đ„ C'est Satoshi qu'ils assassinent !
Comment la finance traditionnelle (et ceux que ça arrangent) détruit l'héritage de Bitcoin
Bonjour Ă tous,
JâespĂšre que votre Patrimonia (pour les concernĂ©s) sâest bien passĂ©, et jâai hĂąte de faire des calls pour connaĂźtre les derniĂšres rumeurs. Jâai en tout cas Ă©tĂ© amusĂ© de voir que lâinfo sortie ici (avant CFNews, qui a oubliĂ© de le dire) sur Praemia a fait parler, notamment depuis quâelle a Ă©tĂ© confirmĂ©e par LâInformĂ©.
La grosse tendance qui semble se dĂ©gager est Ă©videmment celle du private equity, ce quâon attendait depuis que les lobbies des assureurs avaient obtenu son obligation dans le PER lors de la loi industrie verte. Une tendance qui amĂšne mĂȘme deux des plus gros gĂ©rants de la place Ă lancer des fonds PE immo, afin dâoffrir de la liquiditĂ© aux pires fonds quâils ont en stock. Et si câĂ©tait ça, la vraie finance verte : le recyclage des dĂ©chets qui traĂźnent au fond des portefeuilles ?
Plus largement, entre la pitoyable chute du crowdequity (qui ne donne toujours pas ses chiffres), les prochaines chutes de ceux quâil ne faut pas nommer, lâarrivĂ©e des fonds PE de Robinhood et Trade Republic, on peut dire que le retail ne manque pas dâopportunitĂ©s pour perdre de lâargent servir de liquiditĂ© investir.
Et sâil y a bien un autre endroit oĂč le retail se fait plus essorer quâune serpillĂšre un jour dâinondation, câest la crypto. Parce que derriĂšre les builders, ces devs qui bĂątissent des projets qui peinent encore Ă trouver un modĂšle Ă©conomique malgrĂ© des use cases avĂ©rĂ©s et intĂ©ressants, se cachent des traders qui spĂ©culent sur tout et nâimporte quoi, mais surtout lâombre de la finance institutionnelle, qui a trouvĂ© lĂ un moyen de rĂ©pliquer ses pires mĂ©thodes.
Parmi elles, le sujet du jour, avec lequel les journalistes cryptos usent et abusent de la mĂ©thode CouĂ© chaque jour, pour vanter la rĂ©volution qui se prĂ©parerait, quand bien mĂȘme elle nâest que la derniĂšre narrative (comme ils disent) Ă la mode.
Hier, les smart contracts, les NFT, le metaverse ou les RWA ; aujourdâhui, les stablecoins. Mais quâest-ce qui va vraiment changer pour le retail ? Et surtout⊠que reste-t-il des promesses de lâhistorique Bitcoin, et du manifeste de Satoshi ?
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đŸ Windows 95G$
Lâarnaque commence par le nom. Stablecoin. Deux mots collĂ©s ensemble qui promettent monts et merveilles, comme disent les jeunes. Stable ? Coin ? DĂ©cortiquons cette construction sĂ©mantique qui fait tourner 251G$1.
Commençons par les bases. Un « coin » dans lâunivers crypto, câest une monnaie native qui possĂšde sa propre blockchain souveraine.
Bitcoin (BTC) fonctionne sur la blockchain Bitcoin : un registre distribuĂ©, une sorte de grand livre comptable partagĂ© entre des milliers dâordinateurs qui valident et enregistrent chaque transaction. Ether (ETH) est le coin natif de la blockchain Ethereum. Attention Ă la confusion frĂ©quente : Ethereum, câest la blockchain ; Ether, câest la monnaie. De la mĂȘme façon
SOL tourne sur la blockchain Solana ;
LâAVAX est le coin dâAvalanche ;
Le BNB est celui de la BNB Chain (ex-Binance Smart Chain) de Binance etc.
Chaque coin = son protocole, ses validateurs, ses rĂšgles de consensus.
Câest souverain.
Indépendant.
Les stablecoins ? Bah⊠ce ne sont pas des coins. Ce sont des tokens, des squatteurs numĂ©riques sans blockchain propre si on peut dire. LâUSDT et lâUSDC sont des tokens ERC-20 quand ils circulent sur Ethereum, TRC-20 sur Tron, SPL sur Solana. Peu importe les mots compliquĂ©s, disons juste quâils utilisent une blockchain indĂ©pendante dâeux-mĂȘme.
Lâanalogie est simple. La blockchain, câest le systĂšme dâexploitation : Windows, Linux, macOS. Le coin natif, câest la licence qui fait tourner lâOS. Les tokens ? Des applications installĂ©es dessus. Ils dĂ©pendent de lâOS pour exister.
đĄ Les stablecoins sont créés via des smart contracts. Par exemple, Circle dĂ©ploie un contrat sur Ethereum qui dit : « Voici les rĂšgles de lâUSDC, voici comment on en crĂ©e, voici comment on les transfĂšre. » Et pour faire simple, un smart contract, câest du code autonome qui sâexĂ©cute automatiquement : si X envoie 100 tokens Ă Y, le contrat transfĂšre la propriĂ©tĂ©. Pas dâintermĂ©diaire.Si Ethereum subit une panne critique, comme une faille de consensus ou un bug majeur, tous les contrats et tokens dĂ©pendants peuvent ĂȘtre paralysĂ©s ou affectĂ©s.
Dans la pratique, Ethereum connaßt plutÎt des congestions et des pics de frais que de véritables plantages.
Pour réduire la charge, des couches secondaires comme Arbitrum, Optimism ou Polygon traitent les transactions en dehors de la couche principale, les regroupent puis soumettent des données ou des preuves à Ethereum. Cela accélÚre les transactions et diminue le coût unitaire. Mais cela introduit aussi une dépendance puisque la sécurité et la finalité restent liées à la couche principale et que les frais de publication sur Ethereum sont répercutés.
Parlons maintenant de cette fameuse stabilitĂ©. Le terme technique, câest le « peg », lâancrage au dollar. Un USDC doit toujours valoir 1$. Quand ce nâest plus le cas, on parle de « depeg ». Et contrairement Ă ce que les Ă©metteurs (et certains pros) voudraient faire croire, les depegs sont frĂ©quents.
Mais distinguons dâabord deux types. La majoritĂ© des stablecoins (USDT, USDC) sont « collatĂ©ralisĂ©s » : ils prĂ©tendent dĂ©tenir 1$ (ou Ă©quivalent) de rĂ©serves pour chaque token Ă©mis. Dâautres, comme le dĂ©funt TerraUSD (UST), Ă©taient « algorithmiques » : ils utilisaient des mĂ©canismes complexes de mint/burn pour maintenir le peg, sans rĂ©serves rĂ©elles. Lors de son effondrement en mai 2022, lâUST passe de 1$ Ă 0,02$ en quelques jours. 40G$ de valeur sâĂ©vaporent2. Le fondateur Do Kwon, en fuite, est arrĂȘtĂ© au MontĂ©nĂ©gro avec de faux passeports costaricains.
Cela dit, mĂȘme les stablecoins collatĂ©ralisĂ©s, censĂ©s ĂȘtre plus sĂ»rs car adossĂ©s Ă des rĂ©serves, dĂ©pendent entiĂšrement de la confiance dans leur Ă©metteur centralisĂ©.
Mars 2020 : krach Covid, le DAI, stablecoin « décentralisé » de MakerDAO, a touché 0,90$
Jun 2022 : lââUSDD de Justin Sun a chutĂ© Ă 0,97$.
Mars 2023 : lâUSDC chute Ă 0,87$ quand la Silicon Valley Bank, oĂč Circle stockait 3,3G$, fait faillite. Panique gĂ©nĂ©rale. En 48H, 8G$ fuient lâUSDC.
Le FEI a dĂ©pegĂ© Ă 0,70$ peu aprĂšs son lancement. MĂȘme les plus petits comme HUSD, GUSD ou USDP ont tous connu des Ă©pisodes oĂč leur valeur sâĂ©loignait significativement du dollar.
Et surtout, lâUSDT de Tether, pourtant le plus liquide avec ses 95G$ de capitalisation, a connu plusieurs depegs : 0,95$ en octobre 2018 lors des rumeurs sur ses rĂ©serves, 0,97$ en mai 2022 pendant lâeffondrement de Terra, 0,96$ en novembre 2022 aprĂšs la chute de FTX.
La stabilité absolue promise ? Un mythe.
Pourtant, les chiffres actuels donnent le vertige. 251G$ de capitalisation. Plus que les rĂ©serves en bons du TrĂ©sor de lâAllemagne3. 90% des volumes crypto transitent par ces tokens4. Normal : personne ne veut payer son cafĂ© avec un Bitcoin qui peut perdre 10% pendant que la machine fait le cappuccino. Ou inversement pour le vendeur.
Mais qui dĂ©tient vraiment ces montagnes de dollars numĂ©riques ? Pas le petit porteur qui rĂȘvait de dĂ©centralisation. La BCE a fait les comptes : 80 Ă 90% sont aux mains dâadresses millionnaires. Jump Trading en possĂšde pour 10G$5. Wintermute, 2,8G$. Sur Ethereum, 100 adresses contrĂŽlent 45% de tout lâUSDC en circulation6. Les stablecoins ne sont pas vraiment la monnaie du peuple.
Cette concentration de pouvoir sâexplique par un business model dâune Ă©lĂ©gance perverse.
Tether Limited, planquĂ©e aux Ăźles Vierges britanniques, prĂ©tend garder un dollar pour chaque USDT Ă©mis, tout en admettant avoir moins de la moitiĂ© de ses rĂ©serves en actifs liquides de haute qualitĂ©7. Circle joue la carte de la respectabilitĂ© bostonienne : depuis 2022, BlackRock (dĂ©sormais) gĂšre une partie de ses rĂ©serves, et Bank of New York Mellon, la plus vieille banque amĂ©ricaine, celle dâAlexander Hamilton, garde les fonds. Circle sâest littĂ©ralement branchĂ© sur lâaorte de Wall Street.
Vous leur donnez 1000$, ils crĂ©ent 1000 tokens et placent vos dollars en bons du TrĂ©sor amĂ©ricains. Les intĂ©rĂȘts ? Pour eux. Tether engrange 4,2G$ de profits annuels avec seulement 100 employĂ©s. Faites le calcul : 42M$ de profit par tĂȘte8. Goldman Sachs ? 1,3M$ par employĂ©. Apple ? 2,4M$. Tether est devenue lâentreprise la plus profitable par employĂ© de la planĂšte. Le seigneuriage, ce privilĂšge millĂ©naire de crĂ©ation monĂ©taire, privatisĂ© par une boĂźte offshore.
Et comme si capter cette rente monumentale ne suffisait pas, ils sâarrogent un pouvoir encore plus troublant : celui de censurer les transactions Ă leur guise. Le smart contract de lâUSDC contient une fonction âblacklistâ. Circle peut rendre inutilisables les tokens dâune adresse spĂ©cifique. Idem pour Tether. Ils lâont fait des centaines de fois, souvent sur demande des autoritĂ©s amĂ©ricaines. En aoĂ»t 2022, Circle a gelĂ© les USDC liĂ©s au mixer Tornado Cash9. Des utilisateurs lĂ©gitimes se sont retrouvĂ©s bloquĂ©s.
Mais lâimpact dĂ©passe la simple cryptosphĂšre, et les stablecoins trouvent Ă©galement un usage lors de crise dâinstabilitĂ©. Parce que si certains cryptos voulaient rĂ©pondre Ă ce besoin, câest en rĂ©alitĂ© la stabilitĂ© du dollar qui est recherchĂ©e.
Buenos Aires, 2023. Dans les cafĂ©s de Palermo, personne ne parle plus en pesos. Trop volatil avec 140% dâinflation. On compte en USDT. 50M$ sâĂ©changent chaque jour sur WhatsApp et Telegram, une Ă©conomie parallĂšle qui respire au rythme de Tether Limited10.
Lagos. LâUSDT sâĂ©change avec une prime de 5% sur le dollar officiel. Le Nigeria, premiĂšre Ă©conomie dâAfrique, tourne sur une monnaie Ă©mise depuis les Ăźles Vierges.
Câest une dollarisation sauvage, mais orchestrĂ©e par des sociĂ©tĂ©s privĂ©es opaques plutĂŽt que par le TrĂ©sor amĂ©ricain. Les banques centrales locales regardent, impuissantes, leurs monnaies se faire dĂ©vorer par des tokens privĂ©s.
Cette dollarisation par des entreprises privĂ©es, on lâa dĂ©jĂ vue11. XIXe siĂšcle, Ătats-Unis, lâĂšre du « Wildcat Banking » : des monnaies privĂ©es partout, des faillites en cascade, jusquâĂ ce que lâĂtat reprenne la main. Aujourdâhui, on rejoue la mĂȘme tragĂ©die avec des serveurs AWS Ă la place des coffres et des tokens ERC-20 Ă la place des billets.
Le paradoxe est frappant.
Dâautant que ce nâest que le dĂ©but. Les 250G$ de stablecoins en circulation achĂštent massivement de la dette amĂ©ricaine12, finançant indirectement les dĂ©ficits US. La BRI13 a mesurĂ© le phĂ©nomĂšne en 2025 : quand 10G$ affluent vers les stablecoins, les rendements des T-bills frissonnent14, comprimĂ©s de 2 Ă 5 points de base. Comme un battement dâaile dans le metaverse qui fait trembler les salles de marchĂ© new-yorkaises.
Le Web3 qui promettait une alternative rĂ©volutionnaire est finalement devenu le plus fidĂšle client du TrĂ©sor amĂ©ricain15, via des stablecoins qui cumulent les contradictions comme dâautres les shitcoins.
Le nouveau monde monĂ©taire ressemble Ă©trangement Ă lâancien. Avec plus de complexitĂ© technique et moins de garanties institutionnelles.
đž La Grande Illusion
Reprenons depuis le dĂ©but. Avant de comprendre pourquoi les stablecoins posent question/problĂšme, il faut se rappeler ce quâest une monnaie. Et surtout pourquoi on sâest tous mis dâaccord pour croire Ă cette fiction.
Car oui, la monnaie est dâabord une fiction collective16. Au cinĂ©ma, dans le jeu vidĂ©o ou en littĂ©rature, on parle de « suspension consentie de lâincrĂ©dulitĂ© », ce concept inventĂ© par le poĂšte Coleridge en 1817. Le spectateur accepte temporairement lâimpossible pour entrer dans lâhistoire. Dragons, vaisseaux spatiaux, super-hĂ©ros, peu importe : on y croit le temps du rĂ©cit.
Avec la monnaie, câest pareil, sauf quâon ne sort jamais de la salle. Ce bout de papier dans votre poche ne vaut rien intrinsĂšquement. ZĂ©ro. Vous ne pouvez pas le manger, vous chauffer avec, construire un abri. Mais nous avons tous dĂ©cidĂ© collectivement quâil valait quelque chose. Une monnaie, câest un miroir dans lequel une sociĂ©tĂ© accepte de voir de la valeur. Tant que tout le monde regarde et voit la mĂȘme chose, ça fonctionne. Cette suspension dâincrĂ©dulitĂ© est permanente et universelle. Sans elle, lâĂ©conomie sâeffondre en trois secondes.
LâĂ©conomie, ce nâest que de la confiance.
Cette fiction nâa pas toujours existĂ©. Avant quâon y croie, lâhumanitĂ© a tĂątonnĂ©. LâhumanitĂ© a commencĂ© par le troc. Tu as des poules, jâai du blĂ©, on Ă©change. GĂ©nial sur le papier, cauchemar logistique en pratique. Il faut que jâaie envie de tes poules pile au moment oĂč tu veux mon blĂ©. Et si je veux juste une demi-poule ? On fait comment, on partage Ă la tronçonneuse ? Imagine nĂ©gocier ton salaire en kilos de tomates. Augmentation annuelle : 200 kilos supplĂ©mentaires, mais attention, variĂ©tĂ© cĆur de bĆuf uniquement. VoilĂ pourquoi on a inventĂ© la monnaie.
Dâabord des coquillages, du sel, du bĂ©tail. Le mot âsalaireâ vient du sel que touchaient les lĂ©gionnaires romains, et âpĂ©cuniaireâ du bĂ©tail latin. Puis les mĂ©taux prĂ©cieux, pratiques car divisibles et durables. Enfin le papier garanti par les Ătats, plus lĂ©ger Ă transporter quâun coffre de piĂšces dâor. Ă chaque Ă©tape, on rĂ©solvait des problĂšmes et on en crĂ©ait dâautres. Mais au moins, on pouvait faire ses courses sans trimballler un troupeau. Ce qui est un peu relou Ă la caisse dâIntermarchĂ©.
Une monnaie qui fonctionne, câest trois rĂŽles qui doivent tenir ensemble. Si un seul flanche, tout sâĂ©croule.
1ïžâŁ UnitĂ© de compte. Sans Ă©talon commun, impossible de savoir si un appartement vaut 10 000 poulets ou 50 000. Impossible de tenir une comptabilitĂ©, de calculer des marges, de faire un budget. Le problĂšme survient quand lâĂ©talon devient Ă©lastique. Un cafĂ© Ă 2⏠lundi, 3⏠mercredi, 1,50⏠vendredi. Essayez de gĂ©rer une entreprise comme ça. Câest pour ça que les VĂ©nĂ©zuĂ©liens ont abandonnĂ© le bolivar pour compter en dollars, mĂȘme sans en avoir17. Au Zimbabwe en 2008, lâinflation atteignait 79,6G% par mois18. Les prix doublaient toutes les 24 heures. LâunitĂ© de compte avait disparu.
Ce point est extrĂȘmement parce quâil est gĂ©ographiquement subjectif. Certains ont beau dire que la BCE a créé X⏠que donc que le prix de lâeuro a baissĂ© de X⏠: ce qui importe câest combien de tomate et de cafĂ© je peux acheter avec lâargent de mon travail. Globalement, le cafĂ© ou la baguette ont des prix relativement stable par rapport Ă un salaire. Ce qui ne serait pas le cas si au lieu de payer en âŹ, je payais en $, en ÂŁ ou en BTC : parce que mon vendeur, lui, vend en âŹ.
Ce qui nous amĂšne au deuxiĂšme moi.
2ïžâŁ RĂ©serve de valeur. La monnaie doit garder son pouvoir dâachat dans le temps. Alors oui, lâeuro vise une inflation de 2% par an, cette cible fixĂ©e arbitrairement par la Nouvelle-ZĂ©lande en 1989, puis copiĂ©e partout comme la recette miracle. LâidĂ©e : forcer les gens Ă investir plutĂŽt quâĂ planquer des billets sous le matelas. En thĂ©orie, salaires et croissance compensent. En pratique ? Lâinflation zone euro a explosĂ© Ă 10,6% en octobre 2022, les salaires ont progressĂ© de 4,7%. Le contrat social monĂ©taire, câest comme les rĂ©solutions du nouvel an : plein de bonnes intentions, rarement tenues.
Mais attention Ă la tentation de la planche Ă billets. Friedman avait une formule simple qui fait mal : « Lâinflation est toujours et partout un phĂ©nomĂšne monĂ©taire ». Traduction : trop de billets imprimĂ©s pour payer les dettes, la monnaie finit en papier toilette. Weimar 1923, les Allemands partaient avec des brouettes de marks pour acheter du pain. Zimbabwe 2008, les billets de 100 000 milliards de dollars servaient de papier peint. Venezuela 2018, mĂȘme recette. Sargent et Wallace ont mis ça en Ă©quations en 1981, mais la conclusion reste brutale : quand la dette devient trop lourde, lâĂtat a deux options. Faire dĂ©faut et ruiner ses crĂ©anciers, ou faire tourner la planche et ruiner ses citoyens. Devine laquelle ils choisissent le plus souvent.
Mais face au peso argentin qui perd 211% en 2023, ou la livre turque 80% depuis 2018, on relativise sur nos 2%.
3ïžâŁ Moyen dâĂ©change. Le test final : est-ce que le boulanger accepte ta monnaie contre son pain ? Lâeuro, oui. Le dollar, il convertira. Les coquillages, tu peux toujours courir. Câest la diffĂ©rence entre une vraie monnaie et un jeton de casino : lâacceptation universelle dans une zone donnĂ©e.
Ce qui pose donc le problĂšme de dire que telle valeur (or, par exemple) serait une rĂ©serve de valeur parce quâon ne peut pas en Ă©mettre indĂ©finiment. Alors certes, disons que câest une rĂ©serve de valeur, mais câest plus difficilement une unitĂ© de compte, et Ă aujourdâhui pas un moyen dâĂ©change.
La Banque des RÚglements Internationaux, ce club select des banquiers centraux qui se réunit à Bùle pour décider du sort monétaire mondial, a pondu début 2025 trois critÚres modernes pour les monnaies. Et là , ça devient intéressant. Ou plus orienté, au choix.
1ïžâŁ IntĂ©gritĂ©. En clair : cette monnaie sert-elle surtout aux mafieux ? Les monnaies officielles ont leurs brigades financiĂšres, leurs dĂ©clarations obligatoires, leur paperasse. Pas parfait mais ça limite. Les cryptos ont longtemps Ă©tĂ© le Far West du blanchiment. Aujourdâhui, le paradoxe est intĂ©ressant : selon Chainalysis, environ 40G$ dâactivitĂ©s illicites en crypto en 2024, mais ça ne reprĂ©sente que 0,14% du volume total on-chain (et câest une estimation minimale, on ne peut jamais tout tracer). Pendant ce temps, lâONU estime que 2 Ă 5% du PIB mondial est blanchi chaque annĂ©e via le systĂšme bancaire traditionnel, soit 2000 Ă 5000G$. Le fiat reste le champion toutes catĂ©gories du crime, reprĂ©sentant 99,8% des flux illicites mondiaux selon Europol. Et cerise sur le gĂąteau : mĂȘme dans la crypto-criminalitĂ©, ce sont dĂ©sormais les stablecoins qui dominent pour contourner les sanctions et transfĂ©rer rapidement.
2ïžâŁ LâunicitĂ©. Une Ă©conomie qui marche a besoin dâUNE rĂ©fĂ©rence stable, pas dâun bazar oĂč chacun imprime son bout de papier. Câest la leçon du XIXe amĂ©ricain : quand chaque banque Ă©mettait ses billets, câĂ©tait la foire dâempoigne permanente. Aujourdâhui, des centaines de stablecoins existent, mais seuls quatre ou cinq mastodontes dominent le marchĂ©. Le reste ? Du bruit. A condition, Ă©videmment, que tout le monde accepte et reconnaisse les quatre cinq en question.
3ïžâŁ LâĂ©lasticitĂ©. La masse monĂ©taire doit respirer avec lâĂ©conomie. Crise ? On injecte. Surchauffe ? On aspire. Les banques centrales jouent les chefs dâorchestre, souvent faux mais câest leur boulot. Les stablecoins ? ZĂ©ro Ă©lasticitĂ©. Leur masse dĂ©pend uniquement des dĂ©pĂŽts. Point. Leurs Ă©metteurs, en ça, ne sont pas des banquiers centraux, mais des imprimeurs de billets.
Voila pourquoi on pourrait parler de match Ă©ternel entre monnaie publique et monnaie privĂ©e, qui nâa pas attendu les stablecoins.
La publique, câest lâeuro quotidien. Elle a ses tares : lâinflation qui grignote, la planche Ă billets tentante pour les gouvernements fauchĂ©s, les dĂ©cisions politiques foireuses. Mais elle a un superpouvoir : cours lĂ©gal obligatoire. Refuser un billet de 50⏠en zone euro ? IllĂ©gal.
La force de la monnaie publique se voit dans son histoire rĂ©cente. Bretton Woods, 1944 : les AlliĂ©s font du dollar la rĂ©fĂ©rence mondiale, adossĂ©e Ă lâor. 35$ lâonce, gravĂ© dans le marbre. Le monde entier y croit, le dollar devient roi. Jusquâau 15 aoĂ»t 1971, dimanche soir, Nixon apparaĂźt Ă la tĂ©lĂ© et ferme le guichet de lâor. Fini la convertibilitĂ©. Depuis, on vit dans un systĂšme de pure confiance. Plus dâor, plus de mĂ©tal, juste la foi collective dans des morceaux de papier. Le tour de magie ultime : ça marche depuis 50 ans.
Ce pouvoir de lâĂtat sur la monnaie va au-delĂ de la convertibilitĂ© : il existe aussi via le seigneuriage. Quand la BCE crĂ©e un billet de 100⏠qui coĂ»te 8 centimes Ă imprimer, la diffĂ©rence de 99,92⏠revient au systĂšme public. Ce revenu de crĂ©ation monĂ©taire finance lâĂtat, rĂ©duit les impĂŽts, soutient les services publics. En 2023, la Banque de France a reversĂ© 4,7G⏠à lâĂtat français. Avec les stablecoins, ce seigneuriage part directement dans les poches de Circle ou Tether : privatisation pure et simple dâun revenu rĂ©galien.
Ce qui fait la valeur de ce billet, ce nâest pas le papier, câest la capacitĂ© de lâĂtat Ă lever lâimpĂŽt dans cette monnaie et Ă faire respecter la loi. Point crucial : les taxes se paient en euros, pas en coquillages, pas en or, et certainement pas en USDT. Câest cette obligation fiscale qui crĂ©e la demande fondamentale pour la monnaie. LâĂtat a le monopole de la violence lĂ©gitime, comme disait Weber, et il lâutilise pour garantir sa monnaie.
La privĂ©e ? Lâhistoire dĂ©borde de ses Ă©checs. Le âwildcat bankingâ amĂ©ricain avant la Fed : chaque banque de lâOhio imprimait ses dollars, ceux du Montana nâavaient pas la mĂȘme valeur, et rĂ©guliĂšrement tout sâeffondrait. Les Ă©conomistes appellent ça le principe du âno questions askedâ : une vraie monnaie, tu ne te demandes jamais si elle vaut ce quâelle prĂ©tend. Les monnaies privĂ©es nây arrivent jamais sans filet public.
Les stablecoins sont prĂ©cisĂ©ment des monnaies privĂ©es numĂ©riques, avec les mĂȘmes travers que leurs ancĂȘtres du XIXe : fragilitĂ© structurelle et dĂ©pendance totale Ă un Ă©metteur central. Ils tentent dâusurper le statut monĂ©taire sans en avoir lâassise. Pas de contrat social derriĂšre, pas de capacitĂ© Ă lever lâimpĂŽt, pas de monopole de la violence lĂ©gitime. Juste des entreprises qui demandent « faites-nous confiance ».
VoilĂ le paradoxe : ils nâont ni la soliditĂ© institutionnelle de lâeuro, ni lâinnovation radicale du Bitcoin. Ni la garantie de lâĂtat, ni la rigueur du code. Juste le pire des deux mondes avec un vernis blockchain.
Entre lâimperfection des monnaies publiques et la fragilitĂ© des monnaies privĂ©es, lâhumanitĂ© semblait condamnĂ©e Ă choisir son poison. Dâun cĂŽtĂ© lâĂtat qui dĂ©value, de lâautre les banques qui sâeffondrent. Ce dilemme millĂ©naire paraissait insoluble.
Jusquâen 2009.
âïž Bloc Party
Le Génie du Genesis
3 janvier 2009, 18h15 GMT. Londres se noie sous la pluie. Dans les tours de la City, les traders fixent leurs écrans Bloomberg comme des noyés regardent couler leur navire. Northern Rock nationalisée. Lehman Brothers morte. AIG sous perfusion. Les gouvernements déversent des milliers de milliards pour sauver un systÚme en flammes.
Au mĂȘme moment, quelque part dans le monde, un inconnu tape sur son clavier. Dans un appartement miteux ? Un garage ? Une cave ? On ne saura jamais. Cet inconnu qui se fait appeler Satoshi Nakamoto vient de miner le premier bloc dâune chaĂźne qui ne sâarrĂȘtera plus. Et dans les entrailles de ce bloc Genesis, il grave neuf mots tirĂ©s du Times du jour :
« Chancellor on brink of second bailout for banks ».
Qui est Satoshi ? Personne ne sait. Mais tous les suspects probables partagent le mĂȘme ADN : cryptographes, libertariens technologiques, hĂ©ritiers du mouvement cypherpunk nĂ© dans les annĂ©es 90. Ces activistes voulaient utiliser la cryptographie comme arme de libĂ©ration massive contre la surveillance Ă©tatique et le contrĂŽle bancaire.
Reste quâil Ă©crit ces mots.
Neuf mots. Pas un manifeste de 300 pages. Pas un discours Ă Davos. Neuf mots encodĂ©s dans lâhexadĂ©cimal comme une bombe Ă retardement. Sans quâon sache sâil sâagissait uniquement dâune datation ou dâune revendication. Pendant que les banquiers centraux impriment des billions pour sauver leurs copains, pendant quâAlistair Darling prĂ©pare son chĂšque en blanc pour RBS, un fantĂŽme numĂ©rique vient de lancer la machine qui prouvera quâon peut se passer dâeux tous.
Mais revenons deux mois en arriĂšre. Cet acte fondateur nâarrive pas de nulle part. Le 31 octobre 2008, Halloween, la nuit oĂč les monstres sortent de lâombre, un document de neuf pages atterrit sur une obscure mailing list cryptographique19.
« Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System »
Pas de logo, pas de slogan, pas de ICO. Juste des maths froides. Les trente destinataires ? Des cryptographes qui dĂ©battent depuis dix ans dans lâindiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale. Ils ont vu passer DigiCash, e-gold, Liberty Reserve. Tous morts, fermĂ©s par les feds ou pourris de lâintĂ©rieur. Mais cette fois, il y a un truc nouveau : la blockchain. Plus de point central Ă attaquer. Le rĂ©seau entier devient la banque.
Ce manifeste technique aurait pu changer le monde de la finance immĂ©diatement. Sauf que personne nâĂ©coute. Surtout pas dans la Silicon Valley.
Coders en Caleçon
Satoshi mine ses premiers blocs dans le silence total. Il est seul. Février, toujours seul. Le réseau tourne avec trois machines grand max.
Le whitepaper circule dans les cercles cryptographiques, mais la Silicon Valley ? Elle regarde ailleurs. Pendant que Satoshi mine dans lâombre, les VCs de Sand Hill Road misent sur Facebook et Dropbox. Bitcoin ? Pas de pitch deck, pas de CEO en hoodie. Les associĂ©s de Kleiner Perkins retournent Ă leur partie de golf.
Pendant que lâĂ©lite tech snobe cette rĂ©volution, dans lâombre, une autre tribu sâactive.
Les cypherpunks. Cette bande dâallumĂ©s qui chiffrait ses mails en 1995 quand AOL envoyait encore des CD-ROM par la poste. Nick Szabo, juriste devenu crypto-anarchiste, qui thĂ©orisait les smart contracts quand Ethereum nâĂ©tait mĂȘme pas un fantasme. Hal Finney, bodybuilder reconverti en codeur, qui recevra le premier bitcoin de lâhistoire le 12 janvier 2009 : « Running bitcoin », tweet-il. Ils sont deux sur la planĂšte Ă faire tourner le truc. Wei Dai, Adam Back, tous ces types qui lisent Hayek et codent la nuit, qui voient la surveillance de masse arriver et prĂ©parent les armes pour rĂ©sister.
Ils ne sont pas dans des open spaces avec des murs en briques apparentes et des machines Ă kombucha. Ils codent depuis des caves, des chambres dâĂ©tudiants pourries, des squats avec des serveurs qui chauffent la piĂšce. Pendant que les banquiers centraux dĂ©battent en costume Ă Jackson Hole de la courbe des taux, eux construisent lâalternative en caleçon, entre deux pizzas froides et trois Red Bull. Leur vision : aprĂšs les monnaies publiques qui trahissent et les monnaies privĂ©es qui sâeffondrent, crĂ©er la monnaie qui nâappartient Ă personne et donc Ă tout le monde.
Les early adopters ? Pas les product managers de Google ou les growth hackers dâUber. Non. Les vrais premiers, câest les dealers du dark web, les Argentins qui ont vu leur Ă©pargne partir en fumĂ©e trois fois, les hackers russes, les libertariens amĂ©ricains qui stockent de lâor dans leur jardin, les Chypriotes qui se sont fait voler 47% de leurs dĂ©pĂŽts en 2013, les Iraniens sous embargo. LâarmĂ©e des exclus du systĂšme bancaire traditionnel. Ceux pour qui Bitcoin nâest pas une expĂ©rience intellectuelle mais une question de survie.
Câest pour eux que Satoshi a conçu un systĂšme reposant sur des promesses radicales.
Law & Disorder
Quâest-ce qui anime ces marginaux ? Une vision radicale de la monnaie, codĂ©e dans Bitcoin comme un manifeste en action. AprĂšs les monnaies publiques qui gonflent au grĂ© des dĂ©ficits et les monnaies privĂ©es qui sâeffondrent au premier stress test, voici la monnaie sans maĂźtre. Pas de banque centrale qui peut changer dâavis. Pas de CEO qui peut partir avec la caisse. Juste du code qui sâexĂ©cute, implacable.
Cette vision se décline en quatre promesses, quatre rÚgles gravées dans le marbre numérique.
« Adieu les cons banques, bonjour le peer-to-peer »
Plus de Swift qui met trois jours et prĂ©lĂšve sa dĂźme. Plus de Western Union qui saigne les immigrĂ©s Ă 10% par transfert. Alice envoie Ă Bob, direct, sans ordinateur quantique, sans demander la permission Ă personne. La transaction est validĂ©e par le rĂ©seau, gravĂ©e dans le marbre numĂ©rique, irrĂ©versible comme une balle tirĂ©e. Dans quelques annĂ©es, Tether et Circle promettront la mĂȘme chose en gardant le doigt sur le bouton freeze. Bitcoin le fait pour de vrai depuis le jour un. Pas de backdoor, pas de CEO qui peut bloquer ton compte parce que tu as dit un truc de travers sur Twitter.
« Va censurer un million de machines, connard »
WikiLeaks se fait couper par Visa et Mastercard sur ordre du DĂ©partement dâĂtat ? Ils passent au Bitcoin, et lâargent continue de couler. Un dissident russe veut recevoir des fonds ? Bitcoin. Un dealer afghan sous les talibans ? Bitcoin. Pour censurer, il faut contrĂŽler 51% du hashrate mondial. Bon courage pour convaincre un million de mineurs rĂ©partis du Kazakhstan au Texas de bloquer une transaction. Les futurs stablecoins ? Ils freezeront des comptes sur un simple mail du Treasury. Câest la diffĂ©rence entre la rĂ©sistance rĂ©elle et le théùtre sĂ©curitaire.
« 21 millions, point barre »
Pas de comitĂ© qui vote lâĂ©mission. Pas de « circonstances exceptionnelles ». Le code applique sa loi mathĂ©matique : halving tous les 210 000 blocs, Ă©mission qui tend vers zĂ©ro. Pendant que la Fed multiplie la base monĂ©taire par 5, Bitcoin divise la sienne par 2 tous les quatre ans. Câest lâanti-inflation codĂ©e en dur, la rigueur budgĂ©taire ultime, le rĂȘve allemand en lignes de code. Les stablecoins ? Ils sont adossĂ©s au dollar qui se dilue, garantis par des T-bills qui financent la dette. Bitcoin nâest adossĂ© Ă rien parce quâil nâa besoin de rien. Il est sa propre valeur. Il ne vaut rien intrinsĂšquement. Parce quâil est prĂ©cisĂ©ment une monnaie et quâil ne repose que sur la confiance.
« Ton passeport, tu peux le garder »
Pas de KYC, pas de justificatif de domicile, pas de « dâoĂč vient cet argent monsieur ». Une clĂ© privĂ©e et tu existes. Le dealer de Caracas a exactement les mĂȘmes droits que le gestionnaire de hedge fund de Greenwich. Un gamin de 12 ans au Nigeria peut recevoir des paiements. Une femme afghane peut planquer son Ă©pargne sans que les talibans le sachent. Câest lâinclusion par la cryptographie, pas par la charitĂ©. Les stablecoins reproduiront tous les gatekeepers du systĂšme bancaire : KYC, AML, OFAC. Bitcoin sâen fout depuis le bloc Genesis.
Cryonics & Cryptos
Ces promesses radicales restent de la thĂ©orie pure tant quâelles ne sont pas testĂ©es. Qui va prendre le risque ? Pas les costards-cravates de Wall Street. Pas les rĂ©gulateurs qui cherchent encore Ă comprendre ce quâest internet. La vraie adoption vient des marges, de ceux qui nâont rien Ă perdre ou tout Ă gagner.
Pour le test ultime, il fallait un terrain sans filet. Un marchĂ© oĂč la seule garantie est le code, oĂč un bug ou une arnaque signifie la ruine immĂ©diate. Ce laboratoire grandeur nature, ce sera Silk Road. Et il collera longtemps Ă la peau de Bitcoin. Et des cryptos.
Silk Road, 2011. Ross Ulbricht, 27 ans, diplĂŽmĂ© de physique, lance le Amazon de la drogue. Pas par cupiditĂ©, par idĂ©ologie. Il veut prouver quâon peut crĂ©er un marchĂ© libre, vraiment libre, sans Ătat. LSD, MDMA, coke, tout se vend en bitcoins. 1,2 milliards de dollars de volume en deux ans. Le FBI pĂšte un cĂąble, infiltre, traque. Ils chopent Ulbricht dans une bibliothĂšque de San Francisco, saisissent 144 000 BTC. Double perpĂ©tuitĂ© pour Ross. Mais câest trop tard. La preuve est faite : Bitcoin fonctionne, vraiment, mĂȘme pour les trucs que lâĂtat interdit.
Pendant que Bitcoin prouve sa valeur sur les marchĂ©s noirs, une autre armĂ©e se mobilise : celle des mineurs. Lâor numĂ©rique attire ses propres chercheurs dâor.
Les mineurs chinois transforment des centrales hydroĂ©lectriques abandonnĂ©es en fermes de minage. Des hangars entiers de machines qui tournent 24/7, refroidis par lâair glacial du Sichuan. Les VĂ©nĂ©zuĂ©liens minent avec lâĂ©lectricitĂ© subventionnĂ©e pendant que leur bolivar devient du papier toilette. Les Islandais utilisent la gĂ©othermie. Câest Mad Max version numĂ©rique : chacun pour sa gueule, mais tous ensemble pour sĂ©curiser le rĂ©seau.
Cette ruĂ©e vers lâor 2.0 bat son plein. Mais Ă©trangement, les crĂ©ateurs originaux commencent Ă sâeffacer, un par un. Hal Finney tweete, mine, code, jusquâĂ ce que la maladie de Charcot le paralyse. Il meurt en 2014, cryogĂ©nisĂ©, emportant peut-ĂȘtre le secret de Satoshi. Ce dernier disparaĂźt en 2011 quand WikiLeaks commence Ă accepter Bitcoin. Son dernier message :
« Jâai dâautres choses Ă faire »
On nâĂ©crira rarement un message aussi poĂ©tique et laconique en mĂȘme temps.
Un million de bitcoins dormants. 100G$ aujourdâhui qui ne bougeront jamais. Qui fait ça ? Qui crĂ©e une rĂ©volution et refuse la fortune ? Quelquâun pour qui le code compte plus que le cash. Ou quelquâun de mort, Ă©ventuellement.
Pendant que ces pionniers sâeffacent dans lâombre, le vieux monde continue sa routine, aveugle Ă la rĂ©volution en cours. Les banquiers centraux impriment. Les traders tradent. Les VCs « disruptent ». Personne ne voit que sous leurs pieds, bloc aprĂšs bloc, transaction aprĂšs transaction, un nouveau systĂšme monĂ©taire est en train de pousser comme du chiendent dans les fissures du bĂ©ton.
Antifragile tu perds ton sang froid
Fast forward. 2024. Bitcoin a quinze ans. Il nâa pas tuĂ© les banques centrales. Le dollar rĂšgne toujours. Mais quelque chose a changĂ©, irrĂ©versiblement.
BlackRock, le plus gros gestionnaire dâactifs du monde, lance un ETF Bitcoin. MicroStrategy empile les bitcoins comme un dragon son or. El Salvador en fait (temporairement) une monnaie lĂ©gale. Les mĂȘmes qui crachaient sur Bitcoin le rachĂštent au prix fort. Jamie Dimon de JPMorgan qui hurlait Ă la fraude propose maintenant du Bitcoin Ă ses clients. Trump fait le mĂȘme mouvement. Les VCs qui nâavaient rien vu lĂšvent des fonds crypto de 5G$. Ils ont compris, trop tard, quâils avaient ratĂ© la vraie rĂ©volution. Cela dit : le train roule toujours.
Mais le plus beau, câest que le protocole sâen fout. Il continue de cracher un bloc toutes les dix minutes, indiffĂ©rent aux bulles, aux krachs, aux rĂ©gulations, aux tweets dâElon. 700 exahashes par seconde de puissance de calcul. Plus on lâattaque, plus il devient fort. La Chine lâinterdit ? Le hashrate migre au Texas. Le prix sâeffondre ? Les mineurs faibles meurent, les forts rachĂštent leurs machines. Câest lâantifragilitĂ© pure : ce qui ne tue pas Bitcoin le rend littĂ©ralement plus rĂ©sistant.
Pas une minute dâarrĂȘt depuis 2009. Pas un double-spend. Pas une transaction censurĂ©e par le protocole. Pendant que Swift est down pour maintenance, pendant que les banques ferment le weekend, pendant que lâArgentine fait dĂ©faut pour la neuviĂšme fois, Bitcoin tourne.
Le systĂšme traditionnel a survĂ©cu Ă 2008 avec des perfusions de billions, au prix dâune dette impayable et dâune confiance brisĂ©e. Bitcoin est nĂ© de cette crise et nâa jamais eu besoin de personne. Il ne demande pas la permission. Il ne fait pas de compromis. Il applique ses rĂšgles, inflexible, incorruptible, imparable.
Mais toute révolution attire ses récupérateurs. Et ils arrivent, avec leurs smart contracts, leurs ICOs, et leurs promesses de Web3 qui vont « tout changer ».
đ Doges & Dragons
Lâhistoire aurait pu sâarrĂȘter lĂ . Bitcoin existait, fonctionnait, prouvait quâune monnaie pouvait vivre sans Ătat ni banque centrale. Les cypherpunks avaient gagnĂ© leur pari technique. Mais en 2015, un jeune russo-canadien de vingt ans, Vitalik Buterin, dĂ©barque avec son regard perdu et ses discours messianiques. Il ne veut pas juste une monnaie alternative. Il veut transformer la blockchain en ordinateur mondial.
LâidĂ©e est grandiose. Ethereum promet des smart contracts qui sâexĂ©cutent tout seuls, un Web3 oĂč le code fait loi, un monde sans intermĂ©diaires. Buterin, prophĂšte en t-shirt noir, parfois dĂ©guisĂ© en ours, en T-Rex ou en pyjama, imagine lâutopie dĂ©centralisĂ©e. Mais voilĂ la vĂ©ritĂ© crue : quand tu donnes aux humains un outil rĂ©volutionnaire, ils sâen servent rarement pour bĂątir le paradis. Ils construisent des casinos. Et ce qui devait ĂȘtre un miroir de nos aspirations devient une galerie des glaces oĂč tout se dĂ©forme.
Premier reflet mĂ©diatique de cette distorsion : lâart numĂ©rique transformĂ© en loterie.
2021, le monde dĂ©couvre quâon peut vendre un JPEG 69M$. Beeple, artiste numĂ©rique lambda la veille, devient millionnaire du jour au lendemain chez Christieâs. Son collage pixelisĂ©, « Everydays », vaut soudain 2 Ă 3 fois plus quâun Rembrandt. Oui oui. La planĂšte crypto perd la tĂȘte. Les Bored Apes dĂ©barquent aussitĂŽt. Des singes mal dessinĂ©s, gĂ©nĂ©rĂ©s par algorithme, qui sâĂ©changent Ă 300k$ piĂšce. Justin Bieber en achĂšte un pour 1,3M$. Six mois plus tard, il vaut des clopinettes. Paris Hilton parade avec le sien chez Jimmy Fallon. Snoop Dogg collectionne. Stephen Curry aussi. Le monde entier regarde ces cĂ©lĂ©britĂ©s brandir leurs singes numĂ©riques comme des trophĂ©es de guerre.
La mĂȘme annĂ©e, plusieurs peintures se vendent Ă©galement Ă des prix records, mais il faut raison garder. Lâexceptionnel Philosophe lisant de Fragonard se vend moins de 8M⏠en France, tandis quâun portrait de Botticelli est adjugĂ© chez Sothebyâs pour 76M$, en faisant le 2e portrait le plus cher de lâhistoire de la peinture. 16M$ de moins que le NFT The Merge de Pak. Toujours en 2021, Diego y yo, le tableau le plus cher de Frida Kahlo est adjugĂ© 35M$ Ă New York. Deux fois moins que Everydays: The First 5000 Days de Beeple. Quant aux sĂ©ries de NFT, le CryptoPunk #5822 sera vendu 24M$ (8000 ETH), le prix dâun Basquiat vendu la mĂȘme annĂ©e.
Ce qui devait authentifier lâart numĂ©rique devient la plus grande bulle spĂ©culative de lâhistoire culturelle. 41G$ de volume en 202120. LâannĂ©e suivante, effondrement : 97% du volume en valeur sâĂ©vapore21. Les musĂ©es virtuels promis ? Des terrains vagues. La rĂ©volution crĂ©ative ? Des copy-paste vendus Ă prix dâor. Dans cette galerie des glaces crypto, un singe mal dessinĂ© vaut plus quâun Picasso. Le reflet nâa plus rien de rĂ©el. Pas plus que le business model de The Sandbox dont la maison mĂšre vient de couper 50% des effectifs22, faute de⊠bah de tout. Pas plus quâon a de nouvelle du fameux metaverse de lâex-Facebook⊠Meta. Quant Ă Sorare, la startup aux 670M$ levĂ©s compte toujours ses pertes.
Reste quâĂ lâĂ©poque, lâengouement est tel que chaque blockchain veut son musĂ©e, sa galerie, ses collectionneurs. Solana lance ses Degenerate Apes, Tezos pousse Hic et Nunc, Flow mise sur NBA Top Shot. Chaque blockchain devient une salle de vente aux enchĂšres sans commissaire-priseur. Les rug pulls se multiplient : les crĂ©ateurs disparaissent avec la caisse, laissant aux acheteurs des liens vers des images qui nâexistent plus. LâĂ©cosystĂšme crypto vient de construire son premier Ă©tage : lâart transformĂ© en machine Ă sous.
AprĂšs lâart dĂ©voyĂ© en actif spĂ©culatif, place Ă la blague devenue monnaie. Dogecoin ne prĂ©tend rien. Créé en 2013 pour se moquer de Bitcoin, câest littĂ©ralement un chien Shiba Inu tirĂ© dâun meme internet. Pas de whitepaper, pas de vision, juste une blague qui assume. Elon Musk entre en scĂšne. Un tweet « Dogecoin to the moon », et la capitalisation explose. Un autre « Working with Doge devs », nouveau pic. Il arrĂȘte de tweeter, ça sâeffondre. Mai 2021, le chien-blague vaut 88G$. Plus que General Motors. Pour une monnaie qui ne sert Ă rien, ne promet rien, nâinnove en rien. La blague finira quand mĂȘme comme nom du ministĂšre de Musk, 4 ans aprĂšs, alors quâil a multipliĂ© les manipulations de marchĂ©.
Le succĂšs inspire les clones. Shiba Inu sur Ethereum, SafeMoon sur Binance Smart Chain, des milliers de tokens-memes naissent chaque jour. Certains font x1000 en 24h avant de retomber Ă zĂ©ro le lendemain. Les crĂ©ateurs empochent, les derniers arrivĂ©s pleurent. Le Ponzi dans sa forme la plus pure, entre fortune warholienne et escroquerie assumĂ©e Ă la Duchamp, avec la transparence de la blockchain. Tout le monde voit lâarnaque en temps rĂ©el. Personne ne sâarrĂȘte de jouer.
ParallĂšlement Ă lâart et la blague, la spĂ©culation sâattaque Ă son cĆur de cible : la finance elle-mĂȘme qui y reconnait probablement ses propres patterns. Les premiers protocoles pionniers naissent sur Ethereum. Uniswap permet dâĂ©changer sans intermĂ©diaire. Aave de prĂȘter et emprunter. Compound de gagner des intĂ©rĂȘts. MakerDAO de crĂ©er les premiers stablecoins algorithmiques. Ils promettent de « dĂ©mocratiser la finance ». En rĂ©alitĂ© ? AprĂšs plusieurs annĂ©es aux usages abstraits, tout ça ressemble Ă shadow banking dopĂ© aux stĂ©roĂŻdes. Le yield farming devient le nouveau sport : dĂ©poser des tokens dans un protocole qui les prĂȘte Ă un autre qui les utilise comme collatĂ©ral pour emprunter ailleurs. Des pyramides de dette sur des pyramides de levier. Certains protocoles promettent 10 000% de rendement annuel, payĂ©s en tokens créés ex nihilo. Le miroir est devenu une galerie des glaces oĂč chaque reflet amplifie la distorsion du prĂ©cĂ©dent.
Puis les flash loans poussent lâabsurde Ă son paroxysme. Emprunter des millions, manipuler les prix, tout rembourser dans la mĂȘme transaction. En fĂ©vrier 2020, un trader emprunte 10 000 ETH, manipule les oracles, empoche 350k$. Huit secondes chrono. Pas illĂ©gal. Juste un bon gros tarĂ©. A succĂšs. Quand tout ça ne frĂŽle pas carrĂ©ment le dĂ©lit dâinitiĂ©. Puis viennent les clones : PancakeSwap, TraderJoe, JustSwap... A chaque blockchain son casino DeFi, oĂč les copycats prolifĂšrent plus vite que les rĂ©gulateurs ne peuvent suivre.
Cette logique dâaviditĂ© dĂ©borde vite : si on peut tokeniser lâart et la finance, pourquoi pas tout le reste ? 2021-2022 voit naĂźtre la tokenisation universelle. Des tokens pour lâimmobilier avec RealT, pour le carbone avec Toucan Protocol, pour les donnĂ©es personnelles, les rĂ©coltes futures, les droits musicaux, mĂȘme les tweets. Le pattern est toujours le mĂȘme : prendre un actif existant, crĂ©er un token censĂ© le reprĂ©senter, promettre liquiditĂ© et fractionnement. En pratique ? Un cauchemar juridique que personne ne veut regarder pour des trucs dont personne nâavait vraiment besoin. Lâexemple le plus grotesque reste les tokens de gouvernance. Uniswap distribue UNI, Compound distribue COMP. Soi-disant pour « dĂ©centraliser ». En rĂ©alitĂ© ? Les fondateurs et VCs gardent la majoritĂ©. Le token ? Un jeton de casino dĂ©guisĂ© en droit de vote. Alors que lâutilitĂ© pourrait exister. Tokeniser la SACEM, pour permettre une distribution plus justes des droits dâauteurs, ou le cadastre, pour simplifier les transactions, seraient de parfaits usages. De mĂȘme que certifier la rĂ©alitĂ© du ticketing, comme le fait Billy. Mais câest moins rigolo.
Et 2020-2021 marque le vrai tournant, quand les institutionnels dĂ©barquent. Jump Trading, Jane Street, Alameda Research. Pas tellement par idĂ©ologie, ils sâen foutent de la dĂ©centralisation. Mais un marchĂ© ouvert 24/7 sans rĂšgles avec des particuliers qui peuvent servir de liquiditĂ© ? NoĂ«l en avance. Les hedge funds apportent leurs armes habituelles : trading haute frĂ©quence, manipulation des marchĂ©s illiquides, sandwich attacks. Ils voient une transaction arriver, achĂštent juste avant, revendent juste aprĂšs. Le retail paie la facture sans mĂȘme sâen rendre compte. Cyniquement, ils apportent aussi ce que le marchĂ© rĂ©clame : liquiditĂ© profonde, market making professionnel.
Dans leur sillage, les VCs flairent la manne. Andreessen Horowitz lĂšve 4,5G$ pour son fonds crypto. Marc Andreessen, qui traitait Bitcoin de « monnaie de criminels » en 2013, devient Ă©vangĂ©liste. Sequoia, Paradigm, tous retournent leur veste. Ils investissent Ă prix cassĂ©, crĂ©ent le battage mĂ©diatique, revendent au public avec x100. Le private equity classique, mais sans les garde-fous. Les mĂȘmes qui voulaient tuer Bitcoin le financent maintenant. Pas par conversion. Par aviditĂ©.
Cette machine Ă spĂ©culer tourne Ă plein rĂ©gime jusquâĂ ce quâelle trouve son point dâorgue. Novembre 2022. Sam Bankman-Fried, golden boy de la crypto, se rĂ©vĂšle escroc de base. En short et chaussettes aux Bahamas, cheveux Ă©bouriffĂ©s, il jouait le gĂ©nie philanthrope. DeuxiĂšme donateur des DĂ©mocrates, chouchou du CongrĂšs, il expliquait comment « rĂ©guler intelligemment » la crypto. FTX sâeffondre en 48h. 8G$ clients Ă©vaporĂ©s, utilisĂ©s pour couvrir les pertes dâAlameda, son hedge fund qui pariait sur des shitcoins avec lâargent des dĂ©posants.
AprÚs un hiver crypto trÚs trÚs froid, les restes de instits arrivent en masse. Goldman Sachs ouvre un trading desk crypto. JP Morgan développe son JPM Coin. BlackRock prépare ses ETF. Les banques que Satoshi voulait court-circuiter deviennent les nouveaux maßtres du jeu.
Ethereum reste un outil extraordinaire. Des innovations majeures y naissent : protocoles de privacy, identitĂ© dĂ©centralisĂ©e, coordination sans frontiĂšres. Mais le meilleur a Ă©tĂ© Ă©crasĂ© par le pire. Parce que le pire rapporte plus, plus vite, sans poser de questions. Bitcoin voulait tuer la dette et lâinflation. Ethereum promettait lâordinateur mondial. On a eu des singes Ă 300k$ et des Ponzis algorithmiques.
đź Oracles BrisĂ©s
Et voila comment lâĂ©cosystĂšme, ou plutĂŽt le multisystĂšme crypto, est en train de se noyer dans ses paradoxes alors que la finance traditionnelle sâassoit sur sa tĂȘte pour le maintenir sous lâeau.
En 1944, Bretton Woods a imposĂ© le dollar grĂące Ă lâor. En 2025, les stablecoins imposent le dollar grĂące Ă la blockchain. Un Bretton Woods 2.0 clandestin, sans traitĂ©, sans vote. OrchestrĂ© par deux sociĂ©tĂ©s opaques depuis les CaraĂŻbes. Lâhistoire bĂ©gaie en version dystopique. Parce que rappellons quand mĂȘme les promesses de Bitcoin.
1ïžâŁ Une monnaie anti-inflation par raretĂ© programmĂ©e.
2ïžâŁ Un systĂšme trustless, sans intermĂ©diaire.
3ïžâŁ Un rĂ©seau incensurable.
Les stablecoins sont lâexact opposĂ©.
1ïžâŁ LâUSDT suit le dollar comme son ombre. La Fed imprime, le token perd : Jerome Powell dĂ©couvre quâil est devenu le dealer involontaire du casino crypto. Plus de 150G$ sur 250G$ financent directement la dette US qui alimente la planche Ă billets. Câest acheter un extincteur qui crache de lâessence.
2ïžâŁ Tether dit « faites-nous confiance » avec 72G$ jamais (ou presque) auditĂ©s. Le « donât trust, verify » de Bitcoin est devenu « trust and pray ». PriĂšre non fournie.
Personne ne semble avoir relevĂ© lâĂ©trange odeur qui sâest dĂ©gagĂ©e quand la Fed sâest engagĂ© Ă ne pas laisser couler SVB alors que Circle Ă©tait Ă deux doigts dây passer. Un stablecoin « stable » sauvĂ© par la banque centrale quâil prĂ©tendait remplacer. Lâironie pourrait sâembouteiller et se vendre.
3ïžâŁ Circle freeze sur ordre. Tether bloque sur demande. La blockchain est devenue un panoptique oĂč Big Brother a le doigt sur delete. Circle en a mĂȘme rĂ©cemment fait de la rĂ©versibilitĂ© un argument commercial23. Et plus rĂ©cemment en France, tout le monde sâen est facilité⊠sans relever le paradoxe.
Quand David Belland et sa compagne ont Ă©tĂ© kidnappĂ©s, une rançon en crypto a Ă©tĂ© exigĂ©e. EnvoyĂ©e rapidement. Les ravisseurs croyaient Ă lâincensurabilitĂ©. RatĂ©. Tether a freezĂ© tout (Jâen ai parlĂ© ici). Les libertariens applaudissent la censure quâils dĂ©nonçaient hier. Câest pour la bonne cause. Mais la bonne cause a toujours la couleur de ses intĂ©rĂȘts. Les fondateurs de Ledger, maximalistes Bitcoin pour certains, cĂ©lĂšbrent le gel des fonds, et lâincensurable devient censurable quand ça arrange.
Mais la révolution est en marche, comme dirait The Big Whale.
Visa traite 2,5G$ mensuels en USDC24. PayPal lance PYUSD25. Les rails de paiement mondiaux basculent progressivement vers les stables. Ce nâest plus un jouet crypto. Câest lâinfrastructure financiĂšre qui migre. Demain, Mamie paiera ses tomates sans savoir quâelle utilise un token Ă©mis aux Ăźles Vierges. Peut-ĂȘtre mĂȘme quâun jour, elle devra changer ses USDF en USDO parce que son vendeur nâacceptent que les USDO et les USDG.
Dâici lĂ , tout le monde aura pris ses gains.
Les grands exchanges comme Binance ou Kraken auront au moins lâhonnĂȘtetĂ© de ne rien promettre dâautres que de pouvoir Ă©changer et parier. On parie sur le PSG ou le prochain premier ministre anglais, pourquoi ne pas parier sur le prochain token qui pourrait faire x100, tout en accumulant quelques uns des cryptos les plus safes ?
Parce que oui, il existe des cryptos avec un vrai projet. Elles ne sont que marginales, parce que la rĂ©alitĂ© câest que tout le monde se fout des whitepapers et ne regarde que les perfs. Mais on ne peut pas regarder lâintĂ©gralitĂ© du marchĂ© en fermant les yeux sur les passionnĂ©s et les dĂ©veloppeurs qui passent du temps Ă crĂ©er des projets auxquels ils croient, autour de communautĂ© soudĂ©e Ă lâimage de Polkadot ou AAVE.
Peu importe quâon y croit ou non, que ça marche ou non, que ça trouve in fine un usage ou non, une majoritĂ© partie des grosses capâ Ă un projet cohĂ©rent.
Mais le succĂšs des stablecoins en dehors de lâĂ©cosystĂšme, en dehors du simple intermĂ©diaire entre blockchain, en dehors de la simple vasque de liquiditĂ©, signe lâacte de dĂ©cĂšs de la rĂ©volution crypto. Bitcoin pour les paiements ? 0,1% du volume. Les stables ? 90% de tout. La rĂ©volution sâest muĂ©e en dollarisation numĂ©rique sous stĂ©roĂŻdes.
Et il faut dĂ©sormais ĂȘtre clair sur deux visions, que tout oppose, que rien ne peut rĂ©concilier, et dont il est impossible de se revendiquer en mĂȘme temps :
Celle de Bitcoin, qui se pose comme alternative au systÚme monétaire centralisé multicentenaire ;
Celle des stablecoins, qui nâest que la continuitĂ© de lâultra financiarisation quâon connait.
On ne peut pas croire Ă Bitcoin, et investir dans les bullshits company qui accumule du BTC, comme celle de Michael Saylor.
On ne peut pas croire Ă Bitcoin, et se rĂ©jouir des ETF qui concentrent la possession de BTC dans les mains dâacteurs institutionnels et possĂšdent Ă la place des autres.
On ne peut pas croire Ă Bitcoin, et trouver cool les stablecoins qui financent directement lâinflation.
On ne peut pas croire à Bitcoin, et ne rien trouver à redire à un écosystÚme quasi exclusivement dollarisé.
Dâailleurs, face Ă cette capitulation, certains gouvernements tentent de reprendre la main. LâEurope dĂ©ploie MiCA : audits mensuels, rĂ©serves 1:1, plafonds dâĂ©mission. Lâintention est louable, corriger les excĂšs avant un nouveau 2008. Mais câest Ă©videmment risquer de tuer lâinnovation avant quâelle ne vive. Si tout fuit vers les Ătats-Unis ou lâAsie, lâEurope nâaura gagnĂ© ni stabilitĂ©, ni souverainetĂ©. Lâeuro reste fragile, sans union budgĂ©taire, sans puissance militaire. RĂ©guler plus vite que tous peut donner lâillusion de force. Câest souvent le rĂ©flexe dâun continent qui doute. Ou qui nâose pas.
Mais Ă ce stade, il nây plus de juste milieu qui tienne. Pas de synthĂšse heureuse. Juste un choix brutal entre deux mondes irrĂ©conciliables.
Dâun cĂŽtĂ©, Bitcoin. La libertĂ©, la raretĂ© programmĂ©e, la rĂ©sistance Ă la censure. Mais aussi la volatilitĂ© extrĂȘme, lâimpossibilitĂ© pratique du quotidien. Un commerçant ne peut pas vivre avec une monnaie qui fait +20% le matin et -15% lâaprĂšs-midi. Sauf Ă ce quâon se dise que, finalement, câest notre moyen dâĂ©change.
De lâautre, le systĂšme fiat. La stabilitĂ© apparente, les garanties institutionnelles, le crĂ©dit Ă long terme. Mais aussi la dette infinie, lâinflation rampante, les manipulations monĂ©taires, les renflouements perpĂ©tuels.
Les stablecoins prĂ©tendaient rĂ©concilier les deux. Ils nâont fait que crĂ©er un monstre hybride. Ni la libertĂ© de Bitcoin, ni la sĂ©curitĂ© vĂ©ritable du systĂšme bancaire. Le pire des deux mondes avec un papier en blockchainwashing.
Câest le « ni de gauche ni de droite » version crypto. Sauf quâon sait comment ça finit : ceux qui prĂ©tendent nâĂȘtre ni lâun ni lâautre sont toujours du cĂŽtĂ© du pouvoir Ă©tabli.
Satoshi avait gravé dans le genesis block :
« Chancellor on brink of second bailout for banks ».
Quinze ans plus tard, les stablecoins travestissent son héritage et transforment la promesse en farce.
Le miroir ne reflÚte plus la liberté.
Il caricature la servitude.
Stablecoinsâ market cap surges to record high as US senate passes bill, Reuters, 19 juin 2025
The Rise and Fall of Do Kwon and the UST Stablecoin: From Crypto Visionary to Convicted Fraudster, BakerMckenzie, 13 aout 2025
BIS: Stablecoins could âmoveâ US bond yields, Zetta Hannany, IDN Financials, 31 juillet 2025
Red-Hot World of Stablecoins Still Has Plenty to Prove, Suvashree Gosh, Bloomberg, 8 aout 2025
Jump Trading et son portefeuille, Gate, 3 avril 2025
The stablecoin paradox, Eduardo Levy Yeyati Sebastian Katz, CEPR, 15 Aug 2022
Tether, the Largest Stablecoin Issuer, Is Making Plans to Do Business in the U.S. Hereâs What That Means for Investors, Dominic Basulto, Nasdaq, 5 aout 2025
OFACâs Tornado Cash Sanctions, Thorsten J Gorny, Sanction.com, 17 octobre 2022
$35B Stablecoin Surge as USD Collapses in Egypt, Nigeria, Argentina, Cryptorank, 26 aout 2025
Stablecoins, Tokens, and Global Dominance, HélÚne Rey, FMI, septembre 2025
BIS: Stablecoins could âmoveâ US bond yields, Zetta Hannany, IDN Financials, 31 juillet 2025
Banque des RĂšglements Internationaux
Tether, the Largest Stablecoin Issuer, Is Making Plans to Do Business in the U.S. Hereâs What That Means for Investors, Dominic Basulto, Nasdaq, 5 aout 2025
Stablecoins Enter the Mainstream, James Marple, Ksenia Bushmeneva, Anusha Arif, TD, 11 septembre 2025
« La monnaie est une fiction collective à laquelle tout le monde consent. », Yuval Noah Harari, Sapiens, 2014
Venezuela: How Monetary Mismanagement Contributed to Maduroâs Weakness, Daniel Raisbeck, CATO, 26 juillet 2024
Hyperflation: life as a trillionaire, Nyasha Johnera, Courtiers, 26 décembre 2020
NFTs ballooned to a $41 billion market in 2021 and are catching up to the total size of the global fine art market, Natasha Daily, Business Insider, 7 janvier 2022
How Did NFTs Fare in 2022?, John Csiszar, Nasdaq, 1 décembre 2022
The Sandbox rĂ©duit de moitiĂ© ses effectifs et se restructure tandis quâAnimoca Brands prend le contrĂŽle, Oliver Knight, CoinDesk, 1 septembre 2025
Stablecoin issuer Circle examines âreversibleâ transactions in departure for crypto, David Keohane, FT, 25 septembre 2025
Visa Customers Made $2.5B in Crypto-Linked Payments in Fiscal Q1, Michael Bellusci, CoinDesk, 12 mai 2023



Super article ! TrĂšs intĂ©ressant (bien que massif đ ), notamment pour le rappel historique et la frise chronologique de lâĂ©volution de la crypto.
Cependant, je reste avec une question ouverte...
Tu opposes Bitcoin et les stablecoins, en rappelant la puretĂ© du premier face Ă la perversion des seconds. Mais dans les faits, Bitcoin est aujourdâhui massivement dĂ©tenu via des ETF, accumulĂ© par des acteurs comme BlackRock, Strategy ou JPMorgan⊠autrement dit, les mĂȘmes institutions que Satoshi voulait contourner.
Du coup, peut-on encore voir Bitcoin comme une vĂ©ritable alternative de rĂ©serve de valeur et outil dâĂ©mancipation ? Ou est-il en train de devenir simplement un « or numĂ©rique » institutionnalisĂ©, certes rare et antifragile, mais intĂ©grĂ© au systĂšme quâil voulait dĂ©passer ?
Une piĂšce a deux faces : lâordre et la rĂ©volte.
Le pouvoir la frappe, la liberté la retourne.
MĂȘme quand tout semble jouĂ©, il suffit dâune main pour relancer le monde.