs, spécialiste en investigation sur le football.

Depuis le professionnalisation du football, et surtout depuis 30 ans que l’argent qui coule à flot, les intermédiaires pullulent pour se gaver. Il y a peu, la plupart des gros agents étaient domiciliés dans des paradis fiscaux, permettant de récupérer une partie de l’argent de transfert afin de la répartir à son bon vouloir.

D’autant que ces transferts ne sont parfois que des opérations fictives purement comptable. Le cas le plus flagrant était celui de Mbappé, prêté par Monaco au PSG pendant 1 an afin de contourner le fair-play financier. Mais on compte régulièrement des joueurs achetés, puis prêtés au club vendeur : une pure opération comptable où le joueur ne déménage pas².

💩 De l’argent qui sent mauvais

Le fait qu’un joueur n’ait pas de prix a un autre avantage, qu’explique Grégory Schneider :

“Je peux acheter un joueur un million, et le revendre cinq, alors que c’est un tocard ! C’est un terrain miraculeux pour blanchir de l’argent.”

Sans aller jusqu’à l’extrême mexicain, et son championnat corrompu ou des joueurs sont assassinés par les cartels³, le financement des transferts pose question.

Le milliardaire russe Roman Abramovitch, dont les avoirs sont gelés depuis 2 ans, est propriétaire de Chelsea. Club dans lequel il a injecté 1.2mds€ de sa fortune bâtie sur privatisation des énergies fossiles en Russie.

Plus étonnant, le milliardaire est proche de Pina Zahavi, influent agent israélien qui a facilité la vente de Chelsea, mais également de Portsmouth à Michael Eisener (ex-patron de Disney et Paramount). Mais Zahavi est surtout LE maître du football des Balkans.

En juin 2015, Cristian Manea a joué 5 matchs avec le FC Viitorul Constanta, club roumain sans palmarès national. À la surprise générale, son transfert pour Chelsea est annoncé pour 3M€⁴. Sauf qu’il est en réalité acheté 2.5M€ par l’Apollon Limassol, un club chypriote… qui va le prêter à Mouscron (en Belgique) sans jamais mettre à Chypre⁵. La réalité est plus prosaïque : une société maltaise va récupérer 40% du transfert.

Pourquoi l’obscur Royal Excel Mouscron ? Eh bien à la même date, Gol Football Malta vient de racheter le club à Losc. Et ce fonds… c’est celui de Pini Zahavi. La FIFA annule la vente, et c’est Latimer International Ltd qui rachète le club. Rien à voir avec Pini, puisque ce trust maltais est dirigé par Adar Zahavi, son neveu.

“Je me suis retrouvé avec un effectif de 55 joueurs dans l’équipe B de Mouscron. Il y avait des Portugais, mais surtout des Serbes et des Croates. La plupart d’entre eux ne faisaient que passer.” raconte Florian Delestrain, joueur au club à l’époque.

Si personne n’en dit rien dans nos pays “footballisés”, ce n’est pas le cas en Norvège. Après avoir signé à Manchester City, propriété émiratie, la star norvégienne Erling Haalang a été froidement accueillie par des banderoles dans son pays natal.

IL JOUE POUR L’ARGENT SALE DU SANG

🎭 L’embrouille des TPO

Bien que ça soit interdit, il existe plusieurs fonds d’investissements, notamment en Espagne et au Portugal, qui investissent sur les droits sportifs des joueurs. Ces TPO (third-party ownership) ont gagné en visibilité en 2016… lors du scandale fiscal des Football Leaks.

L’idée de base c’est d’aller chercher de l’argent en dehors du club pour payer un transfert, puis de se partager les bénéfices. La FIFA a interdit la pratique en 2015.

Le plus connu s’appelait Doyen Sports. Planqué à Malte (pour le climat, sans doute), il co-investissait dans des clubs et des joueurs, en allant cherchant des l’argent souvent trouble (le co-fondateur est issu de la mafia kazakho-turque), et en reversait une partie aux joueurs aux Îles Vierges Britanniques.

À l’occasion des Football Leaks, on a notamment appris que Cristiano Ronaldo avait planqué 150M€ grâce à cette méthode.

Mais il existe d’autres manières d’investir sur les joueurs :

• Le bridge-transfert : au lieu de faire Club A → Club B, le joueur va faire Club A → Club B → Club C. Cela permet d’ajouter des commissions intermédiaires ou de passer par des pays à la fiscalité plus avantageuse. Deux clubs français ont été condamnés en 2021 pour ça⁶.

• L’obligataire : le club emprunt auprès d’un fonds l’argent nécessaire. XXIII Capital est intervenu à plusieurs reprises sur des transferts importants⁷ alors jusqu’à servir de sorte de chambre de compensation entre les clubs.

• La billetterie : plusieurs clubs ont adossé des titres financiers à des recettes directes, permettant de reproduire l’effet d’un TPO mais sans la garantie de propriété.

• Le floting charge : sorte d’hypothèque où la valeur des droits économiques d’un joueur est déposée en collatéral pour garantir un prêt.

Et sans doute tout un tas d’autres dont on n’a pas encore connaissance. 😎

⚖Un règlement pour le bien du sport

Et pourtant, et pourtant, comme dirait Charles, réguler la thune à un intérêt : le spectacle. Le PSG a gagné 9 des 11 derniers championnats. À son époque, Lyon en avait gagné 7 d’affilée. Pareil en Allemagne ou en Espagne. Un peu moins pire en Italie ou en Angleterre. Mais globalement : le spectacle est pauvre.

Ce n’est pas le cas des ligues majeures américaines lors des 10 dernières éditions :

• NFL : on retrouve 7 vainqueurs différents

• MLS : 10

• NBA : 8

• NHL : 8

• MLB : 8

En gros : y’a une vraie compétition. La raison ? Les règlements sont stricts et pensés pour le spectacle. On ne pourra pas taxer les États-Unis d’être antilibéraux ou anticapitalistes. Mais le salary cap, les transferts et même les temps de jeux ont été pensés pour en faire quelque chose d’intéressant au quotidien.

Le modèle n’est sans doute pas exempt de tout défaut : mais pour une fois, il sait allier l’argent avec l’intérêt collectif. Mais au prix de joueurs qui ne sont plus maîtres de leurs destins.

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Je m’appelle Benjamin Charles, et je fais du conseil en branding, positionnement et création de contenus pour des entreprises de la finance, de l’immobilier et du web3.

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1. Comment les joueurs de foot sont devenus des produits financiers, Secret d’info, France Inter, 03/06/2016, Jacques Monin - Matthieu Aron - Benoît Collombat

2. « Acheter » et « vendre » un joueur. L’institution du transfert dans le football professionnel, Manuel Schotté, Marché et organisation, mars 2016

3. La Narcos League - Argent sale et football colombien, Victor Massias, 12 mai 2023, L’Harmattan

4. Chelsea complete £2.3m transfer of Romanian right-back Cristian Manea, Metro, 11 juin 2015

5. Romanian legend Hagi in missing million Euro transfer scandal with teenage player, The Black Sea, Costin Stucan - Michael Bird, 5 décembre 2016

6. FIFA Disciplinary Committee sanctions Paris FC and Angers SCO for bridge transfer, 30 avril 2021

7. XXIII Capital: the company changing the face of football transfers, Ed Aarons - Pippo Russo, The Guardian, 21 novembre 20+19