💥 L'étrange villa au coeur du procès Sarkozy
Une oeuvre icônique d'un archi oublié dans un montage ultra complexe
Bonjour,
L’histoire est déjà oubliée. Pourtant pendant des jours et des jours, des experts judiciaires ont ardemment commenté le jugement Sarkozy, non en droit, ni même en éthique, mais avec leur seule idéologie. Jusqu’à entendre d’éminments membres de la droite et de l’extrême droite remettre en cause l’exécution provisoire ou la détention préventive qu’ils réclament pourtant chacun semaine.
Depuis ces PhD, PhD & PhD, comme dirait l’étrange Aberkane, sont devenus experts en fiscalité pour parler de Zucman, puis en analyste politique pour réinventer la Ve République, tel Laurent Alexandre, passé de zizilogue1 à expert en tout, et surtout en rien.
Jusqu’au 13 octobre, date à laquelle Sarkozy devrait entrer en prison et suivre les passations du probable nouveau gouvernement, on devra se contenter d’analyses plus molles.
Dans une toute autre catégorie, un gérant est discrètement en train de préparer ses clients à sa sanction qu’il voudrait bien contester. Ou réduire. Comme je le racontais il y a quelques temps, Novaxia a subi un sévère contrôle AMF pendant plusieurs mois en début d’année, qui va aboutir à son audition en Commission des Sanctions aujourd’hui 9 octobre.
En scred’ le directoire a signé un communiqué auprès des partenaires, avec trois noms pour bien montrer qu’Azan n’est plus au commande, qui est un bien bel exercice de communication.
Acte 1 : expliquer que les sanctions sont courantes ;
Acte 2 : minimiser autant que possibles les fait ;
Acte 3 : taper sur le régulateur, en faisant croire qu’il y aurait une discorde ;
Acte 4 : blabla habituel sur “on est mobilisés” et autres ouin-ouineries.
Brillante communication que je noterais Dix-Huit Bullshit / 20.
Oubliant de préciser que l’AMF demande :
600K€ d’amende contre Novaxia ;
800K€ de l’interdiction de gérer une société contre Azan ;
Et qu’en 2019 il avait déjà pris une grosse fessée.
J’en profite au passage pour rappeller que je travailler sur ce sujet pour une newsletter depuis quelques temps et que chacun est libre, avec une protection absolue des sources, de me contacter à ce sujet.
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La Grotte du Milliardaire
Sur les hauteurs de Mougins, la colline regarde Cannes. Entre les oliviers, une forme de béton s’accroche au roc. La Villa Nabila surgit du sol comme un rocher vivant, une excroissance naturelle de la colline provençale. Ni maison, ni sculpture. Autre chose. Nous sommes dans les années 1980. L’argent du Golfe cherche alors ses refuges sur la Riviera.
Pour comprendre cette villa, il faut connaître deux hommes. Le premier, Jacques Couëlle, n’était pas architecte. Pas au sens où on l’entend. Né en 1902, mort en 1996, il modelait des maisons comme d’autres peignent. On l’avait surnommé le « Gaudí provençal ». L’étiquette lui allait mal : Couëlle ne cherchait pas Dieu, mais la terre. Des maisons sans angles droits, taillées dans le béton comme on creuse dans la pierre, épousant le relief naturel au point de s’y confondre. À Castellaras, aux Maurins, il avait déjà signé des villas-grottes. Des rochers habités. Tout en courbes qui épousent la terre.
Le second, Adnan Khashoggi, incarnait l’argent des années Reagan. Marchand d’armes saoudien, intermédiaire dans les plus gros contrats de défense de la planète. Fortune à plusieurs milliards. Le yacht Nabila, 86 mètres de long, qui faisait tourner les têtes dans tous les ports. Jets privés. Palais partout. La Côte d’Azur, terrain de jeu historique des fortunes mondiales, manquait à sa collection.
Khashoggi ne voulait pas une simple villa. Il voulait un monument. Quelque chose qui marquerait son territoire sur cette Riviera déjà saturée de palaces et de fortunes. Et surtout, il voulait offrir à sa fille Nabila, actrice et mondaine, un écrin à la hauteur du nom qu’elle portait. D’où la commande passée à Couëlle : créer non pas une maison, mais une expérience architecturale totale, une « maison creusée et sculptée dans la roche » selon les mots de l’architecte lui-même, avec ce « design très organique » qui était devenu sa signature. En 1984, le projet prend forme au 342 avenue de Grasse, sur les parcelles AL8 et AL9 du cadastre de Mougins.
Dès l’origine, le projet est pensé pour la discrétion. Couëlle n’a jamais signé de contrat avec un humain. Seulement avec des entités abstraites. Sous la surface esthétique, tout est déjà calcul : les courbes de Couëlle répondent à la logique des bilans.
Ce que Couëlle conçoit alors dans le hameau des Oliviers, non loin du golf de Mougins, défie toute tentative de description conventionnelle. La villa n’a pas de façade au sens classique du terme. Elle émerge du terrain, ses murs de béton ondulant comme des vagues pétrifiées. Le toit végétalisé se confond avec la colline. Un chantier où chaque mètre carré demande une attention particulière, où les grilles en fer forgé évoquent des ronces stylisées.
À l’intérieur, les pièces s’enchaînent en demi-niveaux, suivant la topographie du terrain. Des alcôves creusées dans l’épaisseur des murs. Le mobilier fait corps avec l’architecture : banquettes intégrées, cheminée monumentale sculptée dans la masse. Les vitraux filtrent la lumière méditerranéenne. Marbre de Carrare au sol, robinetterie en or, piscine aux courbes impossibles. Le luxe se veut primitif dans son raffinement.
Cette opacité architecturale fait partie du génie du lieu. Depuis la route, on ne voit presque rien : un portail discret en fer forgé, une palissade modeste, de la végétation. C’est le principe même de Couëlle : la maison doit se fondre dans le paysage, disparaître. Dans le hameau des Oliviers, la villa reste invisible aux regards indiscrets, cachée derrière son hectare de jardin planté d’oliviers centenaires. On raconte qu’elle fut le théâtre de réceptions somptueuses, mais rien ne subsiste que des rumeurs. Jean-Claude Poulain, le gardien embauché par Nabila Khashoggi, gardera la maison sous trois propriétaires différents sans jamais savoir qui le paye vraiment. Le gardien change d’interlocuteur, mais pas d’adresse. Une discrétion qui servira, des années plus tard, d’autres desseins.
Au sommet de sa gloire, la Villa Nabila était tout cela : l’art français qui fricote avec l’argent saoudien. Un chef-d’œuvre tardif de Couëlle, celui où il pousse son vocabulaire à l’extrême. La piscine aux formes libres miroite entre les rochers artificiels. Les terrasses s’étagent. Un chef-d’œuvre payé en pétrodollars. Ce que Marc Augé appellera plus tard un « non-lieu ». En réalité, c’était un décor où des fortunes mondiales venaient jouer aux provençaux le temps d’un été.
Couëlle, qui travaillait déjà pour la jet-set depuis les années 1960, a su créer ici son chef-d’œuvre tardif. Un voisin qui se confie de temps à autre parlera un jour d’une « grotte de milliardaire », expression qui semble avoir été inventée pour celle-ci. Elle capture parfaitement ce paradoxe d’un primitivisme de luxe.
Mais les contes de fées ont toujours un mur porteur fissuré quelque part. Dès la fin des années 1980, les affaires de Khashoggi commencent à péricliter. Les scandales s’accumulent : Iran-Contra, Imelda Marcos, une cascade de procès. La fortune s’évapore aussi vite qu’elle était apparue.
En cette fin d’années 1980, la Villa Nabila n’est encore qu’un rêve de pierre posé sur une colline de Mougins. Le béton respire encore. Plus tard, on dira qu’il blanchissait.
🏠Béton offshore
La fin des années 1990 sonne comme une gueule de bois pour la Côte d’Azur. Les palais désertés, les yachts saoudiens vendus à perte, les agents immobiliers qui attendent en vain le retour des princes du Golfe. Le faste s’est éteint, remplacé par le silence des villas à vendre.
Quand la fortune Khashoggi s’effondre, la Villa Nabila s’éteint avec elle. Le marchand d’armes qui pesait autrefois 4G$ n’est plus qu’un nom dans les listings. La villa devient l’un de ces trophées abandonnés de la démesure pétrolière, vestige d’un monde où le béton se payait en barils.
Un nouveau protagoniste entre alors en scène. Alexandre Djouhri. Pas un milliardaire, pas un collectionneur, mais un intercesseur. Un homme de réseaux, plus à l’aise dans les coulisses que dans la lumière.
En 1998, il achète la villa pour 5M Frs., soit 762K€, un an après une première visite. Un prix dérisoire pour une œuvre de Couëlle, même dégradée. Mais la transaction ne passe pas par un simple acte de vente. La villa reste détenue par Aklal BV, société néerlandaise créée en 1983, elle-même contrôlée depuis par Aklal Holding NV à Curaçao. L’histoire de ces sociétés remonte à 1975, quand la famille Khashoggi avait acquis le terrain de Mougins via Aklal SA, une société suisse. Un montage patrimonial typique de l’époque, conçu pour masquer les véritables propriétaires derrière des couches successives de holdings offshore.
Montages successifs via des paradis fiscaux
Djouhri ne signe pas d’acte de propriété : il devient l’ayant droit économique de cette architecture sociétaire. Les services fiscaux français le découvriront des années plus tard, quand ils obtiendront d’un trust néerlandais un document signé de la main de Djouhri en 2006, où la villa était modestement valorisée à 822K€. Sur le papier, rien ne change depuis 1998. Le propriétaire officiel reste une société aux Pays-Bas, dirigée par des trusts qui se succèdent comme des fantômes administratifs : Zarf Trust, puis TMF BV. Dans les faits, c’est Djouhri qui contrôle la maison.
Montage du rachat par Alexandre Djouhri
La villa ne change pas de mains, elle change de couche. Derrière le béton sculpté, une autre architecture se met en place : celle des sociétés-écrans. C’est le début d’un montage en poupées russes qui ne cessera de s’opacifier.
Le propriétaire fantôme ne met jamais les pieds dans sa villa, ou si peu. L’équipe qui entretenait les lieux disparaît peu à peu. Les voisins du hameau des Oliviers assistent, impuissants, à la lente agonie de la maison-sculpture. L’eau s’infiltre par le toit, les fissures lézardent les murs organiques. Les ronces envahissent les terrasses où se pressaient autrefois les invités du Tout-Cannes.
Le chef-d’œuvre de Couëlle se décompose avec une lenteur méthodique. Chaque hiver ronge un peu plus la pierre sculptée, chaque été craquelle davantage le béton organique. La villa qui devait fusionner avec la nature est maintenant dévorée par elle. Les formes libres imaginées par l’architecte se déforment sous le poids de la végétation sauvage. L’œuvre d’art devient ruine, et la ruine devient stratégie.
Photo de la villa en 2025 - Crédit : Spot Urbex
La seule âme qui vive est celle de Jean-Claude Poulain, le gardien. Jusqu’en 2006, il est payé par John Eardley, l’avocat genevois. Loin de Mougins, Djouhri espère trouver un acheteur. Songe à des rénovations. Mais rien ne se passe.
D’autant qu’un détail administratif vient troubler ce sommeil. Depuis 1999, les biens immobiliers français détenus par des sociétés étrangères sont soumis à une taxe annuelle de 3%2. Pour y échapper, il faut déclarer l’identité des bénéficiaires effectifs. Aklal BV ne le fait jamais, probablement pour garder l’anonymat de Djouhri.
Pourtant en 1979, Maurice Papon, alors ministre du Budget sous Giscard, avait exempté la famille Khashoggi de plusieurs taxes, dont l’ancêtre des fameux 3%, jugeant leur « respectabilité » suffisante. L’homme qui sera plus tard condamné pour complicité de crimes contre l’humanité pour son rôle dans la déportation de Juifs sous Vichy, avait sa propre définition de la respectabilité.
Djouhri était évidemment conscient du problème, au point qu’il envoie un fax en 2002 au fiscaliste Jean-Pierre Le Sergent où il se décrit comme « l’ayant droit économique exclusif » d’Aklal Holding NV et demande que son adresse suisse ne soit « en aucun cas transmise » au fisc français tant que son divorce n’est pas clos. Une façon d’esquiver la taxe tout en restant invisible.
Mais les années passent et les relances du fisc restent lettres mortes. Le contentieux enfle en silence : principal, intérêts, pénalités de retard. Au milieu des années 2000, le passif fiscal dépasse déjà le million d’euros. La villa devient juridiquement toxique. Toute tentative de vente butterait sur une opposition du Trésor : tant que la dette n’est pas réglée, le bien reste grevé, invendable. Ce qui devait n’être qu’un tour de passe-passe fiscal devient une bombe à retardement.
Localement, la villa fait parler. Le silence du propriétaire résonne dans les assemblées du conseil municipal. Au point qu’en mars 2007, le PLU rend inconstructible la parcelle sur laquelle est en partie construite la villa, qui l’aurait été dans des conditions peu respectueuses des règles. Cette interdiction fait suite à plusieurs échanges entre l’architecte de Djouhri, Jérôme Le Guezennec, et la mairie, au sujet de travaux envisagés par le propriétaire effectif. Des projets fantômes qui ne verront jamais le jour.
Les années passent dans un silence minéral, tandis que les oliviers centenaires continuent de pousser, indifférents au sommeil calculé de la propriété.
A quelques rares reprises, des acheteurs se manifestent mais un seul va faire au bout de démarche… avant d’abandonner. Officiellement l’affaire capote pour les problèmes liés à l’urbanisme. La réalité c’est que la pustule fiscale, tel le sparadrap du Capitaine Haddock, colle aux actes de la propriétaire.
Et c’est comme qu’à l’automne 2008, le dossier fiscal devient politique quand un fax parti de Mougins finit sur le bureau du secrétaire général de l’Élysée. Un certain Claude Guéant.
👻 EHPAD fantôme
Mai 2009. Piscine fissurée, toiture qui prend l’eau. La Villa Nabila vaut, selon l’expertise judiciaire qui sera menée des années plus tard, 1,8M€. Grand maximum. Pourtant, ce mois-là, elle va se vendre 10,14M€. Une surcote de 8M€ qui n’a rien à voir avec le marché immobilier azuréen de l’époque.
L’acheteur s’appelle Libyan Africa Investment Portfolio, un fonds souverain doté de 7G$ pour investir en Afrique. Structure d’investissement classique : LAP Suisse SA, dirigé par Felipe Gago, est une filiale du LAP Mauritius, lui-même détenu par le LAP Libya3. Béchir Saleh en est le président exécutif. Le 17 mai 2009, lors d’un conseil d’administration extraordinaire, Saleh autorise l’achat de la villa.
« Avec la perspective de création d’une résidence médicalisée destinée aux décideurs africains »
Une « VIP Retired Medical Home » pour une clientèle haut de gamme, précisément sur la parcelle qui a été déclarée non-constructible.
Mais en réalité, l’histoire commence trois ans plus tôt.
En 2006, Ahmed Salem Bugshan, milliardaire saoudien partenaire (ou intermédiaire/facilitateur, selon les points de vue) de Boeing, Dassault et Alstom, s’intéresse à la villa. Son banquier au Crédit Agricole Suisse, Wahib Nacer, négocie l’achat via la société avec une mise de 3,5M€ seulement. Un premier versement de 1,5M€ quitte le compte suisse de Bugshan en novembre pour atterrir sur celui de Djouhri à l’UBS. L’intitulé du virement est clair.
« Achat propriété Mougins »
Puis plus rien. L’opération capote : incompatibilité avec les règles d’urbanisme, fonds insuffisants, le projet tombe à l’eau.
Cela dit : le réseau reste en place. Et il servira à autre chose. Parce qu’un an plus tard, en novembre 2007, le LAP Suisse manifeste son intérêt pour la villa. Prix annoncé : 10M€. Wahib Nacer se remet au travail. Cette fois, il lui faut une structure écran plus sophistiquée pour couper le lien entre Djouhri, propriétaire réel, et le LAP Suisse qui veut acquérir une villa que personne ne peut officiellement vendre.
Le montage se construit méthodiquement. Djouhri détient la villa à travers d’un labyrinthe juridique qui ne suffit plus. Entre temps, la direction de Aklal Holding NV (Curaçao) a été confiée au Zarf Trust, une fiduciaire néerlandaise. Un mille-feuille offshore conçu pour l’opacité. D’ailleurs dans les comptes d’Aklal BV signés par Djouhri en 2005, la villa n’apparaît qu’à 822K€, comme un semblant de lucidité.
Wahib Nacer devient alors le pivot de l’opération. Depuis les années 1970, il gère les avoirs et les sociétés immobilières des Bugshan en France. Ce réseau de confiance servira de canal discret pour la transaction. Plusieurs échanges internes du Crédit Agricole Suisse le montrent : tous savent que Bugshan veut acheter la villa, mais ne mettra que 3,5M€. Le reste viendra du fonds souverain. C’est Nacer qui, selon les documents bancaires, va raccorder la tuyauterie financière entre les différentes parties.
Pour vendre sans révéler le vrai propriétaire, il faut un écran supplémentaire. Ce sera Bedux Management, société panaméenne créée le 14 février 2008. Attribuée à Ahmed Salem Bugshan, présidée par Diana Sanchez Gonzales, une employée de ménage du cabinet qui n’est même pas au courant. Le Saoudien sert de nom, le banquier Nacer contrôle tout via Python & Peter et De Rham & Curzon.
Montage de l’opération de 2008, produit par l’administration fiscale française
Aucune compliance, juste une copie floue de passeport. Nacer gère les deux côtés : il représente Bedux pour la vente, conseille le LAP pour l’achat.
Ils signent deux fois la même vente. Le 21 mai 2008 à Londres, le 20 mai 2009 à Tripoli. Contrats jumeaux, mêmes termes, mêmes fautes d’orthographe, prix à 10M€. Le pouvoir autorisant Diana Sanchez à mandater Nacer est daté du 23 mai 2008, deux jours après la première signature. L’acte de 2008 est juridiquement caduc. Pourtant, dès juillet 2008, le LAP verse 3,1M€, puis 1,2M€ en octobre vers Bedux. Sur les documents : « AD », « LAP ». Aucun doute sur qui est qui. Une note signée de Nacer vient parachever le faux mystère.
« Le vendeur réel, de nationalité saoudienne, ne souhaite pas apparaître »
Tout l’argent transite, rien n’est encore vendu.
Entre juillet 2008 et décembre 2009, les comptes du Crédit Agricole Suisse enregistrent une valse à trois temps.
D’abord les entrées : 3,1M€ puis 1,2M€ du LAP vers Bedux ;
Ensuite la dispersion : l’argent rebondit sur des comptes satellites aux noms de code, « Alliant 60 », « Bouba 1823 », « Rouli 2000 ». Dans les papiers de Nacer, ces mots reviennent comme des incantations ;
Enfin, le 30 décembre 2008, une opération de « rétroportage » de 4,97M€ pour, selon une note, « effacer Mougins du bilan 2008 ».
L’annotation « AD » revient partout, signature invisible du vrai propriétaire, aussi mystérieux que les fameuses lettre O D I L à la fin de la Cité de Peur4…
Avis signés par Djhouri
Quand le LAP verse finalement ses 10,14M€ en mai 2009, l’argent ne prend pas le chemin direct vers Aklal. Il transite d’abord par Bedux, puis se perd dans les circuits suisses. En novembre 2009, un mail interne du Crédit Agricole note :
« Nacer agit pour le vendeur et l’acheteur. Situation peu usuelle. »
L’euphémisme bancaire pour dire que quelque chose cloche.
Pour donner un vernis économique à la transaction, la maison de repos pour VIP devient un faux projet d’EHPAD baptisé « Quiétude », lui aussi censé s’implanter sur la parcelles de la villa inconstructible.
Note de Le Sergent mentionnant Quiétude
La réalité, Felipe Gago lui-même admettra dans un mémo de 2011.
« L’acquisition a été faite pour des raisons politiques, les aspects économiques ont toujours été considérés comme secondaires. »
Puis d’avouer clairement.
« The project is not profitable. »
Et pour cause : le business plan n’a jamais existé. Ce n’est qu’un simple décor administratif pour légitimer la vente.
Pour parfaire l’effacement, les parts d’Aklal sont brièvement transférées à Béchir Saleh personnellement, le temps de les faire « disparaître » du bilan de LAP Suisse. L’opération permet de nettoyer la comptabilité avant leur réintégration, deux ans plus tard, au sein du fonds souverain pour 16,5M$. Une nouvelle surcote de 50%.
Cela dit, pendant que l’argent circule dans ce labyrinthe offshore, la fistule fiscale menace toujours l’opération. Le passif fiscal atteint désormais 1,43M€.
649K€ pour la période 1996-2002 ;
783K€ pour 2003-2007.
Le 18 février 2009, le fax envoyé depuis Mougins a fait effet : une réunion se tient à Bercy. Autour de la table : Le Sergent, le fiscaliste de Djouhri, Thierry Métais, Claude Foulon, Marie-Christine Legrand de la DGFIP. On « discute » du dossier Aklal. Le recouvrement est suspendu, le contentieux fiscal mis en sommeil.
Deux mondes coexistent. D’un côté, un labyrinthe de sociétés-écrans, des virements à trois fuseaux horaires, des fiduciaires suisses, des holdings à Curaçao. De l’autre, une ruine invendable sur une colline de Mougins, avec sa piscine fissurée et son toit qui fuit, dont Gago lui-même écrit dans une note manuscrite :
« La maison n’a pas d’entretien depuis 12 à 15 ans. »
Ce qui frappe ceux qui ont suivi l’affaire à l’époque, c’est sa sophistication avec un montage complexe avec sociétés-écrans panaméennes, comptes suisses, holdings à Curaçao. Tout ça pour une villa en ruines.
Dans la réalité, chacun a sa fonction :
Djouhri fournit le bien ;
Nacer l’instrument financier ;
Bugshan la façade légale ;
Saleh l’argent public.
Sur le papier, une société panaméenne cède à un fonds souverain une holding néerlandaise dont l’unique actif est un bien invendable. Tout est faux, sauf les virements.
Officiellement, la société panaméenne Bedux est attribuée à Bugshan.
Mais il n’en saura rien, selon lui, et se contentera de dire laconiquement :
« Je n’ai rien signé »
Selon sa version, un simple banquier, Wahib Nacer, aurait monté toute l’opération sans le prévenir. Djouhri ? Il ne le connaît que sous le nom d’Al Attas.
Mais reste quand même une question : pourquoi une telle complexité pour une villa en ruine ? Tout simple parce que la ville Nabila n’était plus un investissement, mais une matière première.
Initials A.D.
Pour comprendre le ballet d’argent de 2009, il faut rappeler la position de la Libye : pays sorti de l’embargo, courtisé par Paris après (pour ?) la libération des infirmières bulgares. À l’époque, la France et la Libye se redécouvrent. Après la levée des sanctions, les contrats pleuvent : Airbus, Areva, Total. Tripoli investit Paris. Kadhafi reçu à l’Élysée en 2007, transformant les ors de la République en camping bédouin 5 étoiles. Une bien étrange procession dont la seule ombre au tableau viendra du courage de la secrétaire d’État aux Droits de l’Homme, Rama Yade :
« Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. »
Dans cette euphorie diplomatique, l’achat immobilier à Mougins passe inaperçu. La Libye investit à tout-va, en Afrique, en Europe, et jusque dans l’immobilier de la Côte d’Azur. Le LAP, dirigé par Béchir Saleh, place les excédents pétroliers partout où Paris ouvre ses portes. La villa Nabila n’est qu’un fragment de ce système d’influence financière.
L’argent, surtout celui des dictatures, déteste la lumière. Encore plus quand il provient des caisses du régime Kadhafi et qu’il doit atterrir dans les poches d’hommes d’affaires discrets. Entre 2009 et 2011, la Villa Nabila n’est plus qu’un prétexte comptable : les 10,14M€ versés par le fonds libyen LAP vont entamer un ballet souterrain à travers les paradis fiscaux, les comptes suisses et les sociétés écrans panaméennes. Ce qui aurait dû être une simple transaction immobilière devient une toile d’araignée financière où chaque fil mène à un bénéficiaire.
Alexandre Djouhri orchestre. Depuis son bureau parisien ou ses déplacements constants entre Genève et Londres, l’homme qu’on surnomme « Monsieur A. » tire les ficelles avec une précision d’horloger suisse. Même après la vente, Djouhri conserve la main sur les flux issus de l’opération : les 10,14M€ payés par le LAP transitent toujours sous sa supervision.
Dès novembre 2007, bien avant la vente officielle, Eardley reçoit une instruction claire : remettre les actions d’Aklal à Wahib Nacer. Deux ans plus tard, les emails saisis par les enquêteurs révèlent son style : direct, impératif, technique. En octobre 2009, cinq mois après la vente, il envoie un message laconique à Nacer : « Créditer mes deux comptes. 220K€. » Pas de formule de politesse, pas d’explication. Juste l’ordre et le montant. Dans les notes internes du LAP, on parle encore d’« Alex » à demi-mot. Felipe Gago, un intermédiaire, écrit : « J’aimerais te parler avant d’appeler Alex. » Même quand Bedux a officiellement disparu, tout le monde sait qui commande.
Wahib Nacer, l’ingénieur financier de l’opération, exécute. Le système mis en place pour la villa n’était que l’extension de l’ancien modèle : depuis des années, Wahib Nacer gérait pour les Bugshan un enchevêtrement de comptes, Alliant 60, Rouli 2000, Bouba 1823, où chaque virement servait à en masquer un autre. Nacer maîtrisait depuis des décennies l’art de la propriété invisible. Paris, La Baule, Marrakech, autant de biens dont il avait la jouissance sans en être le propriétaire. À Paris, Nacer habitait un appartement du 101 avenue Henri-Martin détenu à 90% par ses clients saoudiens5. Cette confusion volontaire entre biens, prête-noms et dettes croisées se retrouvera à l’identique dans le montage de Mougins.
Liste des retraits en espèce de Nacer, mentionnant les comptes
Le dispositif Bedux, mis en place un an plus tôt, devient le cœur du réseau de redistribution. L’argent arrive du LAP, transite quelques jours, puis repart vers d’autres destinations. Les tableaux Excel méticuleusement tenus par Wahib, avec des colonnes « IN » et « OUT », comme dans n’importe quelle comptabilité d’entreprise, montre un suivi quotidien. Sauf qu’ici, les montants se chiffrent en millions et les bénéficiaires se cachent derrière des initiales.
Les frères Bugshan entrent alors en scène. Khalid et Ahmed, hommes d’affaires saoudiens basés entre Riyad et Genève, prêtent leurs comptes au Crédit Agricole suisse pour faire transiter les fonds. Pourquoi eux ? Parce qu’ils ont l’habitude des grosses sommes, parce que leurs comptes ne surprennent personne dans les banques genevoises habituées aux fortunes du Golfe, et surtout parce qu’ils connaissent Djouhri depuis des années. En mars 2010, 600K€ quittent le compte de Bedux pour atterrir sur celui de Khalid Bugshan. Le virement, noté « Commission KB » de la main de Nacer, sera retrouvé sur un relevé bancaire genevois. Les enquêteurs y voient la rémunération du service rendu. Mais ce n’est que la partie émergée : au total, les comptes Bugshan enregistrent 3,18M€ de « profits » liés à l’opération Villa Nabila. Un tableau Excel de Nacer récapitule les flux : à la ligne du 24 mars 2010, la mention « KB » apparaît. Ahmed Bugshan, officiellement ayant droit de Bedux, touche sa part sans jamais apparaître publiquement. C’est le principe du prête-nom idéal : visible sur les documents bancaires, invisible dans la vraie vie.
Mais le circuit ne s’arrête pas à Genève : une partie des fonds prend la direction de Paris.
Cela dit, derrière ce circuit saoudien se cache le véritable décideur : Béchir Saleh. Surnommé « le banquier de Kadhafi », il dirige le LAP avec une autorité absolue. Interface entre les fonds publics libyens et les réseaux privés occidentaux, Saleh orchestre les investissements-paravents du régime. C’est lui qui signe les virements du fonds, lui qui valide le prix de 10,14M€ pour une villa qui n’en vaut pas deux. À Paris, les relations avec Tripoli sont alors au plus haut : contrats d’armement, visites d’État, coulisses diplomatiques où Djouhri navigue à l’aise.
En novembre 2009, l’inquiétude monte au sein du LAP :
« Le président Béchir a souhaité porter les parts en son nom, pour des raisons diplomatiques. »
Traduction : le montage commence à tanguer, il faut déplacer les pièces sur l’échiquier. Saleh sait que l’opération est politique. Les flux financiers laissent penser qu’il a été intéressé à l’opération, même si le circuit exact reste flou. Ce qui est certain, c’est que Saleh connaissait l’état du bien, ruine notoire. Il savait qu’il surpayait. C’était le but. À Mougins, même les factures hésitent sur le propriétaire : les courriers d’EDF et les taxes foncières arrivent toujours au nom de l’ancien avocat, Eardley, pendant que le LAP paye l’électricité.
Le problème, c’est que la politique revient. Un peu trop souvent.
Nouveau fax envoyé par Djhouri à Guéant au sujet de LAP
Claude Guéant, déjà intervenu pour lever l’obstacle fiscal, voit son nom revenir dans les flux de 2008-2009, cette fois sous une forme plus directe.
Un an plus tôt, un flux plus discret avait déjà emprunté le même chemin. Le virement de 500K€ vers Claude Guéant, maquillé en vente de tableaux sans intérêt via un avocat malaisien, provenait du même réseau.
Ordre signé par Guéant
L’habillage artistique, qui servait à masquer un transfert politique, finira en scandale d’Etat relayé par toute la presse. C’est encore Wahib Nacer qui orchestre ce passage de fonds. Sur les ordres de virement, la mention « AD » apparaît. Toujours lieu. Mieux. Quand les policiers débarquent chez ils trouvent ceci :
Un RIB original du couple Guéant, soigneusement plié, et rangé dans son coffre. Pas une copie : l’original. Dans le même coffre, la trace d’une montre Patek Philippe offerte à Guéant, cadeau « spontané », dira Djouhri, fait d’un poignet à l’autre.
L’ensemble forme une mécanique d’une précision clinique. De 2009 à 2011, les flux se répètent à l’identique : mêmes comptes, mêmes acteurs, mêmes montants en boucle. L’argent tombe du LAP vers Bedux, se divise en plusieurs ruisseaux via les comptes Bugshan, puis se reconstitue en rivières souterraines qui alimentent les comptes de Djouhri, Saleh, et possiblement d’autres bénéficiaires restés dans l’ombre. Chaque étape efface un peu plus l’origine des fonds. Chaque virement ajoute une couche d’opacité.
Montage financier partant de la villa Nabila au compte de Guéant, reconstitué par le PNF
Plus largement, les fameuses initiales « AD » qu’auraient presque pu chanter Gainsbourg, apparaissent sur des dizaines de relevés qui semblent tous sans rapport : un tailleur Cifonelli à Paris, le Ritz à Londres etc.. En réalité, Djouhri se faisait régler ses dépenses personnelles par les comptes saoudiens, à travers un jeu d’écritures opaque géré depuis Genève. Boualem Hamzaoui, ex-secrétaire de la famille Bugshan, confirmera plus tard le procédé : il avait ouvert le fameux compte Bouba 1823 à la demande de son employeur, signait des ordres de retrait à blanc depuis Paris, sans jamais manipuler les espèces.
Ces sous-comptes invisibles formaient une chambre de compensation occulte, où les fonds circulaient entre les Bugshan, Djouhri, Nacer et Saleh sans apparaître sur les registres officiels. Certains de ces comptes avaient des usages détournés. Le plus opaque, Rouli 2000, servait officiellement de garantie bancaire de 6M€ pour l’homme d’affaires Patrick Laurent, propriétaire de Weitnauer Holding (future Dufry).
Parmi les bénéficiaires périphériques, un virement de 498K€ apparaît en septembre 2009 vers Dominique de Villepin International, officiellement pour solder une créance de Khalid Bugshan.
Fax envoyé par le comptable Jamel à Mutaz, qui gérait la conciliation avec Bugshan, mentionnant un ordre de virement à Villepin International
Reste une question. Où est passé tout cet oseille ? Combien exactement Djouhri a-t-il gardé pour lui ? Quelle part est revenue à Saleh ? Y a-t-il eu d’autres bénéficiaires, plus haut placés, dont les noms n’apparaissent sur aucun document ? Et la question ultime : est-ce que certains de ses fonds ont pu servir, directement ou indirectement, à financer la campagne d’un président de la République ?
Ce qui est sûr, c’est que la Villa Nabila a servi de machine à laver parfaite. Un bien immobilier tangible, avec une adresse, un cadastre, une histoire. Suffisamment réel pour justifier une transaction, suffisamment dégradé pour expliquer n’importe quel prix. Les 8M€ de surcote se sont évaporés dans la nature, transformés en commissions, rétrocommissions, cadeaux et « remerciements ».
Au même moment, Tripoli signait d’autres contrats : douze Airbus, des missiles, des hôtels, des joint-ventures. Toujours les mêmes noms sur les documents : le bras financier libyen, Béchir Saleh, les Bugshan, et parfois Djouhri comme intermédiaire officieux. La villa Nabila n’était pas une exception : c’était une version immobilière du système bien plus large et complexe. Le projet Quiétude, simple paravent administratif, reste la façade officielle du montage.
Le système aurait probablement pu fonctionner indéfiniment si la Libye n’avait pas implosé en 2011. Avec la chute de Kadhafi, les archives du régime deviennent accessibles. Des documents compromettants surgissent, discrètement envoyés par ceux qui ça arrangent. Ou qui espèrent négocier leur anonymat. Les comptes du LAP sont épluchés.
Et soudain, cette vente immobilière sur la Côte d’Azur qui aurait pu rester un opaque transaction parmi d’autres attire l’attention. Djouhri, habitué à naviguer dans les eaux troubles de la politique internationale, sent le vent tourner. Il multiplie les voyages, brouille les pistes, tente d’effacer les traces numériques. Trop tard. Les enquêteurs français ont déjà commencé à dérouler l’écheveau. La Villa Nabila, censée être un investissement discret du régime libyen, devient la pièce à conviction numéro un dans ce qui deviendra l’affaire du financement libyen de la campagne Sarkozy.
Le montage s’effondre en 2010. L’avocat fiscaliste Jean-Pierre Le Sergent note en marge d’un appel avec Wahib Nacer :
« Alexandre ne signera rien. Bedux n’existe plus. Nacer n’est plus mandaté. »
Les documents disparaissent.
Les structures sont dissoutes.
Les mandats s’évaporent.
Mais certaines preuves restent, attachées aux grilles de la villa Nabila, investissement fantôme d’un régime disparu qui va ressurgir dans les prétoires français, comme une vison dans l’eau de Seltz.
⚖️ Jugement dernier
En 2012, les fantômes de Mougins refont surface. Dans un dossier ouvert pour tout autre chose, l’affaire Karachi, un nom revient : celui d’un homme d’affaires libyen et d’un virement de 499 983€ versé à Claude Guéant. Le juge Van Ruymbeke transmet la pièce au parquet. Une perquisition rue Weber met à jour l’origine du transfert : la Malaisie, l’avocat et surtout les deux tableaux flamands. La villa Nabila, silencieuse depuis des années, vient d’entrer dans le dossier.
Treize ans d’instruction. Dix ans d’enquête. Quarante commissions rogatoires internationales. Des centaines de demandes d’entraide à la Suisse, à Djibouti, au Qatar, à la Malaisie, à l’Afrique du Sud. Quatre mille cotes. Tout est là, dans un océan de procédures qui finit dans le dix-septième chambre du tribunal correctionnel de Paris en 2025. Probablement le procès le plus médiatique depuis des années.
Ce procès, que tout le monde appelle Sarkozy-Kadhafi, questionne le financement libyen de la campagne de l’ex-président. La villa Nabila n’est qu’un fragment complexe parmi d’autre d’un dossier tentaculaire. Probablement celui qui a été le moins médiatisé. Plus complexe. Moins croustillant que les croutes de Guéant, l’attentat contre l’UTA 772 ou les entreprises privées qui se sont gavées avec l’argent sale de la Libye en fermant les yeux.
Une décennie d’affaires, un casting d’oligarques, de ministres et de banquiers. Contre une villa en ruine d’un architecte oublié.
Avant même le fond, la défense tente l’asphyxie procédurale : une tonne d’exceptions de nullité. Les avocats ont attaqué l’ordonnance de renvoi, la compétence des juges français, la durée excessive de la procédure. Les Bugshan, Djouhri, Saleh, chacun plaidait l’imprécision du dossier ou l’abus de qualifications cumulées. La défense criait au procès kafkaïen.
Le 25 septembre 2025, tout se referme.
Les visages.
Le dossier.
La villa.
Les juges démontrent comment l’argent est parti de Libye et a financé tout un tas d’intérmédiaires et de projet, sans jamais avoir de preuve formelle sur l’arrivée des fonds dans la campagne de Sarkozy. Mais dans la campagne de Mougins, l’histoire est tout autre.
Djouhri écope de cinq ans, dont deux fermes. Corruption, trafic d’influence. L’argent a circulé, la faveur a suivi.
Guéant, trois ans dont deux avec sursis. Ce demi-million, versé sous couvert d’une transaction artistique, devient au procès la pièce maîtresse du dossier. Les juges parlent d’« avantage corrupteur », de « pacte d’influence », d’« abus de fonction manifeste ». Le tribunal retient que la vente de deux tableaux n’était qu’une fiction comptable servant à dissimuler un virement de 500K€.
Wahib Nacer est condamné comme complice. Il orchestrait ce que le tribunal nomme une « chambre de compensation occulte ». Les Bugshan s’en sortent à moitié : Khalid coupable de blanchiment, Ahmed relaxé. Rajendram aussi.
Seleh, absent, est également condamné. Son avocat demandait la visioconférence depuis l’étranger. Risques pour sa sécurité. Refusé. Un mandat d’arrêt n’autorise pas une défense à distance. Jugé par contumace, introuvable entre l’Afrique du Sud et les Émirats. C’est lui qui avait signé l’ordre d’achat. Lui qui avait validé ce prix délirant pour une ruine.
« La villa Nabila a servi de paravent patrimonial destiné à dissimuler des flux publics libyens ».
Le tribunal parle d’un « pacte corruptif global ». Les mots sont sobres, presque médicaux. Plus de métaphores, plus d’images. Juste des qualifications pénales et des montants.
Le fonds souverain libyen Libyan Africa Investment Portfolio est reconnu victime. 8,3M€ de dommages et intérêts. Quinze ans plus tard, il existe toujours, repris en main par la Libyan Investment Authority : il affiche aujourd’hui 5,3G$ d’AUM et près de 100 participations. Son pôle hôtelier, confié au groupe public LAICO (Libya African Investment Company), gère désormais une vingtaine d’hôtels de luxe et deux resorts, de Bamako à Kampala.
Mais loin des dizaines, voire des centaines de milliars de dollars, détournés par le régime de Khadafi, qui ont pu être massivement investis grâce à des complaisances internationales.
lL’œuvre de Jacques Couëlle, pivot du transfert de fonds libyens devenue ruine, reste abandonné à son sort. La structure a survécu, blanchie par le temps, comme les capitaux qui l’ont financé. Quelques fans d’urbex qui perdent parfois, et partagent des photos montrant de magazines d’un autre temps, du verre cassé ou des tags.
Jacques Couëlle avait conçu cette villa pour qu’elle épouse les courbes du paysage. Pour qu’elle devienne nature. Elle aura finalement épousé autre chose : les méandres de la corruption. Ce que Couëlle voulait organique est devenu comptable.
La villa Nabila a probablement livré tous ses secrets. Mais combien d’autres villas Nabila restent soigneusement cachées dans les méandres des paradis fiscaux ?
Alexandre en docteur en médecin, spécialisé en urologie
Article 990 D du Code général des impôts
La République des mallettes : Enquête sur la principauté française de non-droit, Pierre Péant, Fayard, 2011
Probablement un fan du Lido
Via la SCI Victoria et Galembert




















Superbe article